Pour sa première mise en scène en tant que directeur de la Criée, Robin Renucci, en collaboration avec le très marseillais Serge Valetti, propose aux Phocéens une version fort surprenante de La Paix d’Aristophane. Rempli d’humour et de réflexions pertinentes, À la Paix ! est un spectacle qui secoue les uns et séduit la jeunesse.
© Christophe Raynaud de Lage
Aristophane a écrit La Paix en -421 avant JC. Par son sujet et les divers thèmes abordés, le texte est toujours d’actualité. Il faut dire que les conflits ne manquent toujours pas, aujourd’hui, de secouer les humains et l’humanité. En donnant l’impression de ne pas se prendre au sérieux, cette farce satirique aborde des choses sérieuses. Ne perdez jamais cela de vue tout au long du spectacle. Renucci et Valetti sont restés très proches de la construction et de la forme du texte antique. À savoir les jeux de langage, la scatologie, l’irrévérence générale, l’adresse au public, la parodie. Ce ton potache plaît énormément aux lycéens présents dans la salle.
Les belles bacchantes
L’histoire d’Aristophane est celle de Trygée, un vigneron qui enfourche un bousier géant pour aller chercher la déesse de la Paix et la ramener chez lui. Une fois là-haut, il s’aperçoit que les dieux, fatigués des hommes, ont abandonné l’Olympe, laissant à Hermès les clefs et à Polémos, daîmon de la guerre, les lieux. Ce dernier a enfermé la Paix dans une caverne et il s’apprête à broyer la Grèce dans un énorme mortier. Trygée appelle à l’aide tous les peuples et paysans de la Grèce. Avec eux, il parvient à délivrer Paix, une belle jeune femme qu’accompagnent Théoria (symbole de la fête et du spectacle) et Opora (symbole des récoltes, donc du climat).
Marseille au centre du monde
Partant de cette trame, Renucci et Valetti tricotent en toute liberté un texte moderne dans lequel ils explorent les dérives de notre société et de notre monde mis à mal. Le vigneron Trygée, connu aussi sous le nom de Lavendange, se nomme ici Yves Rogne (épatant Guillaume Pottier). Tel un digne descendant de Bacchus, il a un sacré penchant pour la bouteille. Il est à la tête des établissements Rogne, une coopérative viticole du Sud-Est. À la faveur d’une descente dans sa cave, il va faire une ascension céleste dans l’ivresse qui lui donne une furieuse envie de « trinquer à la paix ». On le comprend ! Dans son délire éthylique, il se met à vivre la même aventure que son ancestral prédécesseur. C’est assez épique !
Et puis qu’on est à Marseille, la ville est mise à l’honneur par de nombreuses références cet esprit bien typique qui l’anime, à son histoire, ses quartiers, ses us et coutumes, ses galéjades. L’enfant du pays, Serge Valetti, Cahin-Caha, s’en est donné à cœur joie ! Un beau cadeau d’ouverture que fait Robin Renucci aux Marseillais pour célébrer son arrivée à la tête de leur Centre dramatique national dont ils sont si fiers.
Un rire ancien pour un monde nouveau
Les gags et les métaphores vont s’enchaîner. Le fameux bousier, cet « insecte qui se nourrit presque exclusivement d’excréments », s’est transformé en une machine infernale qui ne marche qu’aux cacas et vomissures. Hermès, tel un Marvel, vole vraiment dans les airs ! Le chœur surgit de la salle ! La jeunesse est appelée à la rescousse ! Les spectateurs sont amenés à donner quelques coups de main et surtout à venir danser sur la scène à la fin. Il y en a tant que l’on vous laisse la surprise de les découvrir. Rien n’est gratuit dans tout cela et les clins d’œil à l’œuvre d’origine sont souvent savoureux. La mise en scène de Renucci est dans l’humeur des années 1970, c’est-à-dire très pop, avec ses couleurs mais également son état d’esprit, celui qui a nourri le théâtre de cette époque, comme celui de Jérôme Savary.
Super héros de l’ordinaire
Ce côté foutraque peut surprendre. Mais ne vous y fiez pas, tout est réglé. Et même si en ce soir de première, le spectacle avait encore besoin d’être huilé, le rouage mis en place par Renucci fonctionne. Le metteur en scène a composé avec Guillaume Pottier en tête, Kristina Chaumont, Alex Fondja, Anne Levy (exceptionnelle), Frédéric Richaud, Aurélien Baré, Heddy Salem, Claire Bonfils (petite Joliette délicieuse), les élèves comédiens de l’Éracm et les régisseurs, présent sur le plateau, une partition étonnante et impétueuse.
On a envie de dire, ça passe ou ça casse, tant le spectacle ne laisse pas de marbre. Devant le théâtre, le débat a fait rage entre certains spectateurs. Rassurez-vous, pas au point de provoquer une guerre de clans. Quant aux plaisirs des autres, il s’est bien fait sentir aux applaudissements et dans le hall où, après la représentation, les spectateurs sont conviés à poursuivre la fête et à trinquer ensemble à la paix et aux joies du théâtre !
Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Marseille
À la Paix ! d’après Aristophane
Théâtre National de La Criée
30 Quai de Rive Neuve
13007 Marseille
Du 8 au 26 novembre 2023
Les mercredis à 19h, mardis, jeudis, vendredis, samedis à 20h, les dimanches à 16h, relâche le 11 nov., représentation scolaire jeudi 23 à 14h15
Durée estimée à 1h30
Adaptation Serge Valetti et Robin Renucci
Mise en scène Robin Renucci,
assisté d’Aurélien Baré
Avec Guillaume Pottier, Kristina Chaumont, Alex Fondja, Anne Levy, Frédéric Richaud, Aurélien Baré, Heddy Salem, Claire Bonfils, et les élèves comédiens de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes et de Marseille, Maël Chekaoui, Victor Franzini, Marie Mangin, Gaspard Juan, Julia Touam
Scénographie de Samuel Poncet
Costumes de Jean-Bernard Scotto, assisté de Cécilia Delestre
Son de Jérémie Tison
Lumières de Julien Guerut
Régisseur général Philippe Chef
Fabrication machine par les Ateliers Sud Side, Marseille, du décor par Eclectik Scéno, Dijon et Atelier théâtre de La Criée
Chorégraphie Aurélien Descloizeau
Avec le regard amical de Catherine Germain