À la Colline-Théâtre national, Marie Nicolle, fidèle entre les fidèles de la Compagnie la Part des Anges, reprend son rôle de mère étouffante dans Neige de Pauline Bureau. Silhouette d’athlète, la comédienne, musicienne à ses heures perdues, habite la scène d’une présence tellurique au service d’un récit féministe et engagé.
© Orry Photographies
Il est dix heures trente du matin. Le ciel est gris. La pluie tombe drue sur le bitume parisien. Devant La colline, bonnet sur la tête, caban bleu, Marie Nicolle passe quelques coups de fil, organise sa journée bien chargée. Se dirigeant vers le café situé juste à côté du théâtre, elle s’installe dans un coin de la salle et commande de sa voix grave un citron pressé. Les premières banalités échangées, son enfance en Normandie, à côté du Havre, celle qui jouait de la guitare n’avait aucun désir d’être artiste revient sur ses premières amours… sportives. « Je voulais devenir championne olympique. Un rêve que j’ai presque touché du doigt. Ma discipline, c’était la course de demi-fond. J’ai participé durant plus de sept ans à des compétitions de haut niveau. » Sa carrière est déjà tracée, fac de médecine, étude de kiné. « J’avais vingt ans. Je ne connaissais rien à l’art vivant. Je suis monté à Paris pour voir un concert de Texas. C’était la première fois que je mettais les pieds dans une salle de spectacle. Cela a été un électrochoc. De ce moment-là, j’ai su que c’était cela que je voulais faire, être sur les planches. Dans la foulée, je me suis inscrite à un stage au Cours Florent. »
La rencontre
Le virus est attrapé. Tout s’enchaîne très vite. Marie Nicolle entre au conservatoire, rencontre Pauline Bureau et sa bande. C’est le début d’une aventure humaine qui perdure encore aujourd’hui. « Il y a eu comme une évidence. Nous étions faits pour nous rencontrer, tisser des liens indéfectibles. C’est une histoire de troupe, une histoire d’amour. Je dirais que c’est la plus belle et la plus longue relation que je n’ai jamais eue avec personne. » Entre eux, tout coule de source. Portés par un désir commun de faire du théâtre et les envies de mise en scène de Pauline Bureau, ils s’attaquent ensemble à l’adaptation de classiques comme Un songe, une nuit d’été et Roméo et Juliette d’après Shakespeare ouRoberto Zucco de Bernard-Marie Koltès.
« Notre grande force est que tout le monde a sa place. C’est comme sur un terrain de foot, chacun sait ce qu’il a à faire. C’est un vrai travail collectif. Il y a une telle alchimie que tout est fluide. On avance ensemble au service du récit. Ce qui est important pour la troupe, c’est de faire corps avec le texte, de raconter une histoire. C’est vraiment là l’essentiel. » Quand on lui demande quel poste elle occupe dans la troupe, Marie Nicolle répond avec amusement, « Peut-être le dossard 10, quelque chose de cet ordre. Après, dans Féminine, j’avais le numéro 9. Comme quoi. »
Un travail collectif
2011 marque un tournant dans le processus créatif de la compagnie. Pauline Bureau passe à l’écriture avec Modèles, une œuvre chorale portée par neuf comédiennes. Puis elle signe Sirènes en 2014, Dormir cent ans en 2015 et Mon Cœur en 2017. Véritable succès public et critique, le spectacle, qui s’inspire des écrits d’Irène Frachon et conte l’histoire d’une femme victime des effets secondaires du Médiator, ouvre à la compagnie de nouveaux horizons et l’installe durablement dans le panorama théâtral. « Bien que Pauline soit notre capitaine, on a toujours travaillé collectif. Elle vient avec des idées, suggère des pistes sur lesquelles on improvise. Chacun à sa manière nourrit le spectacle. Comme elle nous connait bien, elle sait où nous amener et ce qu’elle peut tirer de nous. On participe à notre manière à l’écriture, mais c’est Pauline qui écrit les dialogues, qui construit le fil narratif. C’est elle qui a le final cut. D’une certaine manière, le spectacle se construit comme un film. J’ai vraiment l’impression que la dernière étape de travail a quelque chose à voir avec le montage. Pauline remanie les scènes, change l’ordre parfois, pour que l’ensemble soit le plus cohérent et le plus fluide possible, que cela raconte une histoire. On en revient toujours à ce point. En tant que comédien, notre travail est de faire récit, de porter une aventure. »
Depuis plusieurs créations, Marie Nicolle a basculé de l’autre côté. Fini les rôles de garçons manqués, de gamines, elle joue les mères de famille dans le regard de Pauline Bureau. Étouffante, en quête de maternité ou devant faire face à une prise importante après une grossesse, elle donne à chaque fois une couleur différente aux personnages qu’elle incarne. « J’avoue que cette fois-ci. J’ai eu un peu plus de mal à trouver le ton juste. J’ai mis davantage de temps à m’approprier le rôle. J’avais l’impression que la mère de Neige, était très éloignée de ce que je suis. Elle est assez sèche, rigide et particulièrement phagocytante. Cela a été d’autant plus déstabilisant que Pauline écrit pour nous en sachant qui va jouer quoi. Elle puise dans ce que nous sommes pour croquer les différents protagonistes de ses pièces. Et comme, on travaille depuis maintenant plus de vingt-cinq ans ensemble, elle nous connaît par cœur. Il y a forcément quelque chose de nous dans chaque pièce et dans les personnages que l’on incarne. Après, et c’est ce qui est passionnant, il faut trouver le territoire commun entre elle, moi et le personnage né de son imagination. Pauline part de l’intime, le sien, le mien, celui des autres comédiens, pour aller vers quelque chose de plus universel qui touche tout le monde, parle à tout le monde. »
Des pas de côté musicaux
Comédienne, membre originelle de la compagnie La Part des Anges, Marie Nicolle est une fidèle. L’amitié est son moteur, l’humanité qui se dégage des gens avec qui elle travaille son essence. Courts-métrages surtout, performances parfois, la comédienne s’autorise quelques pas de côté. « Il faut vraiment que ce soit des aventures humaines, avec des gens que j’estime, des amis. Si je ne pouvais travailler qu’avec Pauline et les copains, cela ne me dérangerait absolument. C’est à cet endroit que je me sens la plus heureuse, la plus épanouie. »
Facétieuse, à mille lieues des personnages qu’elle incarne au plateau, la quarantenaire aime durant son temps libre composer des chansons. Certaines ont alimenté Memento, Souviens-toi, un spectacle hybride entre concert et pièce de théâtre, où l’artiste se raconte au fil de l’eau, du temps qui passe et des sons électro-pop-rock. Si l’idée d’écrire une comédie musicale lui trotte dans la tête, mettre en scène l’intéresse, mais uniquement si elle est au plateau. « Si je ne joue pas, j’ai peur d’être trop frustrée. Le désir de fouler les planches, chez moi, est quelque chose de l’ordre du viscéral. » La conversation continue bon train. Les échanges sont chaleureux, mais l’heure de retrouver ses camarades a sonné. Marie Nicolle s’éclipse. Après plusieurs mois en tournée, elle est heureuse d’être à nouveau chez elle, de jouer à La Colline et de continuer encore et toujours à raconter des histoires pour petits et grands.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Neige de Pauline Bureau
Création le 18 octobre 2023 à La Comédie de Saint-Étienne
durée 1h30 environ
Tournée
1er au 22 décembre 2023 à La Colline Théâtre national – Grand Théâtre
11 au 12 janvier 2024 au Bateau Feu Dunkerque
25 janvier 2024 à 20h à Théâtre Le Cratère – Alès
5 au 6 février 2024 – Scène nationale 61 – Alençon-Flers-Mortagne
11 au 12 avril2024 – L’espace des Arts – Chalon sur Saône
17 & 18 avril 2024 – Théâtre de Cornouaille – Scène nationale – Quimper
texte et mise en scène Pauline Bureau assistée de Léa Fouillet
avec Yann Burlot, Camille Garcia, Régis Laroche, Marie Nicolle, Anthony Roullier, Claire Toubin
scénographie et accessoires d’Emmanuelle Roy
costumes d’Alice Touvet
composition musicale et sonore de Vincent Hulot
dramaturgie de Benoîte Bureau
magie et vidéo de Clément Debailleul
lumières de Jean-Luc Chanonat
perruques de Julie Poulain
collaboratrice artistique – Valérie Nègre
cheffe opératrice tournage subaquatique – Florence Levasseur
Construction décor – Atelier de La Comédie de Saint-Étienne