Comment retenir sa respiration de Zinnie Harris, mise en scène de Philippe Saire © Philippe Weissbrodt

Comment retenir sa respiration, la dystopie d’anticipation économico-sentimentale de Philippe Saire 

À l’Arsenic de Lausanne, Philippe Saire adapte pour la première fois en français, "Comment retenir sa respiration" de Zinnie Harris.

Comment retenir sa respiration de Zinnie Harris, mise en scène de Philippe Saire © Philippe Weissbrodt

À l’Arsenic de Lausanne, Philippe Saire poursuit son travail d’hybridation entre texte et mouvement. Maillant habilement danse et théâtre, il adapte pour la première fois en Français un des textes de Zinnie Harris, dramaturge britannique très repérée outre-manche. 

© Philippe Weissbrodt

Blanc. Le décor est blanc immaculé, comme une page où rien n’est encore écrit, où tout est encore possible. C’est le matin. Dana (sensationnelle Claire Deutsch) se réveille plus enjouée qu’à l’accoutumée. Dans son lit, dort encore sa conquête du soir (Pierre-Antoine Dubey, cynique à souhait), un homme blond, à l’allure de conquérant, un de ses hommes d’affaires sûr de soi et de son pouvoir de séduction. Elle rêve d’amour, lui ne conçoit que des relations sexuelles tarifées. Vexée, elle refuse son argent. Démoniaque et machiavélique, il lui propose un marché sibyllin, accepter d’être payée pour le plaisir qu’elle lui a procuré et poursuivre sa vie sans encombre ou camper sur ses principes à ses risques et périls. 

Comment retenir sa respiration de Zinnie Harris, mise en scène de Philippe Saire © Philippe Weissbrodt
© Philippe Weissbrodt

De Berlin où elle habite à Alexandrie où elle doit passer un entretien d’embauche, la jeune femme se jette à corps perdu dans une course effrénée entre bien et mal, entre sauvegarde de sa dignité coûte que coûte et humiliation. Entraînant sa sœur (épatante Marion Chabloz) dans ce road-movie surréaliste qui voit l’ordre établi s’inverser, Dana lutte avec l’énergie du désespoir et de l’honneur sauf, contre les éléments tant économiques, matériels, sociaux qu’environnementaux. L’Europe sombre dans la dépression. Les banques font faillite. Le système s’effondre, obligeant les occidentaux à fuir vers les pays du sud, à s’embarquer sur de vieux rafiots, à migrer au risque de perdre la vie.  

Naviguant dans les eaux troubles d’une humanité qui face au pire, dans un dernier sursaut de survie, n’est pas à une bassesse prés, Dana tient bon le cap. Aidé d’un bibliothécaire farfelu (détonant Zacharie Jourdain), sorte de bon génie ayant toujours le bon livre au bon moment pour la sortir du pétrin, elle ne baisse jamais les bras et continue à croire à sa bonne étoile. Seule le sort de sa sœur finira par avoir raison de ses principes. Mais la funeste machine est en marche. Le cauchemar ira à son terme, jusqu’au réveil en sursaut. 

Comment retenir sa respiration de Zinnie Harris, mise en scène de Philippe Saire © Philippe Weissbrodt
© Philippe Weissbrodt

Séduit par l’âpreté très crue, très brute, du texte de Zinnie Harris, qui dit tant des temps présents et des dangers à venir, Philippe Saire en extrait l’essence noire, l’épure de sa dimension trop pessimiste pour la mettre en contraste permanent avec sa croyance en l’être humain et sa nature somme toute bienveillante. Instillant humour et jeu décalé, il insuffle à l’écriture de la dramaturge britannique, un éclat lumineux qui interroge sur notre capacité à enrayer la catastrophe annoncée, à ne pas céder aux sirènes du fatalisme et du populisme. 

S’appuyant sur les créations sonores de Stéphane Vecchione boostées à quelques standard pop des années 1980 bienvenus – dont le fameux There must be an angel d’Eurythmics – , sur les lumières ciselées par Éric Soyer et sur les présences scéniques intenses de ses interprètes pluridisciplinaires, Philippe Saire poétise par son geste total, qui combine théâtre et danse, cette dystopie d’un monde en tension et donne un surplus de chair à une traduction qui a trop coller à la littéralité du texte originale manque parfois d’intensité. Irriguant de sa nature généreuse toutes les partitions de ce spectacle, le metteur en scène lausannois compense élégamment ce petit bémol et signe une fable contemporaine qui donne à réfléchir. Du bel ouvrage ! 


Comment retenir sa respiration de Zinnie Harris
L’Arsenic – Centre d’art scénique contemporain
Rue de Genève 57
1004 Lausanne
jusqu’au 19 novembre 2023
durée 1h45 

Mise en scène et chorégraphie de Philippe Saire assisté de Samuel Perthuis
avec Claire Deutsch, Marion Chabloz, Pierre-Antoine Dubey, Zacharie Jourdain
Dramaturgie de Carine Corajoud
Création lumières d’Éric Soyer
Création sonore de Stéphane Vecchione
Costumes d’Isa Boucharlat
Direction technique – Guillaume Pissembon
Traduction de Blandine Pélissier.

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