Allosaurus, l’appel de Jean-Christophe Dollé à ne pas manquer

On doit à Jean-Christophe Dollé et à Clotilde Morgiève, les fondateurs de la cie FOUIC, de magnifiques spectacles : Blue.fr, Mangez-le si vous le voulez (d’après de roman de Jean Teulé), Hand ball le hasard merveilleux (mis en scène par Laurent Natrella), Je vole… et le reste je le dirai aux ombres, puis Téléphone-moi. Ces habitués du festival Off d’Avignon, où chacun de leurs passages fait carton plein, ont leur public et même leurs fans. Leur dernière création, Allosaurus [même rue, même cabine], créée en 2022 à Avignon, arrive enfin en région parisienne. Alfortville, ce n’est pas loin du périph, et on y accède en métro !

Ce nouvel opus, qui tourne, à l’instar de Téléphone-moi, autour d’une cabine téléphonique, objet disparu comme les dinosaures, nous a transportés de bonheur. Dans une écriture superbe, Dollé nous raconte une bien jolie fable. Celle de trois solitudes qui sont reliées par un seul fil, celui de ce téléphone placé au centre d’une place public. En cherchant à régler leur recherche d’amour, de reconnaissance, de tendresse, ces cœurs brisés vont se croiser et tisser entre eux un lien que seuls les paumés de la terre peuvent entrelacer.

Allô Maman bobo

Une femme arrive, toute discrète. Elle entre dans la cabine téléphonique, insère sa carte, tape le numéro et attend que l’on décroche à l’autre bout du fil. Très vite, on se rend compte qu’il « est un homme, oh comme ils disent ! ». Si Had n’habite plus avec maman, qui est dans une maison de retraite, il lui téléphone tous les jours. Et se fait rejeter à chaque fois à coups de reproches. Puisqu’elle lui préfère son frère absent, il se fait passer pour lui, pour récolter enfin quelques miettes de tendresse. La Mama se meurt, il lui laisse l’ultime message qu’elle n’entendra pas : « Je t’ai aimée à en devenir fou. Tu m’as rendu fou, maman. D’une remarquable sensibilité, Yann de Monterno est exceptionnel. Les failles et les fragilités de son personnage se font sentir au fur et à mesure de ses appels d’où ressort la détresse d’un petit garçon qui n’a jamais reçu de marque d’amour maternelle. Et ça, ça fait très mal !

Aimer à perdre la raison

Il est beau, le personnage de Lou : c’est une sorte de clocharde que l’on croise errante dans les rues, traînant leur cabas rempli de choses bizarres. Elle porte une robe blanche, la folie dans le regard et le désespoir en bandoulière. Lou compose au hasard des numéros de téléphone. Il arrive qu’au bout de fil l’inconnu(e) daigne l’écouter raconter ses rêves. Un soir, une certaine Suzanne a pris un soin tout particulier à l’apaiser. Alors, Lou cherche à la retrouver. Mais comment faire, lorsque l’on a composé au hasard le numéro ? Elle écrit sur son corps les coordonnées de toutes les autres Suzanne qu’elle a trouvés dans le bottin et qu’elle a déjà appelés, histoire de ne pas les déranger à nouveau avec cette éternellement question : « Vous avez déjà aimé quelqu’un à la folie ? Mais vraiment, vraiment jusqu’à en devenir complètement fou ? » Toujours en équilibre sur le fil des émotions exacerbées par la folie, Clotilde Morgiève est bouleversante dans ce doux personnage de femme-enfant.

Et les Mistral gagnant…

Avec ses airs de mauvais garçon à la Renaud, Tadz cherche désespérément sa fille fragile et instable, Léa, dix-huit ans. Sans nouvelles d’elle depuis des jours, il est fou d’inquiétude. Alors il passe des coups de fil aux amis de sa gamine, aux flics qui ne peuvent rien pour lui, aux hôpitaux. Plus il avance dans sa quête, plus sa colère s’évapore pour laisser place à la douleur de l’avoir perdue définitivement. A-t-il été, comme le lui reproche la flic, un mauvais père ? Qu’a-t-il loupé dans sa relation avec sa môme, pour qu’ils en soient arrivés là, à une rupture de communication ? Il finit par donner le numéro de la cabine, si jamais elle veut bien l’appeler, accepter enfin de prendre la main qu’il cherche à lui tendre… Alors, il dort là, sous le combiné, ne le laissant que lorsque Had et Lou veulent téléphoner. Passant de la rage à l’espoir, Jean-Christophe Dollé est très émouvant dans ce rôle d’adulescent qui n’a rien compris à l’adolescence de son enfant.

Au pays des rêves tout peut arriver

Assis en trifrontal autour de la cabine téléphonique, nous voilà au cœur même de l’agora où tout se passe. Au fond, une estrade, un musicien et ses nombreux instruments. Le très doué Noé Dollé crée par ses notes un espace sonore qui a toute sa place dans la magie de ce conte. La mise en scène de Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé est de toute beauté. La scénographie fait songer aux dessins de Jean-Michel Foulon mais aussi à ces livres illustrés qui émerveillent l’imaginaire. Et puis, il y a cette formidable idée de faire intervenir les passants, qui ne sont autres que des spectateurs. Ils ne sont pas là par hasard et leurs interventions ont été bien préparées en amont. On sort du spectacle les larmes aux bords des yeux mais surtout avec le cœur léger. Ça fait du bien.

Marie-Céline Nivière

Allosaurus [même rue, même cabine], de Jean-Christophe Dollé
Théâtre Studio d’Alfortville
16 rue Marcelin Berthelot
94140 Alfortville
Du 7 novembre au 2 décembre 2023.
Du mardi au samedi à 20h30.
Durée 1h25.

Mise en scène de Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé.
Avec Yann de Monterno Clotilde Morgiève Jean-Christophe Dollé, Noé Dollé (musicien en live).
Scénographie et Costumes de Marie Hervé.
Lumières de Simon Demeslay.
Son de Soizic Tietto.
Musiques de Noé et Jean-Christophe Dollé.