Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
J’ai dû aller au théâtre avec l’école mais je ne m’en souviens pas. Je dirais que c’est Boulevard du Boulevard de Daniel Mesguich au Rond-Point, mais je ne peux pas en dire beaucoup plus. J’étais avec mon beau-père. C’était en 2006, j’avais 20 ans. C’est très lointain. Mais je sais que je venais de commencer à faire du théâtre.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Quand on est petit, on est des comédiens en puissance, on joue, on joue, on joue, on joue à jouer, on fait des spectacles, pour nous-même et aussi pour nos parents. Nous, on ne s’en lasse pas, eux par contre… Ah, ça ! Ils en bouffent des spectacles les parents ! Quand j’avais 10 ans, mon beau-père nous a proposé, à moi et mes copains, de monter un « VRAI » spectacle, et de nous mettre en scène dans Un mot pour un autre de Jean Tardieu. Nous avons répété longtemps et fini par présenter 15 mn de la pièce devant nos familles et amis. J’étais la plus heureuse du monde, j’en faisais des tonnes, je m’amusais énormément. J’étais comme un poisson dans l’eau.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ?
Quand mon père est mort, je suis vite tombée en échec scolaire. Quand je suis arrivée aux années lycée, en accord avec ma mère et mon beau-père, j’ai donc été placée en pension. Cela m’a permis d’avoir mon bac avec mention ! Mais je ne savais absolument pas quoi faire ensuite. Je n’avais pas d’envies « classiques ». Rien ne m’attirait. J’étais très douée en langues mais je ne me voyais ni être prof ni interprète, je trouvais ça rasoir. Comme tout le monde voulait faire du droit, j’ai suivi le mouvement en me disant que si tout le monde faisait ça, c’est que c’était sûrement bien. J’ai tenu un mois puis je suis partie en courant. J’ai fait une bonne déprime qui a duré deux-trois mois. Comme tous les jeunes adultes en devenir un peu paumés qui ne savent pas bien quoi faire d’eux-mêmes, je tournais en rond et je fumais des pétards dans ma chambre. « Un bâton merdeux » disait ma mère avec humour. Ma marraine m’a conseillée de voir un comportementaliste, un psychologue qui aide à se débloquer, à faire avec ses fantômes, ses angoisses. Un jour, à force de discussions, il m’a dit : « donc en fait, vous voulez faire du théâtre ? » et il m’a fait appeler mes parents pour leur annoncer. J’avais peur, je ne pensais pas que c’était « un vrai métier ». Ma mère m’a répondu le plus simplement du monde : « Ah bah super, Nonore ! On t’inscrit au Cours Florent demain ! ». Et c’était parti. Janvier 2006, soit 6 mois après le bac.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Julien Gosselin, la puissance de ses spectacles. C’est bouleversant. Un choc, à chaque fois, dans le corps comme dans le cœur.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Mon amoureux (Hihi). Mais avant ça (parce qu’il est arrivé tard !). Théâtralement parlant : Ma première bande de théâtre, mon collectif d’amis chers et les personnes les plus drôles que je connaisse, le Collectif 49701, que j’ai rencontré au Studio Théâtre d’Asnières à l’époque (2010). Ensemble nous avons adapté (et modernisé) Les trois mousquetaires en série théâtrale. Nous avons découpé le roman en 6 saisons. 6 spectacles donc, que nous jouons en extérieur, in situ, avec la ville comme décor, et que nous tournons depuis plus de 10 ans maintenant. J’incarne Milady. Ça a été ma première rencontre avec un personnage et un magnifique cadeau de la part des autrices et metteuses en scène, Clara Hédouin et Jade Herbulot, assistées à la dramaturgie par Romain de Becdelièvre, producteur à France Culture. Ensuite, au CNSAD, j’ai rencontré ma deuxième famille théâtrale, le Birgit Ensemble, avec qui nous travaillons depuis bientôt 10 ans. Nous créons des spectacles autour de sujets politiques et historiques, écrits et mis en scène par deux formidables artistes, Julie Bertin et Jade Herbulot (cette dernière cumule donc deux compagnies !). Nous sommes entourés par une équipe technique merveilleuse qui nous suit depuis toujours et nous travaillons avec Lucas Lelièvre pour les créations sonores, une pépite !
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Ce métier m’apporte toute ma joie. Il donne un sens à ma vie. Je me sens au bon endroit, alignée, apaisée. Lors de ma première expérience professionnelle, La discrète amoureuse, mis en scène par Justine Heynemann, que nous jouions au théâtre 13, chez notre regrettée Colette Nucci, j’étais dans ma loge juste avant de jouer, avec mes partenaires chéries, clope au bec à la fenêtre (oups), je regardais le ciel, les pigeons, les gens qui marchaient dans la rue, et j’ai éprouvé un grand sentiment de bonheur, je me souviens très bien m’être dit : « Ça y est Éléonore, tu es là où tu dois être, le vide laissé par la mort de ton père est enfin comblé, tu es guérie, grâce au théâtre tu vas pouvoir être heureuse ». C’est un peu pathos, mais c’est vrai, le théâtre est venu panser en moi une plaie profonde.
Que rêver de mieux que ce métier incroyable. Des rencontres sans cesse renouvelées, collaborateurs, partenaires, personnages ! Des tournées dans toute la France, des centaines de voyages, de paysages, d’expériences. Jamais de routine. Chaque soir différent. Chaque projet, chaque public, chaque texte, chaque costume. Embrasser plusieurs vies. Milady, antagoniste envoûtante, Gerarda, amoureuse au sang chaud, Christine Lagarde, Dominique Strauss Kahn, Radovan Karadzic, Charmian, partenaire de Jack London, Ava, directrice de campagne et tant d’autres… Jouer à jouer, comme lorsque nous étions enfants. Retrouver cette fantaisie, cet imaginaire, cette liberté. Et embarquer le public dans une histoire qu’il est venu chercher, comme quand il était enfant et qu’il en demandait une chaque soir, pour s’évader, pour rêver…
Qu’est-ce qui vous inspire ?
L’amour évidemment, sous toutes ses formes.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Une très forte excitation.
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Mmmmh, le périnée !
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Oh bah plein dis donc ! Mais en must have : Julien Gosselin, Wajdi Mouawad, Igor Mendjisky, Les chiens de Navarre.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Avoir un enfant.
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Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Cookie, d’après Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noire de Cookie Mueller.
Théâtre de la Huchette
23 rue de la Huchette
75005 Paris
Du 8 décembre 2023 au 16 mars 2024
Du mardi au samedi à 21h.
Durée 1h10.