Formé à l’École du Nord, ère Rauck, Pierre-Thomas Jourdan revient sur les terres shakespeariennes et retrouve au théâtre de Nanterre-les amandiers, du 2 au 22 décembre 2023, la troupe de Richard II, dirigée au cordeau par le directeur des lieux. Présence gracile, lumineuse, il se glisse avec fougue et délicatesse dans les seconds rôles, prêt à s’envoler vers le devant de la scène. Une révélation !
© Lisa Lesourd
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Un opéra. Je ne sais plus lequel j’ai pu voir ce soir-là, je devais avoir 7 ans. Je me souviens très bien être sorti de la représentation en disant que je n’avais pas aimé, que je m’étais vraiment ennuyé. C’est un souvenir marquant car je sais que je n’ai pas aimé l’expérience, mais je n’ai aucun souvenir de sensation d’ennui. Aujourd’hui, il me reste en mémoire de très belles images, de très belles scènes : deux frères, il me semble, dont l’un accepte sa condamnation à mort pour sauver l’autre. Un souvenir qui contient l’idée qu’un spectacle vit encore bien longtemps après sa représentation.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
La première fois où j’ai pris un cours de théâtre j’y allais comme on fait une activité extra-scolaire le mercredi après-midi, et pourtant j’étais terrifié. Une fois sur le plateau, j’ai eu cette impression de pouvoir dire des mots que j’avais mis des heures à comprendre et à travailler, et la possibilité, debout sur une scène, de les faire parvenir en une seule fois. Je considérais le théâtre, les textes, comme pas pour moi, et sur scène je voyais que mes ami.e.s comprenaient du premier coup. Je dis ça avec du recul, je n’en avais pas conscience à ce moment-là. Cette chose de pouvoir dire des mots, articuler des pensées, sur un plateau d’avoir cette responsabilité de les rendre intelligibles, de pouvoir faire sauter la barrière qu’on peut avoir en fonction du milieu d’où l’on vient face au théâtre, des idées qu’on nous a données sur telle ou telle forme d’art, c’est cela, je pense, qui a déclenché cette envie de continuer sur ce chemin.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Le premier spectacle que j’ai fait n’était pas professionnel. C’était au lycée dans un club de théâtre amateur tenu par un professeur d’histoire amoureux du théâtre. Tous types de textes se côtoyaient joyeusement. J’ai le souvenir d’une troupe. Tous les niveaux étaient mélangés, toutes les filières étaient réunies, et tout le monde était à égalité sur le plateau. On s’entraidait, on travaillait, on riait. On s’unifiait toute l’année pour trois représentations dans un petit théâtre de Montpellier. C’est cette idée de groupe qui m’est avant tout resté, qui m’a profondément marqué.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
L’un de mes plus beaux souvenirs de spectacle vivant est A Quiet Evening of Dance de William Forsythe où, dans le silence, se déroulent les uns après les autres des solos de danse. Je pouvais, sans qu’un seul mot ne soit prononcé, par la simple puissance du corps, me raconter une histoire qui me faisait grandir, comme elle m’ouvrait vers l’autre. C’était extraordinaire, c’était le corps pur, et c’était un monde.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
J’ai eu beaucoup de chance dans mon parcours. La possibilité d’être élève à l’école du Nord, la possibilité aujourd’hui de travailler avec des gens que j’admire, de travailler dans différents domaines : donner des cours à des lycéens, jouer au cinéma avec Christophe Pellet, jouer au théâtre avec Christophe Rauck, être assistant pour de jeunes compagnies, suivre le parcours d’auteurs Passionnants comme Nicolas Girard-Michelotti, porter de nouvelles langues. Mes plus belles rencontres se font dans le travail et chaque nouvelle rencontre est une vraie joie pour moi.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Car il a la grande vertu d’éviter l’ennui : je travaille tout le temps, dans le plaisir. Même quand je ne travaille pas, je lis, je vais voir des spectacles, je relis, je re-travaille ce qui s’est déjà fini, j’essaie d’améliorer, de mieux comprendre, de mieux saisir. De plus, c’est un métier enthousiasmant par le fait que l’on rencontre toujours du monde : de nouvelles équipes artistiques, techniques ou administratives, des spectateur.ice.s. Je me demande souvent ce que je ferais sans les textes, sans cette possibilité de, tous les jours, découvrir un autre univers, une autre pensée, un autre regard. Je n’ai pas encore la réponse.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Tout m’inspire. Quand je travaille un rôle, j’ai tendance à tout voir en fonction de lui. Tout, autant faire pousser une plante chez soi, que d’écouter un.e philosophe, un.e sociologue sur n’importe quel sujet, faire du sport, se balader, découvrir une nouvelle ville, une architecture, découvrir l’œuvre d’un artiste, tout se joint au travail que je fais actuellement.
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Dans les oreilles, dans les pieds, dans le ventre.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Il y en a tellement ! C’est une des possibilités proposées par mon métier, aller d’un regard à l’autre, et c’est une des joies qu’il m’apporte. J’adorerais rencontrer des metteur.se.s en scène comme Julien Gosselin, Tiphaine Raffier, travailler avec Alain Françon, Margaux Eskenazi ou encore Pauline Bayle, j’adorerais aller jouer dans la rue, être entouré de danseur.se.s, d’artistes de cirque, de travailler avec des chanteur.se.s lyriques , allez découvrir comment on travaille, quel rapport on a avec lui en fonction de la discipline exercée. J’ai un bel appétit.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Richard II de William Shakespeare
créatian juillet 2022 au Lycée Aubanel – Festival d’Avignon
reprise au Théâtre Nanterre-amandiers
7 avenue Pablo-Picasso
92022 Nanterre
Du 2 au 22 décembre 2023
Durée 3h05 dont 30 mn d’entracte
Mise en scène de Christophe Rauck
Avec Louis Albertosi, Thierry Bosc, Éric Challier, Murielle Colvez, Cécile Garcia Fogel, Pierre-Thomas Jourdan, Guillaume Lévêque, Micha Lescot, Emmanuel Noblet, Pierre-Henri Puente, Adrien Rouyard
Traduction de Jean-Michel Déprats
Dramaturgie de Lucas Samain
Musique de Sylvain Jacques
Scénographie d’Alain Lagarde
Lumière d’Olivier Oudiou
Vidéo d’Étienne Guiol
Costumes de Coralie Sanvoisin
Masques – Atelier 69
Maquillages et coiffures de Cécile Kretschmar