Place de la République, malgré un vent glacial, les enfants du quartier ont investi les lieux, jouent aux échecs, font du roller ou tout simplement s’amusent à se raconter des histoires. Au café du Crowne Plaza Paris, François Praud profite des derniers rayons de soleil de l’année, bien au chaud derrière les grandes verrières. Le sourire aux lèvres, il contemple le monde qui défile devant ses yeux. Vendéen d’origine, le jeune homme a découvert l’art par hasard. « Le père de ma meilleure amie, qui n’était autre que ma voisine, était pianiste organiste. Quand elle a eu cinq ans, il l’a inscrite à des cours de piano. Sans réfléchir, j’ai voulu faire comme elle. C’est comme ça que j’ai commencé la musique. J’en ai fait pendant plus de dix ans. Je me produisais dans des maisons de retraite, des lieux de convivialité. Mais c’est un instrument très solitaire. Alors quand j’ai découvert le théâtre grâce à une compagnie amateur Le Strapontin qui se produisait aux Herbiers, à côté de là où j’ai grandi, j’ai été fasciné par ce travail de troupe. J’avais envie de partager et de découvrir ce travail collectif. Il y avait en moi comme une attirance à me construire une famille de scène. » Dans la foulée, l’adolescent intègre la compagnie et fait ses premiers pas sur des tréteaux. S’il délaisse un temps le piano pour se consacrer au théâtre, il y revient avec plus d’ardeur et de ferveur. « Après quatre ans d’arrêt, la première fois où j’ai effleuré à nouveau les touches blanche et noires, j’ai ressenti toute la liberté que m’offrait cet instrument. Des notes plein la tête, des mots qui se bousculent, j’ai commencé à imaginer mes propres compositions et mes propres chansons en anglais. C’est un vrai partenaire de vie. Je ne pourrais vivre sans. »
Au programme théâtre et psycho
À 17 ans, alors en terminale scientifique dans un lycée vendéen, François Praud entre au conservatoire de Nantes. « C’était une période très intense, mais tellement passionnante. J’avais avec l’accord de mon établissement scolaire aménagé mon emploi du temps pour pouvoir dégager deux après-midis par semaine et faire des allers-retours. Une fois que j’ai eu le bac, j’ai continué mes études en fac de psycho, passé les concours nationaux dans les grandes écoles d’art dramatique. J’ai fait le grand chelem. J’avais mis toute mes chances de mon côté. Et puis au moins si je ratais tout, je deviendrais neuropsychologue. »
Pris à l’Etsba, l’école associée au TnBA, nouvellement créée par Dominique Pitoiset, il s’installe à Bordeaux pour trois ans. « J’ai fait partie de la première promotion, celle qui a vu naître notamment le collectif Os’o. C’était une sacrée aventure. On essuyait les plâtres, mais il y avait une telle euphorie, une telle émulation, que cela nous a donné à tous le goût de nous dépasser, de croire en l’impossible. » À peine diplômé, l’artiste en herbe monte à Paris, passe et réussit l’examen d’entrée très sélect de l’Académie de la Comédie-Française.
Le chant, un aparté nécessaire
Ayant travaillé le chant à Bordeaux avec, entre autres, Maryse Castet, professeure du Conservatoire de chant lyrique afin d’approfondir sa technique, sous l’impulsion d’Anton Kouznetsov, alors co-directeur de l’Étsba au côté de Dominque Pitoiset, il écrit ses premiers textes en français. « Chaque semaine, il nous demandait de produire du contenu. C’était vraiment l’école à la russe. Mais cela avait l’avantage de nous obliger à être toujours actifs, à ne jamais nous endormir sur nos lauriers. Je lui dois beaucoup, malheureusement il nous a quitté trop tôt. »
Passion chevillée au cœur, François Praud écrit de plus en plus. Encore aujourd’hui, il mène en parallèle sa carrière de comédien et celle de chanteur. Si le 20 janvier, il se produira juste après la représentation de 40° sous zéro au Théâtre du Rond-Point, c’est au Vieux-Colombier que son premier vrai concert a eu lieu. « C’était à l’occasion d’une carte blanche qui était offerte aux élèves-comédiens. Cette année-là, j’ai eu la chance de travailler avec Marie-Sophie Ferdane. Elle avait imaginé un spectacle autour Peanuts de Fausto Paravidino. L’aventure était délirante, mais j’avais envie d’un truc en plus, et comme on pouvait proposer nos propres projets. J’ai demandé à faire un concert pop-rock. Muriel Mayette-Holtz a dit oui tout de suite. Ça été pour moi une expérience incroyable, d’autant que Gina et Nico, coiffeuse et ingé son, se sont mis à la basse et à la batterie pour constituer le groupe. »
Comédien caméléon
D’allure gracile et Juvénile, François Praud peut jouer autant les divas hystériques, les enfants prodiges que les ectoplasmes assassins chez Mayenburg. Du Munstrum Théâtre, dont il est depuis 2013 un des membres, à Anaïs Allais, qu’il a rencontré sur les bancs du conservatoire de Nantes, en passant par Marc Lainé, Jacques Vincey, Catherine Marnas, Nuno Cardoso ou Alfredo Arrias, il ne cesse de se réinventer, de déployer une palette de jeux tout en nuance, subtilité. « Après la Comédie-Française, j’ai eu la chance de rencontrer Omar Porras lors des auditions qu’il faisait passer au théâtre 71 de Malakoff à des comédiens-chanteurs en vue de sa prochaine création, qui était L’Éveil du printemps de Wedekind. Il était très exigeant. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui, car il nous emmenait à un endroit hyper technique, hyper physique, qui demande une vraie concentration. J’ai ainsi réalisé que j’avais trouvé ma place. Qu’être comédien, être sur scène était une évidence. » C’est d’ailleurs à cette occasion qu’il rencontre une grande partie de la troupe qui deviendra le Munstrum. « Lionel (Lingelser) n’était pas sur ce projet de Porras, mais il est venu soutenir avec Louis (Arene) ses anciens camarades de jeu. Rapidement les connexions se sont faites, on a commencé à échanger, à faire des lectures, à imaginer des spectacles. Et en novembre 2014 à La Filature de Mulhouse on créait Le premier spectacle de la compagnie, L’ascension de Jipé. »
Curieux, le jeune artiste s’intéresse à toute forme d’art. Fasciné par Marie-Sophie Ferdane, comédienne qu’il admire, il prend des places pour Vanishing Point et découvre à cette occasion le travail de Marc Lainé. C’est une claque ! « Il y a une telle poésie dans son œuvre. Avec maestria, il conjugue les arts vivants, arrive à entremêler texte, musique et vidéo. Et puis c’est un bel auteur. Il a l’art de faire récit. L’audace de la jeunesse, je lui ai écrit. On a commencé à échanger sur tout sur rien. Un jour, j’ai découvert qu’il animait un stage à Angers. Je lui ai demandé si je pouvais venir. Il m’a dit non. Il y avait plus de place. J’ai insisté. Il a cédé. Une semaine après cet atelier, il m’a appelé pour me dire qu’il m’avait écrit une pièce, La chambre désaccordée, où je devais jouer un enfant prodige. C’était un sacré cadeau ! » Depuis leurs chemins se croisent régulièrement. Ensemble, ils ont créé en 2020 Nosztalgia Express.
Le Munstrum, sa famille de cœur
Très proche de Louis Arene et de Lionel Lingelser, François Praud fait partie de la garde rapprochée du Munstrum. Ensemble, ils aiment défricher des terrains rarement battus, partir à l’aventure, questionner le monde au travers de masques permettant de distordre la réalité, d’inventer de nouveaux paradigmes. « Ce qui est passionnant avec Louis et Lionel, c’est leur capacité à inventer des endroits de liberté, à laisser libre court à notre imaginaire. Le spectacle du siècle est le nom d’un exercice que nous utilisons au début des création. Chacun doit réaliser son spectacle du siècle, selon plusieurs consignes. Par conséquent, les projets commencent toujours par une espèce de grande soupe où tout le monde peut amener ses idées, ses envies, tous ses rêves. C’est ce qui fait la richesse de leur travail et permet d’envisager tous les possibles. Ils sont à l’écoute, ils nous sollicitent beaucoup avant d’orienter le travail vers ce qu’ils ont envie de porter au plateau. C’est comme une sorte d’énorme « cloud » où l’on mettrait à la fois du son, des images, etc. Il y a un grand travail d’improvisation dans les premiers temps. On est comme des enfants dans un bac à sable, puis au fil des répétitions tout s’affine, tout prend forme. »
D’ailleurs, l’idée de faire chanter Irina en ouverture de 40° sous zéro, vient du comédien. « Au tout début du travail sur Copi, j’étais venu avec une maquette, où mon personnage se faisait interviewer par une journaliste et, à un moment, elle se mettait au piano et chantait Girls Wanna Have Fun de Cindy Lauper, en version très slow. Ça leur a plu, c’est resté. Après on s’est amusé. La Coiffe en boules de noël était déjà réalisée par Véronique Soulier-Nguyen qui a fait toutes les coiffes et les maquillages. Simplement elle n’avait pas été distribuée à aucun personnage. De même le patchwork de manteau de ski devait servir de doudou à Irina, mais on ne l’avait pas encore envisagé comme robe. C’est en amalgamant ces différents éléments qu’on a créé le totem. » Des fantaisies de ce genre, il y en a dans le spectacle à foison. Ensemble, ils invitent le public à lâcher prise avec le quotidien, à se laisser emporter vers d’autres horizons et d’autres mondes. Flirtant en permanence avec le granguignolesque, le gore, le trash, le Munstrum théâtre trace sa route. François Praud, dans son sillage, fait parfois des pas de côté, mais c’est toujours auprès des siens, sa bande de potes, ses frères de théâtres qu’il revient.
Actuellement, il avoue que la musique lui prend tout son temps. L’envie de se lancer est de plus en plus prégnante. Dans quelques semaines, son nouvel EP, intitulé Lettres à M, devrait sortir sur les plateformes musicales. Comédien ou chanteur, ne choisissez pas laissez-vous tenter par cet artiste unique au charme certes discret mais à l’immense talent !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
40° sous zéro, d’après L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer & les quatre jumelles de Copi
Conception le Munstrum théâtre (Louis Arene et Lionel Lingelser)
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Du 11 au 27 janvier 2024
Durée 1h45
Tournée
Du 7 au 10 février 2024 aux Célestins – Théâtre de Lyon