Quelle est la genèse du projet ?
Superamas : Nous poursuivons le travail entamé avec L’homme qui tua Mouammar Kadhafi. C’est-à-dire un travail, aux airs journalistiques, qui joue de la frontière entre le vrai et le faux, afin d’explorer jusqu’où on est prêt à croire quand tout semble réel. Cette fois, nous avons décidé d’enquêter sur ce qui est arrivé à la sœur de l’actrice Pauline Paolini. Tombée sous l’emprise d’un naturopathe, qui derrière un masque sympathique cache un discours complotiste et extrémiste, la jumelle de la comédienne s’est éloignée de ses proches, avant de disparaître tragiquement. Avec l’aide de Superamas, Pauline décide d’enquêter sur cet homme -sorte de mélange entre Thierry Casasnovas et Alain Soral, afin de comprendre sa manière de faire. Voilà pour la narration.
Mais ce qui nous a également passionnés dans cette enquête sur le discours complotiste, c’est la porosité entre illusion et réalité : comment un discours totalement fictionnel peut donner aussi facilement l’impression de dire le vrai. Finalement, c’est presque comme au théâtre. On accepte de croire le temps de la représentation à la vérité de l’histoire qui se joue devant nous. La grande différence entre l’art dramatique et la « fake news », en fait, c’est le cadre. Au théâtre, la distance avec ce qui nous est donné à voir, permet la catharsis. Alors que lorsqu’on écoute un discours complotiste, il n’y a plus de filtre, il n’y a plus de cadre, il n’y a plus de distance : les gens sont littéralement immergés dans la fiction. Et certains se font avoir.
Quel est votre moteur ?
Superamas : Tout simplement de traiter au plateau la manière dont ces discours, s’emparent d’arguments et d’artifices, dont les ficelles nous sont connues, pour les rendre plus vrais que nature. C’est pour nous une façon de mettre en abîme ces phénomènes de croyance. Le théâtre n’est pas qu’un lieu où passer un bon moment. Il peut aussi être le lieu d’une réflexion sur le monde qui nous entoure. Pas dans la posture d’un juge qui distribue les bons ou les mauvais points, mais plutôt en offrant aux spectateurs un « écorché » de la société -comme en anatomie- à partir duquel la réflexion est possible. Notre ambition est de décaler le regard des gens sur ce qu’ils observent au quotidien, en leur proposant un autre point de vue. Celui d’artistes.
Vous abordez dans ce projet nombre de sujets brûlants, la montée de l’extrême droite, la « gourouification » de certains politiques, etc.
Superamas : Bunker est né de l’actualité, de ce que l’on vit, ou voit au quotidien aux infos. Avec le Covid, puis avec l’Ukraine et maintenant avec Israël, on observe une augmentation des narratifs complotistes. C’est bien évidement lié au développement des réseaux sociaux, mais pas uniquement. La défiance d’un certain nombre de nos concitoyens à l’égard des médias, des politiques, des scientifiques -en fait de l’ensemble des autorités épistémiques- y contribue aussi.
Les épidémies, les guerres, le réchauffement climati que: des événements majeurs chamboulent notre quotidien. Cela fait beaucoup à digérer. Et tout le monde n’a pas la même capacité d’adaptation à ces changements. Des changements dont le sens même nous échappe à une époque où, depuis Nietzsche, « Dieu est mort ». Trouver un sens à ce qui nous arrive est un réflexe proprement humain.
Malheureusement, certains profitent de ce réflexe pour produire un discours pseudo-explicatif dont le véritable objectif est moins de comprendre une situation, que de se mettre en avant et de trouver un public. Aujourd’hui, le tweet de quelqu’un qui n’y connait rien a autant, si ce n’est plus de poids, que la thèse d’un spécialiste qui travaille sur la question depuis des années. Ce qui ne portait pas à conséquence avant, avec les réseaux sociaux, devient un phénomène mondial avec la création de communautés qui croient à tout et n’importe quoi.
Comment en tant que collectif, travaillez-vous au plateau ?
Superamas : Aujourd’hui, il y a beaucoup de collectifs. Le mot est à la mode, et à mon sens, il est un peu galvaudé. Pour notre part, ça fait 25 ans que nous avons créé Superamas et que nous travaillons réellement collectivement. Nous sommes tous anonymes, nous ne mettons jamais nos noms en avant. Il n’y a pas de figure d’auteurs, de metteurs en scène, de comédiens ou de techniciens. Nous participons tous à l’élaboration du projet. Tout est toujours signé Superamas, nous n’avons pas de chef et nous sommes tous payés de la même manière quelle que soit notre place dans le spectacle. Bien sûr, il y a toujours une personne à l’origine d’un projet, mais rapidement et de manière organique cela devient un projet commun. L’idée étant que nous sommes souvent plus intelligents à plusieurs que seul.
Au plateau, cela se traduit par de nombreux tests, de nombreux échanges. Nous commençons souvent par des improvisations. Puis nous faisons des choix, de manière collective. Et petit à petit les différents éléments se mettent en place.
Combien êtes-vous dans le collectif ?
Superamas : Nous sommes quatre artistes, et une administratrice. Puis, en fonction des projets, nous faisons appel à des performeurs, des acteurs ou des danseurs extérieurs. Pour Bunker, nous sommes deux membres du collectif au plateau, un troisième en technique et le quatrième en regard extérieur. Sont venus nous rejoindre un éclairagiste et la comédienne principale, Pauline Paolini, qui joue son propre rôle.
Comment se passent les répétitions au Manège ?
Superamas : Très bien comme toujours. Ce n’est pas la première fois que nous créons ici. Comme le dit Géraud Didier, le directeur du Manège, nous sommes des artistes infiltrés, pour ne pas dire associés.
La manière dont nous accueille le Manège est très appréciable. Elle ressemble à ce qui se fait en Belgique, et plus particulièrement en Flandres où nous avons très souvent travaillé. L’équipe est très chaleureuse, très à l’écoute. Mais surtout elle comprend bien que la fonction d’un théâtre est de rendre possible la rencontre d’une proposition artistique d’une part, et d’un public de l’autre. Ça pourrait sembler trivial, mais c’est fondamental, car ça donne une direction tout autre que celle qu’empruntent malheureusement certains théâtres, où l’objectif semble être limité à l’optimisation du fonctionnement. Depuis plusieurs années, Géraud a fait le choix d’une scène nationale véritablement dédiée à la création, en la dotant notamment d’une offre conséquente d’hébergements pour les artistes. C’est aussi en faisant ces choix et en se donnant les moyens d’une permanence artistique, qu’on parvient à tisser des liens entre des artistes et un territoire. Et ça, c’est très appréciable.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Bunker de Superamas
Créé le 7 novembre 2023 au Manège Maubeuge, scène nationale transfrontalière
Création
21 et 22 novembre 2023 au Centre Culturel André Malraux, Scène nationale,Vandoeuvre-lès-Nancy
30 mai 2024 à L’Usine à gaz, Nyon (CH)
juillet 2024 au 11.avignon, Festival OFF d’Avignon
Conçu, écrit et réalisé par Superamas
Interprété par Pauline Paolini et Superamas
Avec la participation de Emmanuelle Danblon, Sebastian Dieguez, Diederik Peeters et Thierry Ripoll