Lorsqu’elle ne relève pas de la dystopie, genre devenu florissant, l’anticipation a le pouvoir de rendre manifeste l’horizon souhaité d’une société. Elle contient alors en elle un moteur d’action politique. C’est ce que à quoi prétend Futur, ou du moins, c’est ce qu’affirment les quelques lignes imprimées sur la feuille de salle. Dès les premières minutes du spectacle, trois voix au micro, façon radio, dans le hors-champ d’un plateau quasi noir, nous racontent l’avenir, pendant que douceur de la prosodie bourgeoise se superpose aux sifflements relaxants d’insectes de forêt vierge.
Que décrivent ces voix ? Un monde où les gens vivent sous le ciel bleu, dans de vastes habitats durables construits sur des champs d’herbe fraîche. Le racisme y a disparu (on ne sait comment), la sexualité est devenue transparente, l’argent a laissé la place au troc. La vie est belle, les oiseaux chantent. Mais à leur écoute, une question se fait jour. Une telle utopie est-elle désirable, ou est-elle insupportable au présent parce qu’inadéquate et hermétique, dans son dessin, au réel à partir duquel on pense ? Les voix poursuivent : elles vont nous montrer le passé (le passé du futur, donc un possible présent) qui a présidé à l’avenir tel qu’il vient d’être raconté. L’origin story de l’utopie.
Double tableau
Flashback : dans les bois, devant une tente en forme de dôme, trois hommes — c’est une pièce (presque) exclusivement masculine — s’amusent à inventer une chanson au hasard, selon un principe d’improvisation seulement guidé par la rime. Sans vision finale, la composition se retrouve à raconter la vie d’un DRH collé à sa photocopieuse. Soudain, un jeune homme apparaît de derrière les arbres, capuche noire sur la tête. Face à lui, les trois campeurs new age se révèlent étonnamment farouches et autoritaires dans la défense de leur pré carré. Leur langage d’urbains caricaturaux s’oppose à la quête noble que révèle le garçon en noir : s’il est là, c’est parce que sa sœur, gravement malade, avait ses habitudes dans ce coin de forêt ; la jeune fille était convaincue d’y entendre un monstre, son frère entend donc capter la présence de la bête par le son, façon Rencontres du troisième type.
Voilà le tableau double sur lequel avance Futur : d’un côté, ce podcast du lendemain, vision suspecte et sans grand intérêt de l’idéal ; de l’autre, ce buddy movie fantastique des sous-bois, opposant le valeureux dessein du garçon à l’idiotie hagarde des trois amis. L’ironie avec laquelle est traitée ce face-à-face devient vite insupportable, le second degré étouffant (il l’est souvent au théâtre), d’autant plus qu’il apparaît comme un évitement vis-à-vis de tout ce que la pièce peut offrir de politique. L’alternance successive des scènes de forêt, où la recherche du monstre avance lentement, et des pastilles sonores émises du futur, tourne court.
Ridicule mélancolique
Pourtant, tout cela dure trop longtemps pour être le simple fait d’une erreur d’écriture. Un mystère commence à sourdre, qui finira par faire dérailler le programme qui s’exposait dès le titre. Ce retournement est d’autant plus surprenant que la pièce était sur le point de sacrifier jusqu’au dernier espoir de spectateur sur l’autel d’une ironie frileuse. Il entérine l’abandon complet de toute velléité divinatoire, après avoir montré celle-ci comme un rêve empoisonné. La pièce bascule alors dans une chanson autotunée à la PNL qui semble naître de nulle part, mais qui constitue en réalité le seul aboutissement logique du présent figuré par la pièce : celui d’existences errantes dont le ridicule cache une mélancolie sous-jacente.
C’est par son indétermination que cette fin parvient somme toute à sauver l’entreprise. Par ses accents de romantisme spielbergien, aussi. Face à l’aveu d’une incapacité tellement banale et commune à imaginer un futur, la pièce dit autre chose : qu’il vaut peut-être mieux chercher, et défendre, tout ce qui ressemble à une fin ouverte. Cette assertion n’a rien de révolutionnaire, mais elle constitue, dans la pièce, une scorie judicieuse dans une vaine utopie.
Samuel Gleyze-Esteban
Futur du Groupe Fantôme
Les Plateaux Sauvages
5 rue des Platrières 75020 Paris
Du 29 janvier au 10 février 2024
Durée 1h20
Tournée
Le 26 mars au Théâtre de Châtillon
En novembre aux Gémeaux – Scène nationale de Sceaux
En novembre au Théâtre de Suresnes Jean Vilar
Conception, texte et mise en scène Clément Aubert, Romain Cottard et Paul Jeanson
Scénographie Heidi Folliet
Costumes Léa Gadbois-Lamer
Assistanat costumes Aude Pelletier
Création lumière Stéphane Deschamps
Création musicale et sonore Colombine Jacquemont et Émilien Serrault
Avec Clément Aubert, Romain Cottard, Colombine Jacquemont, Paul Jeanson et Émilien Serrault