Paula Giusti, née en Argentine, s’est emparée du roman de sa compatriote Elsa Osorio, Luz ou le temps sauvage. Comédiens et marionnettes se répondent pour nous offrir un spectacle bouleversant sur une période terrible de l’histoire de ce pays, qui a vu tant de ces jeunes gens disparaître et d’enfants être volés.
© Rodolphe Haustraete
En 1976, en Argentine, il ne faisait pas bon être jeune et encore moins d’être dans l’opposition. Depuis des décennies, se suivant et se ressemblant, les dictatures militaires alternaient avec le Péronisme. Dans une atmosphère de terreur, sous le couvert d’une morale catholique stricte, les élans des sixties n’étaient pas bien perçus par les autorités. Pour vivre libre, beaucoup de jeunes gens choisirent l’exil. C’est ainsi qu’arrivèrent à Paris Copi, Jorge Lavelli, Alfredo Arias et le père de Luz, protagoniste de la pièce de Paula Giusti.
La grandeur des folles de la place de Mai
D’autres eurent moins de chance. De 1976 à 1983, dans le cadre du « Processus de réorganisation nationale » des milliers de personnes ont été victimes de disparition forcée. Sur la place de Mai, en face du palais gouvernemental, les mères de ces « disparus » venaient réclamer des nouvelles de leurs gamins et de leurs gamines. Certaines avaient été arrêtées avec leur bébé. D’autres ont accouché lors de leur détention. Ces mômes, devenus « butins de guerre », ont été replacés dans de « bonnes familles ». Le temps a passé. Les plaies sont toujours ouvertes. Les « Mères de Mai » sont devenues les « Grands-mères de Mai ». Leur détermination à retrouver la trace des 500 enfants a permis à ces orphelins malgré eux, ainsi qu’à la nation, de se réapproprier le passé.
C’est justement en devenant mère que Luz sent, au plus profond de sa chair, qu’elle n’est pas la fille de ses parents. Une phrase susurrée à son oreille par une inconnue à la sortie de l’école. La mort brutale, et surtout bizarre, de celui qu’elle pensait être son père, l’empêcha d’y prêter plus d’attention. Ces mots lui reviennent. Elle va mener l’enquête et démêler les fils de son existence. La jeune femme découvre alors qu’elle est l’enfant d’une des victimes de son grand-père, qui n’était autre qu’un des généraux tortionnaires en charge de la répression.
Une mise en abîme pour sortir le passé du gouffre
Paula Giusti, qui a fait partie de la troupe du Théâtre du Soleil, démarre son spectacle à la Pirandello. Six personnages, ayant le désir de raconter une histoire convoquent la metteuse en scène. Sans s’en rendre compte, ils l’obligent à se positionner sur un pan historique de son pays natal, l’Argentine et sur ses « disparus ». Création et réalité vont alors se fondre. Comme si c’était un tout.
Les comédiennes et comédiens se glissent alors dans les rôles de Luz (Armelle Gouget, remarquable), ses deux parents adoptifs (les tout aussi bons Larissa Cholomova et Pablo Delgado), son véritable père (touchant Florian Westerhoff), un sergent servile répondant au nom de La Bête (formidable Dominique Cattani) et la prostituée au grand cœur (Emilia Fullana, admirable). Les marionnettes incarneront les autres protagonistes. Celles-ci sont d’une efficacité redoutable. La musique, composée et interprétée en direct par Carlos Bernardo, accompagne subtilement le spectacle. Il fallait au moins ça pour évoquer le pays du Tango. Dans une suite de tableaux, Paula Giusti fait dérouler les fils complexes de la narration qui permettent à l’histoire, mais surtout aux émotions qu’elles soulèvent, de nous parvenir et nous atteindre.
Marie-Céline Nivière
Luz d’après le roman d’Elsa Osorio, « Luz ou le temps sauvage », publié aux Editions Métailié.
Théâtre du Soleil (salle de répétition)
Cartoucherie – Route du Champs de Manœuvre
75012 Paris.
Du 7 au 26 novembre 2023.
Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h.
Durée 1h40.
Adaptation et mise en scène Paula Giusti.
Jeu et manipulations des marionnettes Dominique Cattani, Larissa Cholomova, Pablo Delgado, Laure Pagès (en alternance avec Emilia Fullana), Florian Westerhoff et Armelle Gouget
Musique sur scène et composition originale de Carlos Bernardo
Assistance à la mise en scène Pablo Delgado.
Stagiaire assistante de création d’accessoires et de décors Léane Coutelier.
Régie générale et lumières de Florian Huet.