Sharif Andoura © Jean-Louis Fernandez
© Jean-Louis Fernandez

Sharif Andoura, acteur en toute humanité 

Multipliant les expériences et se frottant à une pluralité des esthétiques, le comédien se révèle impressionnant de fragilité dans « La Réponse des hommes » de Tiphaine Raffier, ainsi que dans "Avant la terreur" de Macaigne. 

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
C’est un souvenir assez vague, très impressionniste… Un spectacle que j’ai vu un mercredi après-midi quand j’étais à l’école primaire en Belgique. Il ne me reste plus que des sensations et des images, un homme qui accroche son chapeau en entrant dans une pièce. Des grands draps blancs qui s’envolent. Une valise qu’on ouvre. Un chien qui parle. J’étais à la fois subjugué et un peu effrayé. Comme aujourd’hui quand j’entends les gens qui entrent dans la salle avant une représentation…

La Réponse des Hommes de Tiphaine Raffier © Simon Gosselin
La Réponse des Hommes de Tiphaine Raffier © Simon Gosselin

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? 
Quand j’avais 15 ans. Je travaillais dans le cadre d’un cours de français la scène Néron Junie dans Britannicus de Racine.
Adolescent j’étais très différent de la plupart de mes camarades : cheveux roux, bouclés, prénom étrange pour la plupart, à un âge où être dans la normalité est le plus confortable. Et les adolescents ne sont pas tendres avec la différence…
Sur scène j’avais la sensation d’une vie augmentée. Et je découvrais les grands textes. Les grands auteurs. Les grands théoriciens du théâtre et du jeu… Diderot, Stanislavsky, Strasberg… la trilogie gagnante ! 

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
La passion du jeu. Chercher, être en groupe, creuser un sillon, être un relais entre l’auteur et le public, donner à voir l’humain dans sa complexité, ses angles morts, ses contradictions. Et le plaisir de raconter des histoires aussi. Tellement. Et le faire avec d’autres.

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? 
La toute première fois sur scène devant un public, c’était dans un spectacle de mouvement de jeunesse en Belgique. J’avais cinq ans, je traversais le plateau habillé en Schtroumpf. Je m’arrêtais, soudain j’avais une idée et une ampoule sous mon bonnet blanc s’allumait. Nous étions en 1980, l’ampoule était reliée à un câble et à un interrupteur en coulisses… C’était sur la chanson La nuit n’en finit plus de Petula Clark, assez classe. À refaire un jour. Je me souviens du son des réactions dans le public et de mon grand sourire intérieur malgré ma peur. Des effets spéciaux dignes de Spielberg. 

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Les spécialistes de Marthaler, vu au TNS quand j’étais à l’école en 2000. Tout m’avait transporté, subjugué ; la musique, la grâce des interprètes, l’humour de Marthaler, son esthétique et le temps particulier de ses spectacles. Un vrai choc, une claque comme on dit. Je l’ai vu plusieurs fois. 

Quelles sont vos plus belles rencontres ? 
Mais que cette question est difficile… Difficile de quantifier et encore plus de les hiérarchiser pour en extraire les plus belles… Je pense que les plus belles correspondent à l’âge que j’avais et là où j’en étais dans mon parcours…
Vincent Libon à 17 ans, mon premier metteur en scène… Matthieu Cruciani depuis que j’ai mis un pied à Paris en 1998… Madeleine Marion en arrivant à Chaillot la même année, Stéphane Braunschweig à l’école du TNS, Yann-Joël Collin au spectacle de sortie… La liste serait trop longue, car la plupart du temps, de par mon naturel enjoué et enthousiaste, je considère chaque rencontre comme une des plus belles au moment où je traverse l’aventure. Je mets du temps à accepter les projets mais une fois que je suis convaincu… Jean -François Sivadier, Tiphaine Raffier et Vincent Macaigne bien sûr… 

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Je suis hyper actif et je trouve dans mon métier d’acteur un équilibre dans mon déséquilibre… J’aime courir en montagne, traverser des paysages et je retrouve cette même ivresse en ville en traversant des œuvres, des rôles, des langues. Entrer dans le rêve d’un autre. Y déployer ses propres rêves ou cauchemars. 

Qu’est-ce qui vous inspire ?
Je dirais qu’à partir du moment où je travaille un personnage ou un rôle – pour les puristes des distinctions la littérature est abondante sur le sujet – tout ne m’inspire pas mais n’importe quoi peut être susceptible de m’inspirer. Un roman, une toile, une personne aperçue dans un café, un souvenir d’enfance. Je m’inspire souvent de souvenirs de ressenti de l’enfance, c’est comme une période augmentée pour moi où tout était plus intense aussi bien dans les émotions positives que négatives.

De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Je ne suis pas dans un rapport religieux à la scène mais je pense néanmoins que c’est un moment difficile, suspendu. Je comprends ceux qui disent sacré même si ce terme supposerait un rapport de trop grande déférence pour moi et cela m’inhiberait comme une église peut m’inhiber plus que me libérer… Vitez disait qu’on devait mettre plus d’état d’esprit de représentation pendant les répétitions et plus d’état d’esprit de répétitions pendant les représentations – je n’ai pas la citation mais c’était quelque chose de cet ordre – et c’est comme un phare pour moi. Je trouve par exemple que c’est de plus en plus difficile d’avoir des vrais silences au théâtre pendant les répétitions… Il y a toujours des gens dans la salle qui travaillent à autre chose que ce qui se passent au plateau et ça crée souvent des déperditions d’importance, des déperditions d’énergie… C’est comme jouer devant un public quand des gens sont rétro éclairés par la lumière de leur téléphone resté allumé… On est loin du moment de grâce.
Tiens la grâce, me revoilà dans le religieux, comme quoi.

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Le ventre. Je ne suis pas un acteur de poitrine, c’est trop romantique pour moi. Je me méfie beaucoup du romantisme au théâtre, des acteurs qui idéalisent leurs personnages ou qui les défendent comme un avocat défendrait son client avec des circonstances atténuantes. Je pense que ce qui est beau c’est d’exposer une personne dans tout ce qu’elle a de complexe, de contradictoire, d’attirant et de repoussant…

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? 
Vous attendez des noms ou des corps de métiers ? Plus sérieusement j’ai plusieurs fois travailler avec des acteurs américains ou d’autres syriens et j’ai trouvé passionnant de travailler dans une langue. J’aimerais explorer cela, le jeu dans une autre langue que le français, que ça soit au cinéma ou au théâtre…

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Un concert dans un stade. Sous quelle forme ? Je n’en sais rien mais l’expérience d’une foule…
Vous avez dit projet fou. 

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Finnegans Wake. Parce que c’est une œuvre majeure dans mon parcours, j’ai joué le chapitre 1 à l’Aquarium en 2011, qui m’a marquée à vie et qui m’accompagne encore. 
Finnegans Wake parce qu’on n’y comprend rien mais on y ressent tout. Et donc peu à peu on y discerne le sens. Mais pas parce que Joyce chercherait à nous l’expliquer…


La Réponse des Hommes de Tiphaine Raffier
Odéon – Théâtre de l’Europe – Ateliers Berthier
1 Rue André Suares
75017 Paris
Du 9 au 20 janvier 2024
Durée 3h20 avec entracte

Avant la terreur de Vincent Macaigne d’après Shakespeare et autres textes
Création le 5 octobre 2023 à la MC93

tournée
11 et 12 avril 2024 au Quartz, Scène nationale de Brest
19 au 21 avril 2024 au Théâtre Vidy-Lausanne
9 et 10 mai 2024 aux Théâtres de la Ville de Luxembourg
16 et 23 mai 2024 aux Célestins, Théâtre de Lyon
29 et 30 mai 2024 à la Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale
juin 2024 au Printemps des Comédiens, Montpellier
15 au 27 juin à La Colline – théâtre national

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