En cet été indien qui n’en finit pas, un soleil de plomb s’abat sur Avignon. A quelques rues de la Gare TGV, Christophe Garcia, et ses interprètes répètent pour la première fois en costumes. Tous, danseurs, musiciens et chanteuse portent des vêtements amples, fluides en camaïeu de gris, légèrement relevés de vert et de rose, rappelant les fleurs chatoyantes d’un jardin bucolique et estival. Dans la cage lumineuse qu’est le studio, l’effet de brise, de végétation en mouvement voulu par le chorégraphe fonctionne à merveille. Au plateau, peu de mouvements en ce début d’après-midi, tous les regards sont tournés vers une danseuse, un faune qui tente par tous les moyens – sauts, jambes bondissantes, poitrine lancée en avant, etc. – de s’extirper du groupe pour mieux les emporter dans son sillage vers un ailleurs entre fantasme et réalité.
Rêve(s) d’été
La séance, bien que bon enfant, est studieuse. Si le soin est apporté au rendu des costumes pour que les retouches soient faites au plus vite, la plupart des attentions du chorégraphe se concentrent sur la bonne circulation des uns par rapport aux autres. Le maître mot est faire communauté. Il est beau de voir d’ailleurs comment tous aident Kyril Matantsau, nouvelle recrue, qui vient de reprendre au débotté le rôle d’Alexandre Tondolo, blessé, il y a peu. Au plus près des interprètes, Christophe Garcia, dont on avait aimé à Avignon Le problème avec le rose et à Angers Niebo Hôtel, donne impulsion, conseil et directive. Le tout pour que l’ensemble fasse sens et puisse permettre au public de laisser son imaginaire voguer au gré d’une journée d’été entre chaleur harassante et orage menaçant. « Je voulais travailler sur le paysage, qu’on ait l’impression d’être en immersion dans un monde entre réalité et fantasme. Mon idée était de créer un parcours pour les spectateurs et les danseurs au cœur de la fameuse Carte du Tendre, si chère aux précieuses du XVIIe siècle, qui esquisse une sorte de cartographie allégorique de l’amour. »
Ici tout est suggéré. Une caresse, un souffle, le besoin de faire corps, de se retrouver d’être emporté par une vague, une bourrasque. Portés par la musique jouée à la fois en direct et diffusée sur des hauts parleurs, les interprètes donnent vie à une succession d’émotions, d’intentions. « En travaillant sur la notion d’amour courtois, le romantisme comme courant littéraire, j’ai eu l’occasion d’entendre L’Île inconnue, sixième poème des Nuits d’été de Berlioz. Il y a eu comme une évidence. Cette partition m’a tout suite ouvert tout un champ lexical et chorégraphique autour de l’invitation au voyage, une promesse d’amour où une belle souhaite embarquer pour le pays où l’on aime toujours, où la fidélité éternelle est le fondement. Une utopie, bien sûr, même le poète dit que même s’il n’existe pas, y croire est l’important. » Loin de ce qu’il imaginait, d’un monde plein de bons sentiments sirupeux, Christophe Garcia découvert tout un univers de tourment, de passion dévorante, de désarroi et d’abandon. « Il y a dans ce courant de pensée propre à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, une épaisseur, une puissance qui me bouleverse et que je trouvais intéressante de porter au plateau, d’en montrer les affres et les beautés à travers une meute de personnages qui se confrontent aux six poèmes de Berlioz. J’ai aussi passé commande à un compositeur pour qu’il crée un septième poème autour d’un adieu à la poésie, qui sonne comme le dernier espoir des hommes pour se comprendre avant de sombrer. »
Le collectif face à la dureté du temps présent
Dans un grand mouvement, danseurs, musiciens et chanteuse emportent les instruments de jardin à cour, telle une tempête qui se prépare, la pièce imaginée par Christophe Garcia conjugue habillement les arts vivants. Autour de la mezzo-soprano Anna Reinhold, les artistes tournent, virevoltent, se laissent porter par une énergie commune celle du ballet bien sûr, mais aussi celles des artistes de la Parenthèse, compagnie du chorégraphe, du groupe musical spécialement réunis pour cette création. « Je viens du ballet, c’est mon ADN. Alors retrouver cette ambiance là si particulière, où faire corps prend tout son sens, me permet de trouver certaines vibrations que je n’avais pas ressenties depuis longtemps, cela me donne l’envie de travailler justement sur cette notion de collectif. C’est d’autant plus simple et agréable, que les danseurs de l’Opéra Grand Avignon sont des interprètes à l’écoute. Ils sont très disponibles. Ils sont ouverts aux autres, ce qui m’a permis de venir avec mes propres danseurs. Si les deux mondes peuvent paraître différents, une symbiose s’est opérée, notamment à travers le langage chorégraphique qui a quelque chose d’universel. Et puis en amenant ce troisième élément que sont les musiciens, cela a obligé les uns et les autres à plus de souplesse, à accepter l’autre, à l’intégrer dans leur environnement pour qu’au final, on ait l’impression d’une meute au plateau. C’est une notion, une image à laquelle je tiens beaucoup. »
S’entourant d’une troupe pluridisciplinaire, Christophe Garcia tisse autour de l’œuvre de Berlioz un conte enchanté et enchanteur dont les prémisses transparaissent déjà à travers les différents morceaux répétés auxquels nous avons pu assister. L’une des forces du projet est notamment la virtuosité des musiciens, capable de jouer sans partition l’œuvre du compositeur français, la technicité et la diversité des danseurs du ballet de l’opéra Grand Avignon, l’énergie et la fougue de ses propres interprètes. Avec beaucoup de délicatesse, une bienveillance, le chorégraphe travaille au plus près des corps, des notes, en n’oubliant jamais le spectateur et ce qu’il va pouvoir découvrir et ressentir. Plein d’humanité, l’artiste nous a mis l’eau à la bouche. Ne reste plus qu’à découvrir l’œuvre dans son ensemble dans quelques jours…
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
Les nuits d’été d’après les poèmes d’Hector Berlioz
Vedène – l’autre scène
Opéra Grand Avignon
avenue Pierre de Coubertin
84270 Vedène
Les 20 et 21 octobre 2023
Tournée
24 et 25 octobre à l’Opéra de Rennes
27 octobre au Grand Théâtre d’Angers
Conception et chorégraphie de Christophe Garcia
Emprunts chorégraphiques à Michel Kelemenis avec son concours et son autorisation et à Michel Fokine
Direction musicale de Nicolas Simon
Transcription musicale de Julien Giraudet
Costumes de Pascale Guéné
Assistante à la chorégraphie – Julie Compans, Marion Baudinaud, Jose Meireles
Lumières de Simon Rutten
Scénographie de François Villain
Vidéo de Matthieu Dehoux
Direction technique et son de Bruno Brevet
Décors – Atelier de l’Opéra de Rennes
Costumes – Atelier de l’Opéra Grand Avignon
avec la Mezzo-soprano Anna Reinhold, Vincent Buffin à la Harpe,
Tristan Pereira aux Percussions, Coline Richard à la flûte, Antoine Paul au violon et à l’alto, Amelie Potier au Violoncelle, Christine Cochennet à la clarinette et à la clarinette basse, du Ballet de l’Opéra Grand Avignon – Veronica Piccolo, Sylvain Bouvier, Lucie-Mei Chuzel Léo Khebizi, Ari Soto, de la Parenthèse – Nina Morgane Madelaine, Alexandre Tondolo et danseurs additionnels pour le film – Marion Baudinaud, José Meireles