Qu’est-on en train de voir ? La question se pose d’entrée de jeu, et succède à une autre interrogation : où est-on en train de pénétrer ? L’immense silo qui attend les courageux dans le froid de l’île de loisirs de Saint-Quentin-en-Yvelines est déjà presque un spectacle en lui-même. Un escalier en colimaçon rampe le long de sa paroi circulaire et sert de gradins à un spectacle spectacle hors format. Le dispositif laisse attendre l’une des grandes illuminations que réserve parfois le cirque contemporain quand il devient le formidable champ d’expérimentation mécanique et dynamique qu’il sait être.
L’Absolu balade la tête du spectateur de haut en bas, et sa dramaturgie est celle du déboussolement. Boris Gibé entame la performance dans les airs, et s’enfonce bientôt dans un sable noir, sous nos pieds. Des passages au noir s’assurent, çà et là, de réinitialiser les coordonnées de la perception pour dévoiler les différentes visions sorties du cerveau de l’artiste. Celles-ci dévoilent un imaginaire sombre et absurde, un esprit d’association, un amour pour le mariages des contraires. Il y a l’homme à la tête d’enclume ou celui à la tête en boule disco, le lecteur de livre en feu, ou des citations de grands mythes grecs — Œdipe, Narcisse — lancés pêle-mêle comme dans un livre d’images.
La force circassienne à l’œuvre, principe de stupéfaction par essence, tourne ici à plein régime, si bien qu’elle aurait pu faire l’économie de bribes de texte trop sibyllines pour ne pas sonner comme un simple emballage poétique, ou d’effets sonores très blockbuster qui cachent certes parfaitement les bruits de la technique, mais en rajoutent aussi beaucoup sur les émotions. Au milieu de son silo, le danseur-acrobate amène parfois à rire, parfois à craindre ; on souffre quand il devient un clown malmené, on s’émerveille quand il se tournoie dans les airs. Cela devrait suffire. Le reste, ce surplus symboliste hyper-présent mais parfois difficilement lisible, finit par noyer un peu les beautés du geste, à commencer, à la source, par l’édification un peu folle de cet outil de représentation sans équivalent.
Samuel Gleyze-Esteban
L’Absolu de Boris Gibé
Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines – Scène nationale
Place Georges Pompidou, 78054 Saint-Quentin en Yvelines
Du 9 au 27 janvier 2024
Durée 1h10
Création Boris Gibé
Avec en alternance Piergiorgio Milano, Aimé Rauzier, Boris Gibé
Regard dramaturgique Elsa Dourdet
Regard chorégraphique Samuel Lefeuvre, Florencia Demestri
Costume Sandrine Rozier
Régie technique et plateau Quentin Alart, Armand Barbet, Thomas Nomballais, Martin Pietro, Mona Creuset en alternance
Régie son et lumière Olivier Pfeiffer, Baptiste Lechuga, Matthieu Duval, Mathias Flank en alternance
Scénographie Clara Gay-Bellile et Charles Bédin
Lumière Romain de Lagarde
Réalisation sonore Olivier Pfeiffer