Sur une musique rythmée rappelant quelques cours d’aérobic, le public entre en salle. Sur la scène, les comédiennes et comédiens sont déjà installés. Jouant des équilibres, ils s’échauffent, prennent la pause, tantôt sur une jambe, tantôt assis, tantôt perchés sur quelques cubes blancs traînant çà et là sur un sol quadrillé. Le ton est donné. S’attachant à rendre au plateau, l’absurde si cher à Eugène Ionesco, Bérangère Vantusso plonge le spectateur dans un univers surréaliste où réalité et fiction improbable se conjuguent parfaitement.
La pensée unique, une épidémie populiste
Bérenger (Thomas Cordeiro) est un fêtard, un alcoolique, un raté dirait certains de ses amis. L’un deux, le très sage Jean (Simon Anglès), le rejoint en cette douce matinée, pour boire un verre à la terrasse d’un café. Alors que le premier dessoule de sa soirée arrosée de la veille, le second lui fait la morale. Un événement étrange va tout changer, leur perception du monde, leur rapport à l’autre. Un Rhinocéros traverse les rues de la ville. C’est le choc, l’incompréhension. À peine le temps de se remettre de cet incident, qu’un deuxième pachyderme fait trembler les murs de la ville, écrase un pauvre chat sur son passage. L’effroi gagne les habitants. C’est le début d’une épidémie, la « rhinocérite ». Va-t-elle tout emporter sur son passage ?
Évidemment chez Ionesco, l’animal à corne est un prétexte, une allégorie. Questionnant notre appétence à faire comme des moutons, à nous fondre dans une pensée unique forcément simpliste et évitant toute remise en cause et toute réflexion, l’auteur de La Cantatrice chauve plonge son héros, un velléitaire, dans une société dont chaque membre l’un après l’autre se laisse séduire, après quelques protestations, par les beaux atours du populisme.
Une ville de porcelaine
Tel un éléphant dans un magasin de Porcelaine, le Rhinocéros, imaginé par Bérangère Vantusso, brise sur son passage les fondements démocratiques, les dernières utopies de liberté et surtout le droit à la différence, à l’altérité. Dans la scénographie immaculée, imaginée par Cerise Guyon, les protagonistes tentent de ne pas céder aux sirènes d’un bien être tout relatif, puisqu’il annihile toute individualité. Construit avec des petits cubes blancs rappelant le carrelage d’une salle de bain, d’un lieu aseptisé, le décor, dont une partie est friable, se casse en mille morceaux, à l’instar des illusions, des résistances de chacun.
Porté par des comédiens tout feu tout flamme et adapté avec ingéniosité par Nicolas Doutey, gommant les aspects vieillissant de la pièce d’Ionesco, le nouveau spectacle de la directrice du Théâtre Olympia – CDN de Tours, depuis quelques semaines, est une machine implacable qui sous prétexte de fable, invite à interroger nos propres principes, notre capacité à ne pas se fondre dans un conformisme d’idéaux. Bravo !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Nancy
Rhinocéros d’après l’œuvre d’Eugène Ionesco
Spectacle créé en janvier 2024 au Théâtre de la Manufacture – CDN de Nancy Lorraine
Théâtre Olympia
7 rue de Lucé
37000 Tours
Durée 1h30 environ
Tournée 2024-2025
5 au 14 décembre au Silvia Monfort, en partenariat avec Le Mouffetard – Centre National de la Marionnette
Tournée 2024
29 février au 4 mars 2024 au Studio théâtre de Vitry, en partenariat avec le Théâtre Jean Vilar de Vitry
4 au 5 avril 2024 au Quai CDN Angers
15 au 20 avril 2024 au Théâtre Joliette – Scène conventionnée art et création expressions et écritures contemporaines
Mise en scène de Bérangère Vantusso assistée de Pauline Rousseau
Adaptation et dramaturgie de Nicolas Doutey
Avec Boris Alestchenkoff, Simon Anglès, Thomas Cordeiro, Hugues De la Salle, Tamara Lipszyc, Maïka Radigales
Collaboration artistique – Philippe Rodriguez-Jorda
Scénographie de Cerise Guyon
Lumières d’Anne Vaglio
Création musicale d’Antonin Leymarie
Costumes de Sara Bartesaghi Gallo & Elise Garraud
Direction technique, régie générale et lumière – Philippe Hariga
Création son de Grégoire Leymarie
Régie son – Vincent Petruzellis
Régie plateau- Léo Taulelle
Accessoires – Sébastien Baille
Construction décor – Fabien Fischer &Maxime Klasen (la Boite à Sel)
Avec la participation à la bande son de Matthieu Ha (voix), Giani Caserotto (guitare), Fabrizio Rat (piano) & Adrian Bourget (mixage et traitement)