À l’Espace des arts – Scène nationale de Chalon-sur-Saône, le Festival Transdanses a fait le plein. Sous l’impulsion de son directeur, Nicolas Royer, la programmation fait le grand écart entre les rêves avortés d’Amazonie de Justine Berthillot et de Mosi Espinoza, et le pas de deux percussif, dévorant de François Chaignaud et Aymeric Hainaux.
© Julien Piffaut
En ce mois de novembre, un froid saisissant règne dans les rues chalonnaises. Pas un chat sur le parvis de l’Espace des arts. Les festivaliers ont pris d’assaut le foyer, le bar et l’espace d’exposition qui propose une mise en bouche au spectacle à venir du duo circassien Justine Berthillot et de Mosi Espinoza. La cloche retentit. Les spectateurs prennent place dans le Petit Espace. Aveuglés par des projecteurs braqués sur eux, chacun s’installe, curieux de découvrir ce qui s’annonce comme une suite logique du fascinant Notre forêt, présenté il y a deux ans quelques étages plus haut, dans la partie réservée aux artistes en résidence.
Une histoire de l’Amazonie
Fascinés par l’Amazonie, ses mystères, ses blessures, Justine Berthillot et son partenaire Mosi Espinoza, originaire du Pérou, imaginent une fresque baroque autant que tragique, où se conjuguent dans un malstrom burlesque les arts vivants. S’inspirant autant de l’œuvre cinématographique du réalisateur allemand Werner Herzog, et tout particulièrement de Fitzcarraldo et Aguirre, que de leurs propres expériences, les deux circassiens portent au plateau l’histoire d’une région, les luttes politiques, écologiques, et sociales des peuples autochtones. De la colonisation espagnole aux ravages de la déforestation, c’est tout un monde de violence et de barbarie qui s’esquisse dans les gestes saccadés, les danses avortées.
Créé le 17 novembre dernier, à l’occasion de la Nuit du Crique au cirque théâtre d’Elbeuf, On ne fait pas de pacte avec les bêtes a tout d’un voyage en accéléré à travers le temps et l’espace afin de dénoncer de manière hyperbolique l’exploitation de la forêt amazonienne et de ses habitants. Généreux à l’excès, les deux artistes finissent par se perdre dans un foisonnement d’idées, de sujets évoqués et d’une scénographie brouillonne. La coupe artistique finit par déborder, par brouiller le message. Seul le spectacle ne se suffit pas à lui-même, afin d’en comprendre les subtilités, les multiples références, notes d’intentions et visionnage du documentaire s’avèrent nécessaires. Le trop étant l’ennemi du bien, faute d’un propos resserré et en absence d’une dramaturgie claire, cet opéra écologique, premier spectacle du duo Justine Berthillot–Mosi Espinoza laisse un goût d’inachevé. Dommage !
Fureur de vivre
La soirée se poursuit sur le grand plateau de l’Espace des Arts. Autour d’une estrade d’à peine quelques mètres carrés, quelques chaises, quelques coussins ont été installés. Alors que le public fait son entrée, François Chaignaud, tel un matador, tourne autour d’un corps inerte allongé sous un drap rouge. Il l’observe, le jauge, le manipule et le déplace en silence. C’est le début d’un pas deux, d’une union sacrée autant que d’un combat entre deux êtres, deux âmes. L’un est danseur-chanteur-chorégraphe, l’autre est un beatbox humain. Jouant sur l’attraction autant que sur la répulsion, le duo réinvente et multiplie à l’infini le concept même du mirliton, ce tube creux garni à ses deux extrémités d’une membrane, dans lequel on chantonne un air.
Ici la mélopée et l’harmonie ne viendront que de l’épuisement, que de la fureur décuplée de deux êtres, qui frappent à coups de bâton ferré, de pieds, de chaussures coqués le sol et de beats hurlés au micro. Déchaînés, amoureux, furieux, François Chaignaud et Ayméric Hainaux se font face et luttent l’un contre l’autre. Corps en tension, muscles bandés, les deux artistes entrent en transe, s’énivrent de l’autre et embarquent le public dans un tourbillon de sons, de mouvements jusqu’au vertige. Le geste est puissant, hypnotique. Avec Mirlitons, l’iconoclaste Chaignaud poursuit son exploration d’un univers artistique sans frontières et sans limites. Du grand art fiévreux, fébrile, profondément virtuose !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Châlon-sur-Saône
Festival Transdanses
Du 11 au 25 novembre 2023
Espace des arts -Scène nationale de Châlon-sur-Saône