Du 1er au 10 décembre 2023, Laurent Brethome présente au Théâtre des Gémeaux à Sceaux, Amsterdam de Maya Arad Yasur, pièce créée en octobre 2022 au Quai d’Angers. Une belle occasion pour mettre en lumière le travail de ce metteur en scène talentueux.
© Thomas Badreau
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Ma première fois au théâtre… Précisément au théâtre municipal de la Roche-sur-Yon à l’âge de 9 ans pour y voir la mise en scène d’un Labiche par la figure théâtrale de ma commune à l’époque… J’ai su ce jour-là que j’avais sous mes yeux le rêve de toute ma vie à venir…
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
J’ai toujours dit et continue de dire que je ne fais pas une carrière… que je creuse un sillon… Pour moi c’est important de différencier les choses car si j’avais eu le désir « d’embrasser une carrière » j’aurais fait d’autres choix et plus de concessions… Ce que je refuse de faire toujours catégoriquement…
Alors le déclencheur de cette envie « de creuser un sillon » est venu comme l’évidence d’une nécessité, à la fois médicale et scolaire. Médicale car j’ai des tics comportementaux depuis mon enfance qui ont amené le théâtre à moi comme l‘évidence thérapeutique de constater que je n’en faisais plus dès que je montais sur scène. Scolaire car je suis un enfant de la république, passé par toutes les formations publiques, lycée, Conservatoire départemental, régional puis école nationale. Le théâtre, le théâtre et encore le théâtre, il n’y a que cela que je voulais faire et dans lequel j’excellais.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
Cette évidence de pouvoir être comme tout le monde en étant un autre. À partir du moment où je n’avais plus aucun tic en étant sur scène, je n’étais plus l’objet des regards moqueurs et autres brimades du monde extérieur… Être comédien était l’assurance d’un endroit de sécurité et d’anonymat absolu.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Je vais ici parler du premier spectacle sur lequel je fus rémunéré et qui fut le déclencheur de mon désir de mettre en scène par la suite. J’étais en 2ème année en École nationale et nous avions la chance avec ma promotion de pouvoir créer pour la première fois de notre de notre vie dans les conditions professionnelles d’un Centre dramatique national et de pouvoir jouer une série d’une dizaine de représentations. Malheureusement pour mes camarades et moi-même, nous allions vite être confrontés à ce que cette profession peut avoir de plus abominable quand vous vous mesurez à un metteur en scène malveillant et mauvais, mauvais au sens propre comme au figuré.
C’était un Ubu Roi de Jarry et je jouais plein de petits rôles et entre autres celui d’un ours, qui mourrait chaque soir sur scène et restait offert au public au centre du plateau pour les dernières 40 minutes de représentation. Dix soirs à mourir et à attendre aussi longtemps dans un costume d’ours étouffant, j’ai eu le temps de réfléchir…
Réfléchir tout d’abord à la demande insistante et heureuse de ma promotion qui, voulant sortir au plus vite de ce traumatisme humain et artistique, me demandait de les mettre en scène.
Réfléchir ensuite qu’être acteur, c’est n’être pas maître de ses envies et de devoir malheureusement souvent par nécessité accepter de travailler avec des mauvaises personnes…
Alors la mise en scène s’est imposée comme l’évidence de la liberté la plus totale et également de la possibilité de pouvoir répondre aux petits marquis tortionnaires de notre monde théâtral… Quitte à essayer de dire le monde et à défaut d’écrire soi-même ses textes, autant s’enlever un filtre qui nous sépare du public en étant soi-même maître des répertoires que l’on veut porter à la scène.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Ce sont les spectacles d’Olivier Py, mais celui d’avant, l’artiste baroque, impertinent et engagé que la nouvelle génération ne connaît pas, qui ont créé en moi les premières étoiles filantes de mes désirs. Au milieu des années 1990 jusqu’à la fin des années 2000, c’est toute une troupe d’acteurs et d’actrices associé-e-s à une écriture de plateau singulière et magique qui ont porté pour moi le désir fou de vouloir tout oser sur scène.
Et c’est particulièrement le spectacle La Servante d’Olivier Py, marathon théâtral fou de 24h qui retourna mon cœur pour toujours.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Elles sont nombreuses et sans détailler mais pour rendre grâce à ces femmes et ces hommes qui ont fait l’artiste que je suis aujourd’hui je vous dirais : Alain Sabaud, Sonia Soulas, Francis Lebrun, Marie-Pia Bureau, Philippe Sire, Odile Duboc, Madeleine Marion, Farid Bentaieb, François Rancillac, Marie-Annick Mainguy, Alain Moreau, Jean-Claude Berutti, Antoine Gariel, Clémence Labatut.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
J’ai pendant très longtemps défendu l’idée que le théâtre était pour moi comme le sang qui coulait dans mes veines. S’il coulait par intermittence alors mon cœur s’arrêterait de battre. Et puis je suis devenu père… Être papa d’une petite fille a bouleversé et changé ma manière de voir le monde et la façon de vouloir le dire sur scène. Mon métier est toujours un point d’équilibre essentiel de ma vie mais disons aujourd’hui qu’il n’a plus la même place centrale dans la balance de mon équilibre personnel…
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Mes sources d’inspirations sont nombreuses… Mais si je devais me contraindre à leur donner deux lignes directrices, je dirais dans un premier temps que les autres artistes sont une source d’inspiration intarissable. Si je ne devais en citer qu’un, je parlerais de l’œuvre surréaliste de David Lynch qui est une de mes plus grandes sources d’inspiration depuis plus de 20 ans… Son œuvre, tant picturale que cinématographique ou télévisuelle (Twin Peaks, Twin Peaks et encore Twin Peaks, y revenir sans arrêt comme un animal qui irait à la source pour étancher une soif qui ne cessera que le jour de sa mort) est constitutive de nombre des images déployées en plateau dans mes créations.
Dans un deuxième temps je parlerais de mon quotidien en Vendée… Mon « chez moi » hors des réseaux… au bord de l’océan… où les ami(e) s qui composent le paysage de ma vie ne sont pas du métier mais viennent de toutes les branches socioprofessionnelles avec des préoccupations autres que celles observées dans certains cercles de notre profession. Je crois que pour dire le monde sur scène il est fondamental d’y être relié et surtout de ne pas le voir que par le bout de la lorgnette du monde « théâtreux », un terme dépréciatif que j’emploie ici à dessein.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Avec le désir toujours nommé et déployé de ne pas être dans le conflit, d’être en tribu, en famille. Je travaille en équipe (avec une grande fidélité auprès de collaborateurs-trices avec lesquel-le-s je creuse un sillon depuis plus de 10 ans), car je ne saurais travailler autrement. Je crois à l’horizontalité des rapports humains et non à leur verticalité. Je crois mon rapport à la scène aujourd’hui plus apaisé et moins en colère du monde qu’il y a 10 ans, ce qui me permet d’opérer une déconstruction totale dans une quiétude et une tranquillité que je n’avais pas par le passé. Et j’ai toujours cette même maxime de travail en abordant la scène… « Le théâtre est une chose pas sérieuse… qu’il faut savoir faire sérieusement ».
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
À l’endroit même de tout ce que j’ai pu décrire précédemment de mon parcours… Le théâtre est une chose physique qui nous prend au cœur et aux tripes dans toutes les situations auxquelles cette profession peut nous confronter : le mal de bide d’angoisse d’une première le soir même, le mal de crâne de l’inquiétude de ne pouvoir en vivre, le mal de cœur d’une fin d’aventure qui nous laisse en plein chagrin d’amour artistique, le mal de dos de devoir, faute de moyen, composer tous les métiers de notre profession et de parfois devoir, monter et démonter nos décors en jouant entre ces deux moments…
Tout est physique au théâtre car c’est un métier de passion. On ne vient donc pas au théâtre par hasard… C’est angoissant, souvent mal rémunéré, injuste et très précaire.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
David Lynch, David Lynch, David Lynch… et la troupe de la Comédie-Française.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Créer en mode opéra, l’intégral des 7 livres de la saga Harry Potter dans une totale démesure artistique !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Ma vie étant celle d’un « mal-né » qui a réussi à s’extraire de ce qui aurait dû être écrit pour lui à sa naissance, c’est-à-dire très loin du monde artistique en se battant peut-être plus que d’autres pour y arriver, je dirais donc que l’œuvre métaphorique de ma vie pourrait être celle de la figure de Figaro de Beaumarchais. Car « valet ». Oui « Valet », ça me va bien.
Pour tenter de rendre le monde un peu plus juste en tapant sur les puissants et les « bien-nés ».
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Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Amsterdam de Maya Arad Yasur
Texte publié avec le soutien de la Maison Antoine Vitez, centre international de la traduction théâtrale.
Théâtre des Gémeaux
49 avenue. Georges Clemenceau
92330 Sceaux.
Du 1er au 10 décembre 2023.
Les vendredis et samedis à 20h30, dimanche 17h.
Durée 1h30.