Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Je devais être au CP ou au CE1, j’assistais à un spectacle de marionnettes à l’école. À la fin du spectacle, la marionnette principale s’envolait et disparaissait dans les airs. On nous a tous fait sortir dans la cour pour tenter de l’apercevoir dans le ciel. Il y avait ceux qui n’avaient rien vu, ou qui n’y croyaient pas. Et il y avait ceux qui l’avaient vue. Je faisais partie de ceux-là. J’étais sûr de l’avoir aperçue ! Encore aujourd’hui j’ai l’image de cette marionnette, très haut dans le ciel, avec tous ses rubans de papier qui flottaient autour d’elle…
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Tous les feuilletons que je voyais à la télé, gamin, me donnaient envie d’être acteur, que ce soit Le Club des Cinq ou Les Mystères de l’Ouest. Il me semblait qu’il n’y avait pas de sort plus enviable que celui d’être le héros d’aventures sans cesse renouvelées, qui se terminaient toujours par un épilogue familier, réconfortant, une pirouette ou un trait d’humour. Plus tard, j’ai vu le film Molière d’Ariane Mnouchkine et j’ai été fasciné par l’aventure humaine que représentait le théâtre, la troupe, l’itinérance, les tréteaux… L’entreprise avait un côté épique, et en même temps quelque chose de totalement ancré dans le réel, quelque chose de profondément vivant ! J’ai décidé que je ferais du théâtre.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
C’est d’abord le besoin vital de créer, et de raconter des histoires. Pas tant d’inventer des histoires, mais de les fabriquer, et de les partager. C’est ma fascination pour l’envers du décor, pour le monde mystérieux des coulisses qui m’a attiré vers le théâtre. Et j’ai senti qu’être comédien était le mode d’expression idéal, car il me semblait être le plus complet : une discipline dans laquelle on peut se jeter à corps perdu, où l’on n’a jamais fini d’explorer, d’apprendre, de tenter de nouvelles choses. On n’est jamais trop curieux quand on est comédien, et j’ai tout suite aimé l’idée que tout ce que je vivais, tout ce que j’observais du monde autour de moi pouvait prendre sens et nourrir ce que je faisais sur les planches. Le comédien est un peu comme le creuset de l’alchimiste, où la matière du vécu se transforme…
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en gardez-vous ?
Le premier spectacle auquel j’ai participé, l’été de mes quinze ans, était une fresque retraçant trois cents ans de l’histoire d’une petite ville d’Alsace. On jouait en plein air, sur un immense plateau qui occupait toute la place de la mairie, on était une trentaine sur scène, professionnels et amateurs mélangés. Tout le monde faisait de tout : quand on ne répétait pas, on donnait un coup de main aux décors, aux costumes, aux lumières… J’avais plusieurs rôles, à travers plusieurs époques, un révolutionnaire, un résistant… Je vivais un rêve.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Il y a longtemps, au Théâtre de l’Odéon, Time Rocker, un spectacle musical de Bob Wilson, sur des compositions de Lou Reed jouées en live. Du gros son, des images époustouflantes, une odyssée sonore et visuelle, j’étais transporté.
Plus récemment, au Théâtre des Bouffes du Nord, Cercles/Fiction de Joël Pommerat. Une maîtrise extraordinaire de la lumière et de l’obscurité, les transitions entre les tableaux se faisaient dans un noir total et étaient d’une rapidité hallucinante. Très impressionnant. Le noir total est rare au théâtre. En tant que spectateur, le moment que je préfère est celui où les lumières de la salle baissent progressivement, puis on est plongés quelques secondes dans le noir, jusqu’au moment où le plateau commence à s’éclaircir et où ça commence… Ces quelques secondes sont les plus magiques, je trouve, un entre-deux, un sas entre le monde usuel et le temps suspendu de la représentation.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Ma compagne, mon fils. Et tous ceux qui au fil du chemin ne m’ont pas découragé de croire en mes rêves…
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
C’est comme un besoin vital de témoigner. De rendre compte de la réalité telle qu’elle m’apparaît. C’est un espoir de toucher l’autre, et d’être pleinement au monde. C’est un métier qui permet de voyager d’un univers à l’autre, d’un auteur à l’autre, d’un personnage à l’autre, d’une « famille » à l’autre… J’ai besoin de ce sentiment de liberté, de cet horizon toujours ouvert. Et puis le plateau et les coulisses d’un théâtre sont les lieux où je me sens le plus profondément « chez moi », et c’est important pour l’équilibre de se retrouver chez soi…
Qu’est-ce qui vous inspire ?
La musique, le cinéma, les livres, la photographie, la danse… l’Histoire et les histoires. Les gens. Les découvertes scientifiques et la technologie m’inspirent beaucoup aussi. Et puis marcher ! Marcher le nez en l’air. Marcher en ville, marcher dans la nature, et observer…
De quel ordre est votre rapport la scène ?
Purement physique. Énergétique, vibratoire.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
C’est dans les jambes. Et les abdos : le souffle.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
On verra, la vie est pleine de surprises !
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
L’exploration des confins de l’univers.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Un tableau de Magritte. Celui où l’on aperçoit une maison dans la nuit, avec devant un lampadaire allumé, et derrière un ciel de plein-jour… C’est un tableau qui s’appelle L’empire des lumières, que j’ai pu voir à Venise et qui me fascine, un tableau où le jour et la nuit cohabitent, un tableau où l’impossible apparaît comme tout à fait évident, naturel…
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
L’éducation sentimentale de Gustave Flaubert
Théâtre de Poche Montparnasse
75 bd du Montparnasse
75006 Paris.
Du 29 août 2023 au 3 mars 2024
Du mardi au samedi à 19h, dimanche 15h.
Durée 1h20.