En s’emparant de quelques Farces et nouvelles d’Anton Tchekhov, Pierre Pradinas nous offre un cocktail revigorant. La recette est basée sur des textes pleins de finesse et d’humour, des comédiennes et comédiens aux jeux impeccables, une mise en scène loufoque et ingénieuse.
Une demande en mariage d’Anton Tchekhov © Marion Stalens
Pierre Pradinas aime l’humour et tout ce qui peut égayer et attiser nos esprits. On garde en souvenir les nombreux spectacles qu’il a montés avec ses deux complices préférés, à savoir son frère Simon Pradinas et Gabor Rassov. On citera Ce qu’il ne faut pas faire (un chef-d’œuvre), Néron (avec Denis Lavant et Marie Trintignant), Jacques et Mylène (pièce culte avec François Cluzet et Valérie Bonneton), Fantômas revient et Mélodrame(s) (avec Romane Bohringer). Le metteur en scène a monté également, et à sa manière, Molière, Shakespeare, Courteline, Annie Ernaux (L’occupation) et bien sûr Tchekhov (La mouette et Oncle Vania).
Cela faisait des années que Pradinas voulait s’attaquer aux pièces en un acte et aux nouvelles de Tchekhov, des textes nourris par le burlesque des situations et des personnages. Le grand dramaturge russe y dépeint aussi une société en déperdition et des êtres humains totalement dépassés. Ces œuvres datent du XIXe siècle, mais elles n’ont rien perdu de leurs acuités, comme si, finalement, à part ce que l’on nomme le progrès, rien ne bougeait dans notre manière de vivre et de penser.
Une alternance
Trois pièces (Les méfaits du tabac, L’ours et Une demande en mariage) et deux nouvelles (Un drame, La mort d’un fonctionnaire) forment le spectacle mais pas votre soirée ! Explication. Elles ne sont pas jouées toutes en même temps, et selon le calendrier, vous aurez celle-ci et pas l’autre ! Sauf Les méfaits auquel personne n’échappera et c’est tant mieux !
Il en est de même pour les comédiennes et comédiens, Laure Descamps, Maud Gentien, Prune Ventura, Maloue Fourdrinier, Quentin Baillot, Aurélien Chaussade, Romain Bertrand, et Louis Benmokhtar, qui jouent en alternance. Le seul à être là tous les soirs est Philippe Rebot, puisqu’il est le narrateur des Méfaits du tabac ! Mêlant les générations et les tempéraments, Pradinas a constitué une belle troupe. C’est par une astucieuse mise en abîme du théâtre, où l’on voit la mise en place des meubles, accessoires et projecteurs, que le metteur en scène enchaîne les trois saynètes qui agrémentent la soirée. Le soir de notre venue étaient présentés, dans l’ordre, Les méfaits du tabac, Une demande en mariage et Un drame.
Le menu du soir
Les méfaits du tabac est un monologue dont on ne se lasse pas tant il est à la fois drôle et pathétique. Niouchkine est un homme terrorisé par sa femme. Sous le prétexte d’une conférence sur les méfaits du tabac, ce pauvre « raté » nous raconte ses déboires conjugaux. Ce texte sied à merveille à la folie naturelle de Philippe Rebot, grand échalas faussement maladroit. Il porte la misère de son existence avec l’éloquence des poètes !
Une demande en mariage est un classique. Bien des élèves des cours de théâtre d’une certaine époque en connaissent par cœur chaque réplique. Elles sont si savoureuses, mais très difficiles à interpréter. Car il faut de la sincérité. C’est par elle que passe la drôlerie de la situation. Un jeune homme timide vient demander en mariage sa jeune voisine. Très vite une dispute éclate entre les futurs fiancés au sujet d’un pré puis d’un chien. Le duel verbal entre Romain Bertrand et Laure Descamps est mené rondement. Philippe Rebot est impayable dans le rôle du père qui loin d’arbitrer la discorde, jette du feu sur la cendre. Pradinas a réglé, tel un orfèvre, toute la mécanique comique mise en place par Tchekhov. C’est brillant.
La nouvelle, Un drame, est un petit bijou. Pavel Vassiliévitch, auteur connu, voit débarquer chez lui Mme Mourachkine. Contre sa volonté et celle de son valet (Romain Bertand) elle se met à lui lire sa dernière pièce. Quentin Baillot est inénarrable. Jamais les effarements, voire la consternation s’affichant sur le visage d’un homme, n’ont trouvé meilleure interprétation. Laure Descamps, en bourgeoise sûre d’elle, ne craignant aucun ridicule, est d’une efficacité redoutable.
Marie-Céline Nivière
Farces et nouvelles de Tchekhov
Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris.
Jusqu’au 7 janvier 2024.
Du mardi au samedi à 19h, dimanche 16h.
Durée 1h15.
Mise en scène de Pierre Pradinas,
assisté par Simon Courtois.
Avec Quentin Baillot, Louis Benmokhtar, Romain Bertrand, Aurélien Chaussade, Laure Descamps, Maloue Fourdrinier, Maud Gentien, Prune Ventura, Philippe Rebot.
Collaboration artistique de Simon Pradinas.
Création musicale de Christophe « disco » Minck.
Lumières d’Orazio Trotta.
Costumes de Céline Guignard.
Traduction pour les pièces d’André Marcowicz et Françoise Morvan, pour les nouvelles d’Elsa Triolet.