Phèdre de Racine, mise en scène de Matthieu Cruciani © Simon Gosselin
© Simon Gosselin

Hélène Viviès, une Phèdre au temps présent 

À la comédie de Colmar, Matthieu Cruciani, co-directeur du lieu, monte la célèbre tragédie de Racine et offre à la comédienne un rôle à sa fascinante démesure. 

Une chambre aux murs décatis, laissant entrevoir la splendeur passée des lieux. Un matelas posé dans un coin, quelques 33 tours et un monticule de vêtements, esquissent l’antre d’un jeune adulte, d’un guerrier qui n’a besoin pour vivre que d’un confort relatif. Fils de Thésée, le roi d’Athènes, Hippolyte (Maurin Ollès) s’est toujours détourné des tentations amoureuses. Tombé malencontreusement amoureux de la belle Aricide (Ambre Febvre), ennemie jurée de son père, il décide de fuir Trézène. Aux pays des amours contrariées, rien de bien extraordinaire. C’est bien triste, mais pas dramatique. 

Pourtant une tragédie s’annonce dans l’ombre. Implacable et furieuse, elle s’apprête à tout dévorer sur son passage, la raison, l’innocence et l’honneur. Atteinte d’un mal étrange, Phèdre (impressionnante Hélène Viviès), belle-mère d’Hyppolite et épouse de Thésée, se meurt. Corps en tension, visage pâle, exsangue, elle n’ose révéler son terrible secret. Œnone (éptante Lina Alsayed), sa nourrice et confidente, finit par lui arracher sa terrible confession, son cœur ravagé par l’incendie inextinguible d’une folle et incestueuse passion. Le beau et pur Hippolyte est l’objet de toute sa flamme. 

La mort annoncée de Thésée (étonnant Thomas Gonzalez) change la donne. Phèdre, veuve, revit et peut sans rougir avouer à Hippolyte ses sentiments. Interdit, le jeune homme ne peut croire en de tels feux et rejette cette passion coupable, d’autant qu’il peut enfin aimer au grand jour celle que tous ses vœux appellent. Blessé mais vivant, le retour du roi est comme un coup de Tonnerre. Les cartes de la destinée à nouveau rebattues, obligent les uns et les autres à revoir leur plan. 

Craignant qu’Hippolyte ne révèle tout à son père, un homme quelque peu tatillon sur son honneur, Œnone pousse Phèdre, pour lui éviter, l’opprobre et le déshonneur, à accuser le jeune homme d’avoir cherché à la violenter. Les dés sont jetés. Les dieux, par jeu ou jalousie, en ont décidé ainsi. La tragédie funeste est en marche. Rien ne pourra plus l’arrêter. Vengeances, orgueil mal placé et manigances vont avoir raison des uns, des autres. L’issue ne peut être que fatale…

Racine et ses vers, c’est tout une histoire. La beauté de la langue du dramaturge, la richesse des rimes, la puissance poétique de ses tirades touchent à l’âme, au cœur. Considérée comme son chef d’œuvre, Phèdre est d’un rare éclat. Les grandes thématiques de la tragédie antique y sont portées à leur acmé. Mais pour que les vers sonnent, ne semblent pas hachés, forcés, il faut des artistes virtuoses, des comédiens aguerris. Dire Racine n’est pas une mince affaire. Avec Hélène VivièsMatthieu Cruciani a fait le choix de l’incandescence, de l’ivresse. Elle est Phèdre jusqu’au bout des ongles. Fragile, exaltée, enragée, elle brûle les planches et donne à son personnage une humanité fiévreuse bouleversante. 

Faisant le choix de l’épure et de la modernité, soulignant ainsi la force émancipatrice du personnage, le metteur en scène fait de la pièce de Racine, une œuvre intemporelle. Malheureusement, la distribution inégale coupe certains effets et fragilise l’ensemble. Souhaitons que la lecture ciselée et vivante de Matthieu Cruciani l’emporte et que les amours impossibles de Phèdre nous tourmentent toujours ! 


Phèdre de Jean Racine
Comédie de Colmar -CDN Grand Est Alscace
6 route d’Ingersheim
68000 Colmar
jusqu’au 2 février 2024
Durée 1h50 environ

Tournée
07 et 08 février 2024 aux Scènes du Jura – Scène nationale de Lons-le-Saunier (39)
13 au 16 février 2024 au Théâtre Olympia – CDN de Tours (37)
07 au 17 mars 2024 aux Gémeaux – Scène nationale de Sceaux (92)

Mise en scène de Matthieu Cruciani assisté de Jules Cibrario*
Avec Lina Alsayed, Jade Emmanuel*, Ambre Febvre, Thomas Gonzalez, Maurin Ollès, Philippe Smith, Hélène Viviès
scénographie de Nicolas Marie
création musicale de Carla Pallone
costumes de Pauline Kieffer
création lumière de Kelig Le Bars
construction décor – Eclectik Scéno – Élisa Martin et Sara Cubaynes (patines) – Atelier Devineau (toile peinte)
régie générale et plateau – Manuel Bertrand, régie lumière – Thierry Gontier, régie son – Ève-Anne Joalland en alternance avec Grégoire Harrer

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