Au Vieux-Colombier, Christophe Montenez et son complice des Bâtards dorés, Jules Sagot, imaginent, avec Et si c’étaient eux ?, un jeu télévisé drôle autant que satirique sur le sort que réservent nos sociétés consuméristes à nos ainés, ces inactifs qui coûtent si chers et ne produisent rien. Tout simplement jubilatoire ! 

© Vincent Pontet, Coll. Comédie-Française

Dès le hall, le ton est donné. Le théâtre a laissé sa place à un studio télé. Devant les portes de la salle, une effigie en carton, grandeur nature, de l’animateur Alban Vauqueur (hilarant Laurent Stocker) et de son assistante (épatante Élissa Alloula), accueille le public. C’est d’ailleurs la jeune femme ; casque vissé sur la tête et tee-shirt noir logué au titre de l’émission, qui invite les spectateurs à s’installer, chauffe la salle, gère les invités quelques peu dissipés – tous pensionnaires de la maison de retraite de Pont-aux-Dames, réservée aux anciens comédiens du Français – et règle les derniers détails avant le début du show. 

La vieillesse à vue

Après quelques essais voix, quelques tests HF et quelques raccords maquillage, tout est prêt. Ne manque plus que l’animateur-vedette et son invité vedette, l’ancienne gloire de la Comédie-Française, Armand Tresson (méconnaissable Clément Bresson) un jeune premier prometteur devenu, année après année, le rebelle chéri de la troupe. Les joies du direct… il faut donc improviser et faire avec ces anciens sociétaires, leurs égos, leurs absences, leurs suffisances et leurs génies. Les défis s’enchaînent, dévoilant avec une fausse pudeur les talents « cachés » de nos artistes nonagénaires. Bien évidemment, rien ne va se passer comme prévu. Mais seul l’audimat compte, tout est permis, quitte à frôler l’irrévérence, l’indécence. 

Derrière la facétie de ce jeu télévisuel, aux allures de talk-show un brin ringard, un enjeu de taille fait jour, la survie de leur EPHAD à but non lucratif. Face aux coûts de ces structures, l’État n’a pas le choix, demander aux publics, c’est-à-dire aux contribuables, de choisir entre trois établissements – Celui pour les retraités du théâtre privé, celui pour les anciens du Soleil et enfin celui destiné des ex-sociétaires de la maison de Molière. Un seul peu survire, les autres seront privatisés, donc plus chers et moins conviviaux. 

Vaillants et téméraires, ces grandes dames – extraordinaire Julie Sicard et touchante Florence Viala – et ces grands messieurs – reste à citer l’excellent Sébastien Pouderoux, aux faux airs de Vuillermoz, le tonitruant Dominique Parent, nouveau venu dans la troupe, et l’imperturbable Alain Lenglet – tentent le tout pour le tout. Certes, ils ont accepté d’exposer vaille que vaille leurs âges, leurs rides, leur vieillesse, leur décadence, mais sont-ils prêts à accepter n’importe quoi pour pouvoir finir leurs jours, tranquilles dans leur jolie résidence de Seine-et-Marne. 

Une farce noire, mordante et lucide

Dans un écrin kitsch et « cheap » à souhait fait de rideaux dorés et de banquettes en skaï, Christophe Montenez, 537^esociétaire du Français et de son compère Jules Sagot, rencontré sur les bancs bordelais de l’étsba, composent un chant du cygne décalé, une œuvre où se conjuguent habilement un brin d’espièglerie, un soupçon de boutade et une belle dose de lucidité. Partout, le réel affleure et pourtant, tout est presque faux. Nous sommes au théâtre, et nos deux acolytes l’ont très bien compris. Ils s’en amusent pour brouiller les pistes, mais aussi pour dénoncer une triste réalité, l’obsolescence de l’être humain, la mise au rebut de nos ainés par nos sociétés capitalistes, où seul le profit est roi. 

Ainsi, La maison de retraite des artistes de Pont-aux-Dames bâtie au début du XXe siècle, par Constant Coquelin, célèbre comédien, ayant notamment créé le rôle de Cyrano en 1897, est bien réelle. Les comédiens vieillis par les doigts de fée et le talent de Cécile Kretschmar se glissent dans la peau de leur double – leurs noms à peine changés – et prennent un malin plaisir à se caricaturer quelque peu. Jamais ils ne forcent le trait. Ils sont détonants en vieux cacochymes, en divas sur le retour, en râleurs patentés, en cégétistes énervés. On y croit presque tant tout semble réaliste. La force du détail des interprétations va même jusqu’au tremblement d’une main, d’une jambe, le chevrotement d’une voix. 

Avec Et si c’étaient eux ?, le duo Montenez–Sagot, signe un spectacle savoureux, cruel autant qu’hilarant. N’hésitant jamais à passer du rire aux larmes, du mordant au cynique, il dénonce habilement les travers du monde moderne, la malaisance des télé-réalités, le désengagement de l’état en matière de santé et de vieillesse. Le ton est noir, insolent, impertinent. Fragiles, mais pas démissionnaires, les « faux » vieux du Français font dérailler la machine bien huilée du libéralisme à outrance et prennent le pouvoir avec talent ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Et si c’étaient eux ? de Christophe Montenez et Jules Sagot
Comédie-Française
Théâtre du Vieux-Colombier
21 Rue du Vieux Colombier, 75006 Paris
Jusqu’au 5 novembre 2023
Durée 2h00

Texte et mise en scène de Christophe Montenez et Jules Sagot
Avec Alain Lenglet, Florence Viala, Laurent Stocker, Julie Sicard, Sébastien Pouderoux, Élissa Alloula, Clément Bresson & Dominique Parent
Scénographie et lumières de Florent Jacob
Costumes de Gwladys Duthil
Musique originale et son de John Kaced
Maquillages et perruques de Cécile Kretschmar
Réglage des mouvements de Christophe Thierry
Assistanat à la mise en scène – Elina Martinez
Assistanat aux costumes – Anaïs Heureaux