Pour ses au revoir aux planche du TNS, Stanislas Nordey, sous la direction de Christophe Perton, s’empare avec une certaine gourmandise d’un des plus grands poèmes antiques, le seul écrit par Lucrèce, De rerum natura. Écrit soixante-dix ans avant JC, l’œuvre traduite par le metteur en scène et Marie Ndiaye avec la collaboration du latiniste Alain Gluckstein n’a rien perdu de sa force et de sa clairvoyance. Visionnaire, le disciple d’Épicure reprend pas à pas les doctrines de son maître à penser, les fait siennes, les teinte d’une certaine misanthropie, d’un sombre pessimisme, et offre un état du monde et de la nature humaine d’une rare lucidité. Il est sidérant de constater ce que ce texte, vieux de plus de deux milénaires, a gardé d’actualité. Les théories énoncées, que ce soit celles sur la physique des atomes, celles sur la création de la matière ou celles sur la façon dont la connaissance empêche l’obscurantisme, ont encore aujourd’hui toutes leur place et leur pertinence dans certains courants philosophiques contemporains.
Seul sur scène, vêtu à la manière d’un djinn, d’un génie, d’un être quasi mystique, Stanislas Nordey fait sienne la langue de Lucrèce. Détachant chaque mot, chaque syllabe, il invite le public par des adresses directes à suivre le raisonnement sans faille du poète philosophe. De la peste qui fait rage à Athènes et décime sans distinction de classe et de genre les habitants à la mort qui rode partout et qu’il faut accepter puisqu’elle est inéluctable, en passant par la charge anti-religieuse, la capacité de chacun à raisonner par lui-même sans se laisser endoctriner par d’autres ou encore l’immuabilité des atomes, composant avec le vide de toute chose, Lucrèce-Nordey se fait prophète d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Enveloppé par une scénographie, où les images de SMITH et les vidéos de Baptiste Klein, projetées sur trois immenses écrans qui surplombent le plateau, les compositions sonores d’Emmanuel Jessua et Maurice Marius, les lumières ciselées d’Éric Soyer, servent de prolongement à cette expérience métaphysique, le comédien, sans jamais faillir, habite l’espace, le traverse à pas lents, l’arpente de sa silhouette dégingandée. Si parfois l’esprit divague, se laisse porter dans quelques rêveries, il est toujours rattrapé par une idée, une phrase parfaitement affutée. Plus performance que véritable œuvre de théâtre, Évangile de la Nature n’a jamais été aussi vivant et vibrant. Acceptez de vous perdre dans les mots de Lucrèce pour mieux vous retrouver face à vous-même, débarrassé de tout préconçu, de tout préjugé !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Strasbourg
Évangile de la nature d’après De rerum natura de Lucrèce
Salle Gignoux
TNS
1 avenue de la Marseillaise
67000 Strastbourg
jusqu’au 21 décembre 2023
Durée 1h40 environ
Tournée
19 au 23 mars à Châteauvallon-Liberté scène nationale, Toulon
27 mars 2024 au Théâtre Novarina, Thonon-les-Bains
Traduction de Marie Ndiaye de Christophe Perton avec la collaboration d’Alain Gluckstein
Adaptation, mise en scène et scénographie de Christophe Perton
Avec Stanislas Nordey
Composition musicale d’Emmanuel Jessua et Maurice Marius
Lumière d’Éric Soyer
Vidéo de Baptiste Klein
Photographie de Smith
Assistanat à la mise en scène et aux costumes – Ninon Le Chevalier
Assistanat à la scénographie – Clara Hubert