Clémence Attar © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Clémence Attar, au cœur de cités réenchantées

À Théâtre ouvert, Louna Billa monte "Les Enchantements", texte qui a valu à la dramaturge d’être lauréate des Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre.

Clémence Attar : Après le bac, je me suis inscrite à La Sorbonne Nouvelle en licence d’études théâtrales et, en parallèle, au conservatoire du XVIIe arrondissement pour la pratique. J’ai ensuite commencé un master à Paris X que je n’ai jamais fini, et j’ai tenté le concours de l’ENSATT, que j’ai eu. Au milieu de tout ça, j’ai décidé à un moment d’arrêter le théâtre pour l’ostéopathie. J’ai fait trois mois d’école pour ensuite abandonner, et revenir à l’écriture. Je crois que d’abord, ce qui m’a donné envie de faire ce métier, c’est que j’ai commencé à aller voir des spectacles très tôt. Et aussi qu’on m’a laissé la possibilité d’envisager l’écriture théâtrale comme une carrière directement, sans jamais me mettre des bâtons dans les roues, au contraire.

Clémence Attar : Au début de l’écriture des Enchantements, il y a la langue. Je l’aime beaucoup. J’aime sa manière de rentrer dans le français pour tout bousculer, de changer des mots, de s’adapter à toutes les situations. Comment elle réinvente. Ensuite, il y a la volonté de construire un récit dans un quartier populaire, mais en changeant d’imaginaire, en s’appliquant à ne mettre aucune violence et aucun antagonisme. Il y a aussi la volonté de participer au mouvement entamé par plusieurs autres artistes de diversification des récits présentés sur les plateaux. Les Enchantements, c’est une histoire, qui est racontée par des personnages, qui fait rire sans jamais se moquer, qui a quelque chose à dire, et qui se passe dans les quartiers populaires. Point. Et les acteurs et actrices qui portent ce texte la défendent comme telle, avec toutes ses complexités, mais aussi avec cette réalité simple.

Clémence Attar : Mes amis, déjà. Ne venant pas moi-même des quartiers qui prennent la parole dans le texte, pour être au plus proche de cette langue, je me suis assise des soirées entières au milieu d’elles et d’eux, je les ai écoutés parler, et à force, mon oreille s’est rappelée de tout. Je ne passais bien évidemment pas du temps avec elles et eux pour prendre quelque chose, l’idée de la pièce est venue bien après. En revanche, au moment où la question de mon texte de première année à l’ENSATT s’est posée, c’est cette langue qui est apparue comme une évidence. Ensuite il y a Spike Lee et PNLDo the Right Thing, surtout. Pour qui a vu le film et lu ou vu la pièce, les rapports se créent dans le traitement de la chaleur et de l’eau. Partout dans le quartier des Enchantements il y a des images du Brooklyn de Spike Lee, des couleurs, des rigoles d’eau, des émanations… Mais il y a aussi, derrière l’humour et l’énergie, une nappe de nostalgie qui plane, comme une instru de PNL qui tournerait en boucle… 

Clémence Attar : D’abord, pour répondre à ce que mes amis m’avaient dit quand je leur avais demandé « en fait, c’est quoi, pour vous, le théâtre ? » Ils et elles m’ont répondu deux types de choses : c’est soit des gens nus qui courent dans le public, soit c’est Molière. Alors j’ai réfléchi à comment faire autrement. J’ai réfléchi à cette langue qui émane des quartiers populaires, et qui maintenant est reprise partout. J’ai réfléchi à l’appropriation de classe. J’ai réfléchi à comment faire un théâtre qui ne ferait pas semblant d’aller chercher les gens, et qui donnerait accès à un récit autre. J’ai pensé à toutes les autres personnes qui font ça, aussi, aujourd’hui. J’ai pensé à Rébecca Chaillon, j’ai pensé à Caroline Guiela Nguyen, j’ai pensé à Bintou Dembélé, à Diaty Diallo… Et la fable des Enchantements s’est construite.

Clémence Attar : Le travail d’adaptation s’est fait pour répondre aux demandes des Louna Billa, la metteuse en scène. À l’origine, nous devions co-diriger le spectacle, mais nous nous sommes rendus compte, avec l’équipe artistique, que le projet avait besoin de se resserrer autour d’un seul cerveau. Je suis donc restée à ses côtés en tant que dramaturge et collaboratrice artistique. Je me suis mise au service de ses idées et de son parti pris, pour remettre la fable du texte au premier plan, pour couper certaines petites choses qui pourraient la diluer. Il s’est agi, surtout, de redéfinir la trajectoire du texte et de l’affuter… 

Clémence Attar : Au moment où nous avons fait le recrutement pour commencer la création, nous étions encore deux à la mise en scène, et j’ai appelé des acteurs et des actrices que mes collègues de jeu ont pu me recommander. « Tiens, appelle Mama, j’ai passé le concours avec elle, elle serait super pour Maï » « Antoine il déchire, appelle-le, il est au CNSAD ». De fait, vu que j’étais dans le circuit des écoles nationales, on m’a recommandé des comédiens et comédiennes d’écoles nationales, mais qui venaient de quartiers populaires. J’ai donc, par exemple, appelé Antoine Kobi en lui proposant de reprendre la langue qu’on l’avait forcé à déposer à la porte du CNSAD pour venir prendre d’assaut les scènes des théâtres publics. Et ensuite, il y a eu sa réponse : « Mais moi des gens comme toi qui viennent pas des quartiers et qui écrivent des textes comme ça qui parlent des quartiers j’en croise vingt par jour alors forcément j’me méfie forcément j’te pose des questions sur pourquoi tu veux faire ça et pourquoi t’as écrit ce texte parce que forcément ça peut être glissant alors j’vérifie et j’ai lu ton texte et je sais maintenant je sais que si on fait pas n’importe quoi en mise en scène ça peut être un vrai banger mais qu’il faut qu’on fasse gaffe à jamais jamais jamais tomber de l’autre côté du fil parce que sinon on va faire un truc vraiment éclaté au sol ». Tous les comédiens et toutes les comédiennes qui suivent ce projet depuis le début ont ensuite accepté de jouer le jeu du dramaturge, puisque la première version du texte qui leur a été envoyée n’était pas finie. Nous avons ensuite passé de longs temps ensemble au téléphone à discuter de certains mots, de certaines expressions, de pourquoi ça sonne bien, pourquoi ça sonne mal. Ce texte, c’est moi qui l’ai écrit, mais c’est avec eux et elles qu’il s’est déployé. Et c’est grâce à eux, grâce à elles, grâce à Louna Billa et grâce à Théâtre Ouvert qu’il existe tel qu’il sera présenté à partir du 15 janvier.

Clémence Attar : À moi, que le spectacle tourne et rencontre son public. Que lui soit donnée la possibilité d’aller jouer dans plein d’endroits différents, face à des scolaires, face à tous les gens qui sourient quand ils entendent cette langue prendre toute la place sur un plateau. On peut me souhaiter que le public l’aime autant que moi je l’aime, et qu’il fasse rire autant que moi il me fait rire. Aux comédien.ne.s, on peut leur souhaiter d’accéder à tous les rôles dont ils et elles auront envie, à des rôles à la hauteur de leur travail, de leur talent et de leur intelligence. Sans leur mettre les barrières qu’on connait. À bas ces barrières. À l’équipe technique du spectacle, on peut souhaiter des projets qui leur laissent les moyens de leur créativité. Et des équipes artistiques qui sauront les apprécier à leur juste valeur. À Louna Billa, que la force inimaginable qu’elle a déployée dans cette création amène le bateau à bon port. Et c’est à cet endroit que l’on se rejoint. Au texte maintenant, on peut lui souhaiter d’avoir profité de mon profil privilégié pour participer à un effort collectif d’ouverture d’une brèche. Je remercie les Éditions Théâtrales, les Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre et Théâtre Ouvert de m’avoir fait confiance, de lui avoir fait confiance, mais j’espère que dans quelques années on l’aura oublié car il sera devenu un parmi tant d’autres. Parce que, derrière lui, mille autres textes parlant cette langue, racontant ces réalités d’une autre manière auront été écrits, publiés, et joués par bien d’autres gens que moi, avec des profils bien différents.


Les Enchantements de Clémence Attar
Théâtre ouvert
159 Avenue Gambetta
75020 Paris
du 15 au 27 janvier 2024
Durée 1h10


Texte édité aux Éditions Théâtrales
Une création du Collectif STP
Mise en scène de Clémence Attar, Louna Billa
Avec Leslie Bouchou Carmine, Mama Bouras, Yasmine Hadj Ali, Antoine Kobi, Eliam Mohammad, Clyde Yeguete
Costumes d’Anouche Garand
Création sonore d’Amaury Dupuis
Création lumières et régie générale – Lucas Collet
Régie lumière – Lucas Collet, Nicolas Zajkowski

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