Le Turak Théâtre, codirigé par Michel Laubu et Emili Hufnagel, présente ses nouvelles créations regroupées en un diptyque dont le thème tourne autour du « grand bazar de la mémoire et de la famille ». Vaste programme !
Saga Familia – Les lustres inconnus © Raphael Licandro
Ma toute première visite de ce pays fabuleux a eu lieu en 2005 au Théâtre de la Cité Internationale à Paris. Le spectacle s’intitulait L’épaule Nord. Un véritable « OVNI inter-rêverie » dont je garde en mémoire la féerie de ses images et la drôlerie des propos. C’est ainsi que leur univers, fait de bric et de broc, d’ustensiles et objets en tout genre, de ces petits êtres à la tête grise, de ces pingouins malins et ces œufs tous neufs sont entrés dans ma vie. Donc, ce n’est pas sans déplaisir que j’ai répondu à l’appel de la compagnie à gravir les monts merveilleux de ses deux nouvelles créations.
La mémoire familiale où la carte mère
La première escale a eu lieu à la MC2 de Grenoble en octobre, où a été créé le premier opus, Ma mère n’est pas un ange (mais j’ai pas trouvé mieux). Ce formidable titre leur a été inspiré par une malicieuse petite fille qui a de qui tenir. Celui-ci est assez parlant pour comprendre que le sujet va tourner autour de cette figure qui nous est chère et qui a souvent le don de nous exaspérer. Au texte et à la mise en scène de cette nouvelle féerie nous, retrouvons Emili Hufnagel.
Le point de départ du spectacle est la lecture des Lettres à de Calamity Jane à sa fille, dont la véracité n’a jamais été prouvée mais qui n’en demeure pas moins délectable. Au fil des étapes, Emili Hufnagel a puisé dans « des multiples histoires de figures de sorcières, de l’exploration intime des héroïnes ordinaires, des anecdotes triviales du quotidien, des bousculades intérieures pour être une femme dans un monde d’hommes. »
Il y est aussi question de la vieillesse et de la solitude qui s’y attache souvent. Une vieille dame indigne s’accroche à son chez elle. Sa fille, ayant sa vie à construire, n’a pas le temps de venir la voir. Lorsqu’au passage d’un échange brouillé au téléphone, elle comprend que rien ne va plus, il est temps pour elle de retourner auprès de sa mère. C’est avec beaucoup de délicatesse que l’autrice-metteuse en scène explore cet instant où les rapports permutent. Que notre mère devient notre « enfant » !
Une fable illustrée
Comme toujours chez les Turak, le décor a son importance. Ici, une sorte de serre en forme de jardin d’hiver. Les rats qui ont pris place chez la vieille dame la font tourner en bourrique. Ce personnage haut en couleur, avec sa crête rouge sur la tête et ses nombreuses couches de vêtements, se débat avec les objets du quotidien, ses souvenirs, ses pensées, son incompréhension du nouveau monde qui se construit autour d’elle. Mené brillamment par trois comédiens-manipulateurs, au son d’une musique très trouvant en nous bien des résonances.
La mémoire historique avec « une grande H »
Novembre, nous voilà partis pour le TNP de Villeurbanne et la création du second opus du diptyque. Là encore, le titre fait mouche ! Saga Familia – Des lustres inconnus est un spectacle dans le pur jus Turak. Non pas que le premier ne le soit pas mais là, nous allons naviguer dans l’humour, les traits d’esprits, les délires et grands bazars du fondateur de la compagnie, Michel Laubu. Nos petits hommes gris ont ouvert en Turakie un musée archéologique censé, (et je dirais même plus, très sensé) retracer l’histoire de l’humanité, guerres et histoires d’amour comprises. L’impayable discours inaugural terminé, ils ferment la boutique et rentrent chez eux !
Et là, des fantômes shakespeariens vont s’amuser à ouvrir des boîtes de pandore, et nous raconter n’importe quoi. Mais comme c’est bien pensé, ça fonctionne. De la Rome antique aux premiers pas de l’homme sur la lune, nos fantômes vont se promener, tout à leur guise, dans les époques, dont la fameuse « Kasserolingien » avec ses casques impayables. Ici, les dictateurs sont des crocodiles qui rêvent de manger des éléphants sans défense. Si ça part dans tous les sens, ça ne perd jamais le nord ! On reconnaît dans ce spectacle toute la loufoquerie bienfaisante des grands du burlesque, du muet aux Monty Python, en passant par notre maître à tous, Pierre Dac.
Un formidable inventaire de l’histoire à la Prévert
Le décor ressemble à une boutique de brocanteur, avec ses lustres posés à terre en guise de rampe, ses caisses à double et triple fonds. Les personnages, manipulés à vue, voguent sur la terre comme sur la lune, se moquant de l’apesanteur. Et puis, il y a toutes ces mappemondes chaplinesques qu’il faut préserver. Au son d’une musique formidablement piochée dans un répertoire classique et rock, les métaphores pleuvent sur nous comme les œufs à Pâques dans le jardin, rassasiant ainsi notre gourmandise. Références poétiques, historiques, politiques, culturelles, linguistes sont menées de mains de maîtres par les comédiens-comédienne-manipulateurs. Un enchantement !
La mémoire familiale et historique forme nos « arbres génialogiques ». Et même si elle flanche parfois, nous joue des tours souvent, elle sert surtout à ne pas perdre le sens des choses de la vie et le cheminement vers un monde futur meilleur. Alors vive la Turakie et ses devoirs de mémoire !
Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Grenoble et Lyon.
Saga Familia – des lustres inconnus de Michel Laubu
Théâtre National Populaire Villeurbanne
Salle Jean Bouise
8 place du Dr Lazare Goujon
69100 Villeurbanne
Du 16 au 26 novembre 2023.
Du mardi au vendredi à 20h30 sauf jeudi à 20h, samedi à 18h.
Durée 1h10.
Tournée 2024
6 au 10 février à la Scène Nationale de Bourg-en-Bresse (01).
19 au 25 février, du 18 au 24 mars (tournée décentralisée) à Maison de la Culture de Bourges (18).
12 avril 2024 à Crêt en Belledonne (38).
13 avril 2024 à St Mury Monteymond (38).
Mise en scène de Michel Laubu et Emili Hufnagel.
Avec Michel Laubu, Patrick Murys, Pierrick Bacher, Timothy Marozzi
Création Lumière Pascal Noël.
Régie générale & Lumière de Maxence Fumet
Musique Pierrick Bacher (composition) et Frédéric Jouhannet (adaptation).
Vidéo de Timothy Marozzi.
Construction masques, marionnettes et accessoires de Michel Laubu avec Charly Frénéa, Yves Perey, Géraldine Bonneton.
Costumes de Emili Hufnagel.
Ma mère n’est pas un ange (mais je n’ai pas trouvé mieux), texte et mise en scène d’Emili Hufnagel.
Création à la MC2 de Grenoble
Du 17 au 19 octobre 2023.
Durée 1h environs.
Tournée 2023-2024 :
6 au 8 décembre 2023 à la Maison de la Culture de Bourges (18).
30 et 31 janvier 2024 à la Scène Nationale Carré Colonnes (33).
12 et 13 mars 2024 au Cratère, Scène Nationale d’Alès (30).
16 et 17 mars 2024 au Théâtre Molière Sète (34).
29 mars 2024 à l’Espace Paul Jargot, Crolles (38).
En complicité avec Michel Laubu
Avec Patrick Murys, Charly Frénéa, Simon Giroud, Audric Fumet ;
Musique de Pierrick Bacher (composition) et Frédéric Jouhannet (adaptation).
Création Lumière de Pascal Noël.
Régie son Hélène Kieffer.
Construction masques, marionnettes et accessoires de Michel Laubu avec Charly Frénéa, Yves Perey, Audrey Vermont, Géraldine Bonneton.
Costumes d’Emili Hufnagel avec Audrey Vermont.
Construction du décor par les ateliers de la Maison de la Culture de Bourges.