M comme Médée d'Astrid Bayiha © Benny

M comme Médée, à l’amour, à la mort 

Au théâtre de la Tempête, Astrid Bayiha présente "M comme Médée", une évocation kaléidoscopique de la mythique princesse de Colchide.

M comme Médée d'Astrid Bayiha © Benny

Au théâtre de la Tempête, Astrid Bayiha porte au plateau les rêves volés, les illusions perdues de Médée, la magicienne, l’amoureuse, la fille, la mère, la meurtrière, l’infanticide. S’emparant de sept œuvres littéraires évoquant cette figure majeure de la tragédie antique, elle esquisse un portrait kaléidoscopique, incandescent et poétique d’une femme qui refuse le carcan dans lequel l’enferme l’inconscient collectif. 

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Des coulisses, une mélopée douce, mélodieuse, tout juste murmurée par la gracieuse Swala Emati, s’élève. À peine audible, elle enveloppe, envoûte. Dans la pénombre, des silhouettes se dessinent. Des femmes, des hommes, toutes des Médée, tous des Jason, prennent place sur la scène. Des gradins, un homme (inénarrable Nelson-Rafaell Madel) sort de l’ombre. De sa voix grave, il plante le décor. Chœur autant que narrateur du récit, il brosse non sans humour le portrait d’une jeune fille en fleur, qu’un amour dévorant va amener au bord du gouffre, de la folie. 

Une passion jusqu’à la déraison
M comme Médée d'Astrid Bayiha © Benny
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Belle, drapée dans une robe bleu azur, Médée (intense Fernanda Barth) fait face aux regards du monde, de ses juges. Elle prend la parole. Rien ne la prédestinait, elle, la fille du roi de Colchide, à devenir cette misérable, cette femme coupable de tous les crimes, la trahison, la fratricide, l’infanticide. Innocente, pure, elle a des rêves plein la tête. Il a suffi d’une silhouette lointaine, un homme, un aventurier fendant les flots sur son fier navire l’Argo, pour que tout bascule. Elle le pressent dans ses entrailles, pour lui, elle sera capable de tout, même du pire. 

Incandescente, irradiante, elle ne cherche pas à se disculper, juste à dire sa vérité, celle d’une femme prisonnière de sa condition qui décide de briser ses chaînes coûte que coûte. Mise au ban de la société, bafouée, reniée jamais elle ne cède. L’exil, elle a donné. Tel un spectre funeste, elle impose sa présence, tous les meurtres, les forfaits qu’elle a commis par amour. Jason (ténébreux Josué Ndofusu et fiévreux Valentin de Carbonnières en alternance avec Anthony Audoux), quant à lui, joue les pleutres, les lâches. Pour un royaume, une vie rangée, où tout le sang versé serait épongé, il est prêt à tout, et tout particulièrement à se débarrasser par tous les moyens de cette encombrante maîtresse. Manipulateur, séducteur, il use de tous ses atouts en finir avec ce fil à la patte. 

La puissance des mots 
M comme Médée d'Astrid Bayiha © Benny
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Avec une belle intelligence, Astrid Bayiha maille un récit choral et intemporel où s’entremêlent avec fluidité les mots de Jean Anouilh, d’Euripide, de Jean-René Lemoine, de Dea Loher, d’Heiner Müller, de Sénèque et de Sara Stridsberg. Loin des clichés, elle ose un conte kaléidoscopique où se dessine en filigrane un portrait contemporain des rapports hommes-femmes. Bien au-delà de la violence, la dramaturge et metteuse en scène évoque le couple, du coup de foudre à sa fin programmée, la complexité de l’âme humaine. 

Dans un décor évoquant le pont d’un bateau, comédiens et comédiennes, tous habités par la flamme de la passion, donnent corps à une Médée mosaïque, un Jason somme toute pluriel. Naviguant sur les eaux troubles de la vie, ils métissent leur talent, conjuguent leur voix pour faire voler en éclat le mythe de la sorcière, de la barbare. Loin de la légende qui lui colle à la peau, la Médée d’Astrid Bayiha touche au cœur et trouve après un long voyage enfin un peu de sérénité. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore 

M comme Médée d’Astrid Bayiha
Théâtre de la Tempête
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
jusqu’au 25 novembre 2023
durée 1h50

Adaptation, dramaturgie et mise en scène d’Astrid Bayiha
avec Fernanda Barth, Jann Beaudry, Valentin de Carbonnières en alternance avec Anthony Audoux, Swala Emati, Daniély Francisque, Nelson-Rafaell Madel, Josué Ndofusu 
scénographie de Camille Vallat 
lumières de Jean-Pierre Népost 
costumes d’Emmanuelle Thomas 
régie générale Alice Marin 
musique de Swala Emati 
adaptation d’après des textes de Jean Anouilh, Euripide, Jean-René Lemoine, Dea Loher, Heiner Müller, Sénèque, Sara Stridsberg 

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