Que sont devenus les amoureux des Paysages mineurs ? En 1976, Paul, le bourgeois parisien de gauche, philosophe auréolé du prix Renaudot, et Liliane, sa compagne, jeune provinciale venue s’émanciper à la capitale, se quittaient dans le wagon où ils s’étaient rencontrés sept ans plus tôt. Depuis de l’eau a coulé sous les ponts. Chacun de son côté a construit de nouvelles histoires. Alors, un soir pluvieux de 1992, leur retrouvaille sur le bitume parisien a le goût amer des amours ratées, des passions avortées.
D’allure, ils sont restés peu ou prou les mêmes. Elle est toujours longiligne, mutine aux cheveux courts. Lui dégage la nonchalance énervante d’il y a vingt ans. On croirait qu’ils se sont quittés il y a une heure à peine. Dès les premiers mots échangés, dans cette rue du VIe arrondissement, la tension est palpable. Liliane reste sur sa réserve, se demandant quelle nouvelle entourloupe Paul va bien pouvoir lui servir cette fois-ci. Lui babille. Champion de la rhétorique, il aime parler pour ne rien dire, s’entendre énoncer de grandes théories dont il est le seul à croire encore à la véracité. Jusqu’à l’overdose il blablate, tourne autour du pot, cherche à enrober de miel une demande des plus incongrues, espérant noyer le poisson et obtenir à terme ce qu’il est venu chercher en dernier recours auprès de son ex-compagne du réconfort, une oreille et, pourquoi pas, le gîte.
L’amour et ses conséquences
Petit détail qui a son importance, les deux anciens tourtereaux ont eu, juste après leur rupture, un enfant, Martin. Bon an mal an, ils n’ont eu d’autres choix que de rester liés. Comme toujours, Liliane, devenu prof, a assumé, Paul, écrivain en perte totale de vitesse, a joué les pères de l’air. Rien qui ne peut surprendre. Et pourtant, en ce début de soirée où l’habitude a fait place à la lassitude, tout est-il encore possible entre eux ? En poursuivant l’histoire chaotique de ces deux amants, dont le destin fut scellé, il y a plus de vingt lors d’un voyage en train, tout en s’inspirant de sa propre histoire, Marc Lainé donne à voir au plateau le pouls d’une époque, celle des grandes crises économiques, du chômage galopant, de l’effondrement du bloc socialiste.
Spectacle immersif
Imaginé comme un diptyque, à voir à la suite lors d’une même soirée , le cycle de Liliane et Paul s’immisce au plus près de ce qui unit deux êtres, l’amour, le désir, la colère, la violence, la froideur, l’indifférence. Loin de tout systématisme, l’auteur, metteur en scène et scénographe change de forme, toujours avec la même maîtrise du sens, de l’image et de la poésie. Le grain désuet du premier volet, offrant tout un panel d’imaginaire, fait place à plus de réalisme. Si la vidéo est toujours omniprésente, elle ne sert plus à zoomer sur les personnages, mais plutôt à les envelopper, les avaler à la manière d’une machine à remonter le temps. L’univers ouaté du wagon, propice à l’intimité, a laissé place à l’impersonnalité des rues parisiennes. Le temps n’est plus à la bluette. Liliane s’est émancipée. Les contes et affabulations de son ex, totalement obnubilé par les différences de classe, n’ont quasi plus de prise sur elle. C’est maintenant à leur fils de se raconter….
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Valence
En finir avec leur histoire de Marc Lainé
La Comédie de Valence
Place Charles-Huguenel
26000 Valence
Jusqu’au 19 janvier 2024
durée 1h environ
Tournée du diptyque
24 janvier au 4 février 2024 à la MC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis
7 au 9 février 2024 à Malakoff, Scène nationale
14 au 16 février à La Filature, Mulhouse
15 et 16 mai 2024 au Centre Dramatique National Besançon Franche-Comté
mise en scène et scénographie de Marc Lainé
Avec Vladislav Galard, Adeline Guillot, Vincent Ségal, Antoine de Toffoli et trois caméras motorisées
Musique de Vincent Ségal
Lumière de Kevin Briard
Son de Clément Rousseaux-Barthès
Vidéo de Baptiste Klein
Costumes de Dominique Fournier
Assistanat à la mise en scène: Antoine de Toffoli
Collaboration à la scénographie: Stephan Zimmerli
Regard chorégraphique: Mickaël Phelippeau
Construction décor: Atelier MC2: Maison de la Culture de Grenoble
Texte édité chez Actes Sud-Papiers