Le comédien et metteur en scène Xavier Letourneur fut longtemps directeur artistique du Mélo d’Amélie. À l’occasion des vingt ans de sa mise en scène de J’aime beaucoup ce que vous faites de Carole Greep, nous avons pris rendez-vous avec cet épicurien aux impayables éclats de rire.
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Lundi 25 septembre 2023, c’est la fête aux Caves Saint-Sabin, un endroit improbable qui fut autrefois le fief des soirées Gothiques et Médiévale de Paris et surtout l’endroit où régulièrement l’équipe du Mélo d’Amélie venait célébrer la centième, deux-centième, ou plus, d’un de leurs spectacles. Les souvenirs affluaient dès la descente de l’escalier qui mène aux caves voûtées. Nous, c’est-à-dire tous ceux qui ont participé à l’aventure de la pièce J’aime beaucoup ce que vous faites, dont on commémorait les vingt ans d’existence ! Créée en 2003 au Mélo d’Amélie, elle s’y joue encore, après avoir visité, dans Paris et en tournée, de nombreux théâtres. Au milieu de tout ce monde rayonnait, de sa belle humeur habituelle, le chef, le metteur en scène, Xavier Letourneur. C’est entre les petits fours et les verres de champagne que l’idée nous vient de faire un entretien autour des vingt ans de la pièce, de la belle époque du Mélo d’Amélie.
Agenda oblige, ce n’est que bien des semaines plus tard que nous nous retrouvons chez Flottes, rue de Cambon, à deux pas des jardins des Tuileries. Il m’attend, installé dans un coin de la salle du fond. « On sera tranquilles ! ». Il est 11h30, ce qui nous laisse le temps de faire l’entretien, dans le calme, avant le feu du déjeuner. Il faut le savoir, une des passions de Letourneur est la bonne bouffe. De la gargote à l’étoilé, il connaît toutes les bonnes adresses de France et de Navarre. Les artistes qui l’ont suivi en tournée en savent quelque chose. Le choix du lieu n’est pas anodin. « C’est ici que j’emmenais dîner chaque nouvelle distribution de la pièce ! Tu vas voir, on y mange bien. » Le connaissant, aucune crainte. On lance le dictaphone, nous voilà partis.
Le point de départ
C’est par Étienne de Balasy que le texte de Carole Greep est arrivé dans les mains des directeurs du Mélo d’Amélie, Xavier Letourneur et Michel Rougeron. C’est sa première œuvre, il y en aura plein d’autres ensuite. La pièce ne va pas être montée de suite. « Cela avait besoin d’être un peu retravaillé ». Mais une fois les modifications faites, l’aventure est lancée. Nous sommes en 2003. « Ma première distribution — Juliette Galoisy, Dominique Bastien, David Talbot — avaient déjà tous joué, et souvent, au Mélo d’Amélie. Gaëlle Lebert ne s’y était produite que pendant un mois, mais j’avais vu tout de suite vu qu’elle serait le personnage. Je l’ai appelé en lui disant que j’avais un rôle pour elle, celui d’une gourde. Elle m’a remercié ! Nous avons répété en août en pleine canicule. Il devait faire au moins cinquantes degrés dans la salle ! Juliette venait avec son nourrisson. » Lequel a désormais vingt ans. La première a lieu en septembre sur la petite scène du Mélo. Très vite, le succès est au rendez-vous. Mais pas au point d’imaginer que l’aventure durerait deux décennies plus tard…
Quand on lui demande comment, dans en cette époque du tout jetable, on peut faire tenir un spectacle vingt ans, Xavier Letourneur répond au tac au tac : « par la volonté du directeur-producteur du théâtre, Michel Rougeron qui a pris le risque d’emmener le spectacle après le succès au Mélo d’Amélie, au Café de la Gare, puis au Palais des Glaces, à la Comédie Caumartin. À chaque fois, il fallait avancer de l’argent, publicité, minimum garanti, etc. Ce sont des productions qui ne se font pas comme ça. »
Mais cela signifie aussi changer régulièrement de distribution. « Ça tient aussi à la volonté d’un metteur en scène qui va accepter de reformer des gens, les mettre en place. J’ai été un des premiers à le faire ! Parce que maintenant, pour qu’un spectacle dure longtemps, ils font tous ce que l’on faisait au début au Mélo. » Ce qui a fini par donner un aspect troupe à l’équipe du Mélo. « Quand tu n’as pas affaire à des vedettes, quand des acteurs arrêtent, tu peux les changer. Il y a plein de bonnes comédiennes et bons comédiens. Si tu fais le bon casting, tu les trouves. Les équilibres sont différents mais le spectacle est le même, surtout si c’est le même metteur en scène. » La troisième raison est le théâtre, qui, lui, va décider ou non de maintenir le spectacle. « C’est ainsi que l’on a été à l’affiche de la Comédie Caumartin, pendant sept ans. Pour le Café de la Gare et le Palais des Glaces cela s’est passé en deux temps. On l’a joué dans le premier un an puis on y est revenu six ans quelques années plus tard. Au Palais des glaces cela a été deux fois quatorze mois. »
Le public répond encore à l’appel
Mais, sans le public, cela ne marcherait pas. « Bien sûr, il faut qu’il soit là ! ». Et que le thème plaise encore. Or vingt ans après, « en dehors de deux trois petites choses que l’on a changées, la pièce est toujours d’actualité. Ce qui est normal, car le sujet est universel ! » Le spectacle raconte l’histoire d’une amitié entre deux couples qui vire au cauchemar à la suite d’une mauvaise manipulation sur un portable. De quoi rappeler qu’avant de dire du mal, dans votre voiture, de ceux que vous venez juste d’appeler pour leur dire : « on est sur la route ! » vérifiez d’avoir bien éteint l’engin ! En parlant de celui-ci, il a bien évolué depuis 2003, et là aussi il a fallu faire des castings. « Maintenant, le couple d’invités possède un téléphone dernier cri. Ils se perdent parce qu’ils ne savent pas bien se servir du GPS. Quant au couple qui reçoit, lui, il appartient à ces gens qui refusent le portable. Parce que — et c’est une réplique que l’on a rajoutée — ils estiment que l’on est « fliqué et suivi partout où l’on va ! » La vengeance à la fin se fait par le téléphone. Car ils savent très bien comment cela marche. »
Depuis vingt ans, ils sont nombreux à s’être partagé l’affiche. Quarante-quatre comédiens en tout, et pas des moindres. « Il y a eu des équipes d’artistes qui aujourd’hui travaillent beaucoup, c’est ça qui est fou ! » Une comédie c’est une mécanique, donc il faut trouver les bonnes personnes qui se glisseront dedans. « Et qui apportent aussi leur propre tempérament ! » Mais une fois que l’on a les premières prestations en tête, comment choisit-on les remplaçants ? « Au début, j’ai pris des gens qui étaient surtout passés par le Mélo, comme Loïc Legendre, Sandrine Molaro, Benjamin Alazraki, Morgane Bontemps. Cela marchait par bande. Il y a eu la bande de Christian Dob, celle de Jean-Christophe Barc, puis la bande de Sébastien Castro, ensuite la bande de Loïc Legendre, la bande des Lyonnais avec les Chapuis et ainsi de suite… Par la suite, ils se sont tous « mariés » les uns avec les autres pour monter des spectacles. »
Un vivier formidable
Ceux qui ont fréquenté régulièrement le Mélo d’Amélie depuis son ouverture en 1994 savent que ce tout petit théâtre a été une véritable pépinière dans laquelle une flopée de jeunes artistes en devenir ont pu faire éclore leur talent. « Quand nous l’avons créé, avec Christian Dob, on y a monté nos spectacles mais également ceux d’artistes que je connaissais ou que connaissait Michel Rougeron, via Avignon. Nous avons accueilli Jean-Christophe Barc qui y a créé On choisit pas sa famille. Très vite est arrivé Anthéa Sogno, avec Quoi de neuf Sacha Guitry, puis Les Bodin’s pour la première fois à Paris. Petit à petit, en fonction des spectacles que l’on choisissait et que je mettais en scène, je faisais mes castings avec ces artistes qui avaient joué chez nous et que j’appréciais. »
Parmi tous ces talents, on peut citer Laurent Lafitte, aujourd’hui pensionnaire de la Comédie-Française. « C’était un grand copain de David Talbot. À cette époque, il était en plein doute. David montait Célibataires qu’il avait co-écrit avec Rodolphe Sand. Il lui a proposé de les accompagner dans un petit théâtre, en lui disant : tu vas voir, ils sont dynamiques. Il y est allé. On a amené le spectacle au Splendid. Peu de temps après, il montait son one man show au Palais des Glaces. »
Une époque fascinante
Le Mélo d’Amélie était à la charnière de la dynamique de la grande époque du Café-Théâtre et de la comédie de boulevard. C’était un savant mélange, où jeunes auteurs, metteurs en scène et comédiens étaient très au fait de ça. Letourneur prend l’exemple de Sébastien Castro : « Il est arrivé très tôt tout jeune. Le vaudeville, genre Ray Cooney, c’est son truc. Quand il vient nous voir, à la fin des années 1990, c’est pour nous proposer son one man. On ne programmait pas de seul en scène, mais comme il était fort sympathique on l’a pris. Et puis après, il nous a dit qu’il voulait monter Comment devenir une mère juive en dix leçons de Paul Fuks. On lui dit non, car on ne voulait monter que des créations. Finalement, Michel Rougeron a dit qu’on pouvait les prendre le dimanche. Comme ça a cartonné, il les a emmenés en tournée et dans je ne sais combien de théâtres parisiens. Ensuite, il y a eu Le vison voyageur. À un moment, je lui ai proposé de jouer, avec sa bande, un auteur contemporain plutôt que d’aller chercher des vieilles lunes. C’est ainsi que l’on a monté Amour et Chipolatas de Jean-Luc Lemoine. Qui a été joué deux mille fois sur sept ans. »
Mais aujourd’hui tout cela est plus compliqué. Le monde du théâtre et de la comédie a bien changé. Une aventure comme le Mélo d’Amélie ne semble plus possible. « Il y a tellement de théâtres qui se sont ouverts ces dernières années ! Il y a eu internet et les prix cassés… Ce qui fait que cela devient compliqué de lancer une pièce. Je dirais qu’à partir de 2010-2012, la façon de programmer a changé. C’est devenu difficile ! Il faut de gros moyens pour lancer un spectacle avec des inconnus. » Il faut toute l’abnégation et la volonté de Jean-Luc Lopez qui, après avoir travaillé longtemps auprès de Letourneur et Rougeron, a repris le Mélo d’Amélie et le fait vivre aujourd’hui.
La comédie comme ADN
Xavier Letourneur et moi nous nous connaissons depuis l’époque du cours Simon. Il était cadre dans une banque et en même temps élève au cours. J’étais lycéenne rêvant de devenir la gloire du théâtre Français. Nous étions à la fin des années 1970. Chaque mercredi, j’arrivais bien avant l’heure de mon cours, pour regarder les grands travailler. Ceux-ci m’appelaient « la petite » et pour beaucoup le surnom m’est resté. Quant à Xavier Letourneur on peut dire qu’il en a fait du chemin le « Baba cadre » !
« Pendant mes années au cours simon, j’étais baigné par Le Café de la Gare, le Splendid. Quand j’ai vu Le père noël est une ordure rue des lombards, il y avait vingt-cinq spectateurs. On a monté notre premier spectacle avec des amis, c’était un drame de Claude-Michel Rome. On l’a joué au Fanal à Paris. Cela a été un bide total. Personne n’est venu. J’ai alors dit : les gars, il faut que l’on fasse de la comédie ! Mon obsession, c’était de monter des comédies. Et puis j’ai rencontré Dob. Il y a eu Passage à vide. Et on a essayé de continuer. »
Et il a bien fait. Durant des années, il a été à la tête d’une cavalerie de joyeux drilles qui ont créé des pièces d’Eric Assous et Ivan Calbérac, entre autres. Il a été comédien dans de nombreuses pièces, films et téléfilms. On a beau en être au trentième, on voit toujours ses spectacles avec plus de bonheur que de déception. Car Xavier Letourneur est ce que l’on nomme une belle nature et un artiste talentueux.
À table !
Nous arrivons à la fin de notre entretien. Un vieux monsieur qui, tel un habitué, s’était installé discrètement à sa table pour déjeuner avant tout le monde, vient vers nous. Il nous demande tout timidement si nous sommes « du théâtre », puis nous demande si Jean-Philippe Puymartin, qu’il a beaucoup aimé à la Comédie-Française, était encore dans le métier. Nous le rassurons. Il nous remercie et repart. Il est l’heure d’attaquer des choses autrement sérieuses, à savoir le déjeuner.
Tous ceux qui le connaissent savent que c’est une expérience de regarder Xavier Letourneur chercher dans une carte ce qu’il va devoir commander. Ce n’est pas une mince affaire, tant sa gourmandise le fait douter. Durant le déjeuner, nous évoquons quelques souvenirs communs dont le célèbre Côte de Blaye blanc qui était servi au bar du Mélo et que l’on citait dans nos articles. Des amis disparus comme Thierry Liagre et Véronique Barrault s’immiscent dans nos souvenirs. Puis, en passionnés en tout genre de théâtre, nous devisons sur les spectacles que nous avons vus récemment. Lorsque l’on se lève pour se séparer, je me rends compte que toutes les tables de la brasserie sont pleines, bruissant de vie. Et comme on ne peut pas quitter Xavier Letourneur sans un éclat de rire, c’est dans l’un d’eux que l’on repart. Et c’est toujours agréable !
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
J’aime beaucoup ce que vous faites de Carole Greep
Mélo d’Amélie
4 rue Marie Stuart
75002 Paris.
jusqu’au 6 janvier 2024.
Les vendredis à 19h30, les samedis à 17h30 et 19h30.
Durée 1h15.
Mise en scène de Xavier Letourneur.
Avec en alternance Adeline Messaien, Cécile Coves, Floriane Jourdain, Julien Breton, Matthieu Gautier, Mikael Pecard, Tibrizi Amari, Virigien Stref.
Décor de Thierry Benoist.
Musique Alexis Degay.