Pour sa dernière création en tant que directrice du TnBA, Catherine Marnas adapte le roman-fleuve de Stendhal. Loin des stéréotypes, elle signe un spectacle tout en épure qui fait la part belle à un Julien Sorel enfantin et troublant pris dans les rets de la passion et de l’ambition.
© Frédéric Desmesure
Dans un décor en rouge et noir, Julien Sorel (excellent Jules Sagot) fait face aux juges et aux jurés, tous issus de la bonne bourgeoisie bisontine, qui vont bientôt le condamner à mort. On est en 1830. Le régime de Charles IX est sur le point de vaciller. le couperet va tomber. Plus rien ni personne ne peut le sauver. Fièrement, dans une dernière bravade, lui, le fils de scieur de bois, ne fait preuve d’aucune pitié pour ceux qui ne lui pardonnent pas d’avoir osé, par son simple mérite et sa capacité à séduire, s’élever dans la société et rêver être leur égal. Mais comment ce jeune homme diaphane, à la silhouette gracile, a pu en arriver là ?
L’ascension par les femmes
Vilain petit canard d’une famille de paysans dont il n’a absolument pas la carrure, Sorel n’a que la lecture et Napoléon en tête. Ne pouvant, du fait de sa constitution fragile, aider à l’entreprise familiale, il apprend le latin, devient précepteur chez les notables du coin, les Rênal. Troublée par les manières gauches de ce garçon qui connait la Bible en latin par cœur, l’évaporée maîtresse de maison, mariée à seize ans avec un gentilhomme un brin falot, découvre les tourments de l’amour et de la passion. Tout étonné d’avoir réussi à la séduire, le jeune homme se prend au jeu, croît à sa bonne étoile et avance ses maigres pions pour monter en grade. Le secret de leur amour éventé, par peur du scandale, il est prié de quitter la place, d’entrer au séminaire.
Trop brillant pour se fondre dans le décor, il fait tâche dans ce petit monde d’apprentis curés où la médiocrité règne. Très vite, on lui propose de devenir le secrétaire du Marquis de la Mole, qui s’attache à lui comme à un fils. Repéré par Mathilde, la très orgueilleuse fille de la maison, il en tombe amoureux. Une romance exaltée du type « je t’aime, moi non plus » grandit entre les deux jeunes gens. Un enfant s’invite dans la ronde de cette folle passion, offrant à l’ambitieux dilettante un moyen de s’élever pour éviter le scandale. Mais la jalousie s’invite dans ce beau roman. Ne supportant pas d’avoir perdu l’amour du jeune homme, Madame de Rênal se décide à salir sa belle réputation d’érudit. C’en est trop pour lui : pris d’un coup de sang, il tire sur elle en pleine église. La chute est inéluctable.
Noir mais pas si sombre
Avec la délicatesse et la générosité qu’on lui connait Catherine Marnas, en collaboration avec le dramaturge Procuste Oblomov, s’empare du Rouge et le Noir et s’attache à mettre en exergue les trois principaux protagonistes, qui font du roman de Stendhal une œuvre qui fit scandale en son temps tant elle s’est dressée en miroir d’une société pourrie jusqu’à la moelle, corsetée dans son système de castes. Faisant de Julien Sorel l’un des premiers transfuges de classe de la littérature, elle esquisse le portrait d’un jeune homme complexe, dont le caractère oscille en candeur et machiavélisme. Ne supportant pas l’injuste qui l’a fait naître petit, il souffre difficilement les petites humiliations que lui font subir ceux qui sont mieux nés que lui. Ni victime, ni bourreau, il joue des opportunités, quitte à se brûler les ailes. Visage d’ange, regard bleu azur, démarche empruntée, Jules Sagot l’incarne avec une belle sincérité et donne au personnage une ambiguïté des plus troublantes.
Quelques pendrillons, un petit gradin suffissent à habiter le plateau. Les créations sonores ingénieuses de Madame Miniature et le jeu des comédiens — Simon Delgrange, Laureline Le Bris-Cep, Tonin Palazzotto & Bénédicte Simon — font le reste. Tous jouent leur partition au cordeau. Entremêlant au drame noir quelques pointes d’humour pour brocarder la bourgeoisie et sa morale, ils donnent vie sans excès aux mots de Stendhal. Cherchant encore un peu de souffle et de chair en ce soir de première, et demandant encore à être légèrement resserrée, la mise en scène de Catherine Marnas, toute en sobriété, révèle les caractères et offre quelques rédemptions au présomptueux Sorel. Une fresque humaine, tout en retenue, à l’image de cette créatrice contemporaine !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Bordeaux
Le rouge et le noir de Stendhal
TnBA
Salle Vauthier
3 Place Pierre Renaudel
BP 80 031
33 034 Bordeaux cedex
du 7 au 17 novembre 2023
Tournée
29 novembre au 1er décembre 2023 à la Comédie de Béthune
10 au 12 janvier 2024 au Quai CDN Angers Pays de la Loire
10 au 12 avril 2024 au Centre dramatique national de Tours – Théâtre Olympia
Adaptation et mise en scène de Catherine Marnas
Dramaturgie de Procuste Oblomov
Avec Simon Delgrange, Laureline Le Bris-Cep, Tonin Palazzotto, Jules Sagot & Bénédicte Simon
Assistanat à la mise en scène d’Odille Lauria
Scénographie de Carlos Calvo
Création sonore de Madame Miniature
Lumière de MichelTheuil
Vidéo de Ludovic Rivalan
Costumes de Catherine Marnas assistée de Kam Derbali
Régie générale d’Emmanuel Bassibé
Régie son de Samuel Gutman
Régie lumière de Benoit Ceresa &Damien Pouillart
Régie vidéo de Cyril Babin