Pour son premier spectacle en tant qu’auteur et metteur en scène, Issam Rachyq-Ahrad, ancien élève de l’ERAC, part d’un incident survenu le 11 octobre 2019, au conseil régional de Bourgogne Franche-Comté, pour questionner avec une certaine légèreté et une belle lucidité son identité, ses croyances en la démocratie ainsi qu’aux fondements de la République à l’heure où rien ne semble arrêter les idées rances et réactionnaires de l’extrême-droite.
À l’époque, l’événement, oublié depuis tant d’autres incidents du même acabit se sont malheureusement et dangereusement multipliés, avait fait le buzz. Un élu du Rassemblement national, se voilant de manière fallacieuse derrière les lois de la République et les principes de laïcité, avait exigé de manière vociférante, pour la soi-disant bonne tenue des débats parlementaires, que la présidente de l’assemblée régionale demande à une femme voilée – une maman venue accompagner la classe de son fils à découvrir les rouages de la démocratie française dans le cadre du programme Ma République et moi – de retirer son voile ou de quitter les lieux. L’estocade est violente. La stigmatisation inique.
Des rues de Cognac aux planches de théâtre
Se souvenant de la première fois, où sa mère est venue le chercher voilée à l’école, de la honte ressentie, Issam Rachyq-Ahrad tire les fils des mécanismes de pensées qui ont mené à cette absurdité, à ce comportement haineux, à cet effacement systématique des premiers émigrés pour rentrer dans le rang coûte que coûte, quitte à renier principe, identité, sans parvenir, par manque de connaissance de la langue, à rester soi-même tout en assimilant une nouvelle culture.
Revenant sur sa naissance au Maroc, son arrivée à deux mois à Cognac en Charente, arpentant avec humour ses souvenirs d’enfance choyée bien qu’impécunieuse, racontant la manière dont il s’est construit en tant qu’homme, en tant qu’artiste, il dresse en filigrane le portrait tendre et drôle de sa mère, une femme simple, croyante, aimante qui lui a inculqué valeurs et respect. Jamais moralisateur, toujours positif et hâbleur, il amène le spectateur – peu importe ses origines, sa couleur de peau, ses croyances – , à déplacer son regard, à n’être jamais dans le jugement, et toujours dans la tolérance.
Invitant le public a monter sur la scène du Théâtre de Grasse, où la pièce est jouée dans le cadre du Festival Trajectoires, dans un dispositif des plus intimistes, s’entourant de celles qu’il appelle avec beaucoup d’affection ses mamans de Grasse – toutes sont venues en renfort pour l’aider à préparer le thé et les gâteaux, que l’on peut déguster à la fin du spectacle – , il habite le plateau de sa présence lumineuse, cabotine parfois mais sans jamais grossir le trait, charme d’un regard, d’un sourire ravageur. De La Marseillaise à Lascia ch’io pianga de Haendel, qu’il chante divinement, Issam Rachyq-Ahrad a trouvé le ton juste, le bon esprit. Sa langue fluide, sans prétention, mais profondément humaine, attrape au vol, titille nos consciences et déboulonne imperceptiblement préjugés et idées reçus. Conjuguant habilement divertissement et sujets plus graves, il signe, avec Ma République et moi, un spectacle nécessaire qui, hasard des calendriers, résonne intensément avec l’actualité et montre à quel point la loi immigration est « ridicule et presque illégitime » pour reprendre les mots de la tribune parue en janvier chez nos confrères de L’Humanité et de Médiapart.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Grasse
Ma République et moi d’Issam Rachyq-Ahrad
Festival OFF Avignon
Théâtre des Halles
Rue de Roi René
84000 Avignon.
Du 29 juin au 21 juillet 2024 à 14h, relâche les mercredis.
Durée 1h.
Festival Trajectoires-Carros
Théâtre de Grasse
Jusqu’au 19 janvier 2024.
Tournée
23 et 24 janvier 2024 au CDN-Le Méta Poitiers (86)
22 au 24 février 2024au Grand T Nantes Loire Atlantique (44)
11 au 15 mars 2024 au CDN-Comédie de Caen (14)
21 au 23 mars 2024 au Grand T Nantes Loire Atlantique (44)
27 et 28 mars 2024 à la Scène Nationale Angoulême (16)
30 avril 2024 au CDCN Manufacture Bordeaux (33)
22 au 26 mai 2024 au CDN-TGP de Saint-Denis (93)
mise en scène, interprétation – Issam Rachyq-Ahrad
collaboration artistique – Thibault Amorfini
dramaturgie, scénographie, lumière – Frédéric Hocké
son – Frédéric Minière