Depuis la pandémie, le service culturel des hôpitaux de Paris et le Festival d’Automne organisent des résidences artistiques de six mois au sein de différents services hospitaliers. En 2022, cinq metteurs en scène ont bénéficié de ces rencontres pas comme les autres. Thomas Quillardet en a fait un incroyable spectacle.
« Bonjour je suis Thomas, je suis metteur en scène… » C’est ainsi que se présentait aux patients de l’hôpital Réné-Muret de Sevran Thomas Quillardet, quarantenaire bien connu pour ces pièces subtiles, légères et graves, comme les films de Rohmer qu’il a si bien su adapter avec sa compagnie 8AVRIL. Pourquoi avait-il choisi ce service si particulier en psychiatrie ? « Je savais que cela serait difficile pour moi avec des personnes âgées ou des enfants. »
À l’écoute des autres
C’est ainsi qu’il s’est retrouvé, durant ses six mois de résidence, deux jours par semaine de 9h à17h à assister aux consultations, « posé dans un coin », silencieux, prêt à sortir au moindre signe des soignants. Il est présent aussi aux tables rondes thématiques avec les soignants et les patients : « des thèmes étaient abordés. Par exemple, l’entourage du patient avec des adresses directes à ces derniers ». C’est ainsi qu’il construit petit à petit ce qui deviendra ce spectacle en solo, mais à l’époque, il ne le sait pas encore. Pour l’instant, Thomas Quillardet, se tient là, dérouté, étranger et pourtant en empathie, découvrant comment l’addiction tue, comment la vie vaut encore d’être vécue. « Bonjour je suis Thomas, metteur en scène… » : ainsi a-t-il écouté, regardé, recueilli les confidences des patients et des soignants de ce service qui, incroyable et horrible coïncidence, fermera définitivement ses portes quelques semaines avant la fin de cette résidence… Faute de médecins, certains avaient craqué et n’étaient pas remplacés : une situation si habituelle actuellement dans les services de psychiatrie adulte ou infantile.
Revenir au théâtre
« Je n’étais pas obligé de créer un spectacle, je pouvais me contenter d’être là, mais il y a eu la possibilité d’installer un atelier d’une heure le vendredi, j’ai proposé cela. » Et « là », Thomas fait face à la réalité de l’hôpital : deux patients sont absents parce qu’ils ont replongé dans l’alcool, d’autres sont malades, impossible de mettre en place ce qu’il avait prévu. Ainsi il simplifie. Et c’était là qu’était le secret, car lui aussi, le metteur en scène parisien, choyé des scènes et des grands festivals, se retrouve là, démuni, et comprend que ce qui compte n’a rien de sophistiqué : « On était en pleine pandémie et je leur ai demandé de se tenir par la main, d’entrer, de dire un petit texte, de sortir… les bases. » Et ces bases-là conquièrent le cœur des patients qui en parlent, enthousiastes aux infirmiers, aux médecins, stupéfaits de ce qu’ils découvrent dans cet atelier où l’artiste revient à l’essentiel, se regarder, se toucher, se tenir droit, parce que c’est ce qu’il faut, là, à cet endroit.
Et alors qu’il s’y attendait le moins, le théâtre revient le cueillir, lui qui en était alors un peu fatigué, qui avait envie de prendre une petite distance avec la réalité du monde théâtral, oui le théâtre revient lui ouvrir une porte. « Il n’y a pas de médicaments pour soigner l’addiction à l’alcool, au sexe, à la drogue. Le soin est fondé sur le lien, la présence, l’affirmation de soi, sur la réappropriation du monde, le fait de se regarder face à face… beaucoup de points communs avec le théâtre. Qu’est ce qui fait qu’on se tient ensemble dans une salle, sur quoi repose le lien entre spectateurs et acteurs ? je me suis dit que je tenais peut-être une pièce sur l’abandon, sur la limite, sur l’hôpital public, sur la maladie. » Patients et soignants, public et acteurs : le personnel et le collectif… « Ça m’a reconnecté avec les outils du théâtre ».
Un autre regard sur l’addicto
Qui étaient ces patients ? Entre trente-cinq et soixante ans, hommes, femmes dans la même proportion, très abîmés physiquement, psychiquement, qui ont déjà été pris en charge, ailleurs, avant… Certains sont là depuis trois, quatre ans en hôpital de jour, d’autres arrivent, tous au pied du mur, tous en arrêt de travail. « L’addiction c’est ce qui détruit, qui empêche de vivre, l’addict s’il n’a plus sa drogue, il se tue. Pour eux consommer c’est de la légitime défense, c’est un sport de combat, la vie leur est tellement insupportable que boire ou se droguer c’est la solution pour ne pas s’effondrer. Sauf que l’addiction fait s’effondrer d’une autre manière. »
Thomas, les patients et le monde
Sur scène, Thomas sera seul, à faire entendre une trentaine de voix : « Je ne voulais pas faire un documentaire, c’est une fiction pour laquelle je me suis inspiré de leurs récits. Le solo était la solution, rien de tel pour fuir le réalisme. Pas de décors, on assume le plateau brut du théâtre. Il n’y avait que moi qui pouvais être sur scène parce que c’était moi qui l’avais vécu : j’ai le mur de l’hôpital dans la tête, j’ai les paroles, les voix… ». Pour certains récits, l’auteur, metteur en scène et comédien a demandé l’autorisation aux patients qui ont tous accepté qu’il les utilise sur scène : « je fais toutes les voix, trente « je ». » Se détachent celles de cinq patients, d’une infirmière et d’un médecin.
Ainsi à nouveau sous la lumière. Lui qui n’aime pas tellement « faire l’acteur », ni l’auteur d’ailleurs car il trouve sa syntaxe pauvre et simpliste, ses écrits sans intensité et pourtant… c’est bien son texte travaillé et retravaillé que l’on entendra, ce texte qu’il a tissé, comme le metteur en scène qu’il est, à partir de tout ce que sa mémoire a gardé de ces entretiens, des tables rondes, des confidences, des vies révélées.
Thomas Quillardet a envie de continuer ce chemin inespéré, ouvert comme par effraction. Il se sent plus « indulgent », « moins fermé ». Il a appris, dit-il à écouter, heureux de cette résidence : « j’avais tout à apprendre, j’ai su créer des liens forts avec des gens, j’ai envie de continuer ça dans ma vie… »
La scène et le soin
Depuis 2020, le Festival d’Automne s’est associé à l’AP-HP autour d’une série d’initiatives rapprochant les champs de la santé et de la culture. D’abord, ce sont 4000 places qui ont été offertes aux personnels soignants sur l’intégralité du programme du Festival chaque année. Ont également été organisées des représentations en milieu hospitalier de spectacles aux formats adaptés. Surtout, des commandes ont été passées à plusieurs artistes-auteurs pour qu’ils travaillent en immersion dans les hôpitaux. Fanny de Chaillé a ainsi choisi de se rapprocher du service gériatrie de l’Hôpital Charles-Foix à Ivry-sur-Seine, tandis que Thomas Quillardet a passé plusieurs mois en immersion au service addictologie de l’Hôpital René-Muret à Sevran. Mohamed El Khatib s’est tourné vers le service gé- riatrie des Hôpitaux Fernand-Widal à Paris et Émile-Roux à Limeil-Brévannes. Nicolas Liautard et Magalie Nadaud se sont impliqués au sein du service psychiatrie de l’Hôpital Bicêtre au Kremlin-Bicêtre.
Brigitte Hernandez
En addicto de Thomas Quillardet
Théâtre de l’Aquarium
Cartoucherie – Route du Champ de manœuvre
75012 Paris.
Du 8 au 10 mars 2024.
Durée 1h15.
Création à L’Azimut – Théâtre La Piscine – Festival d’Automne à Paris
254, avenue de la Division Leclerc
92290 Châtenay-Malabry
du 6 au 11 octobre 2023
Tournée
18 au 28 octobre 2023 Théâtre de la Ville Sarah-Bernhardt
15 et 16 novembre 2023 à Cachan, théatre Jacques-Carat
7 et 8 décembre 2023 au Trident, Scène nationale de Cherbourg
24 au 26 janvier 2024 à La Rose des Vents (Villeneuve-d’Ascq)
2 au 5 avril 2024 au Théâtre de St Quentin en Yvelines
Texte et interprétation de Thomas Quillardet
Dramaturgie de Guillaume Poix
Collaboration artistique – Jeanne Candel
Lumières et régie générale – Milan Denis
Collaboratrice – Titiane Barthel