Après celle de 2021, entre deux crises Covid, celle de 2022, renouvelée sous l’impulsion de sa directrice Stéphanie Bulteau, nommée en juillet 2020, la programmation de 2023 a démarré sur un sans-faute. D’autant que le soleil a largement été de la partie, avec ce petit air d’été indien, et même si le soir, les températures frisquettes de l’automne nous ont saisis, la chaleur était là. Celle des festivaliers, dont beaucoup ont fait bien des kilomètres ; celle des nombreux bénévoles, grâce à qui le festival peut se dérouler en toute quiétude ; celle des habitants fiers de leur festival, celle des artistes, qu’ils présentent ou non un spectacle. Les sept spectacles de ce premier week-end montraient toute la diversité, l’inventivité et la créativité du cirque dans tous ses états. Et dont voici le compte rendu, dans l’ordre du déroulement du samedi (les 4 premiers) au dimanche (les 3 autres).
La boîte noire à la salle Bernard Turin
Coline Garcia et sa Cie ScoM proposent un manifeste féministe entre arts du cirque et performance. Sans pudeur et une certaine présence d’esprit, elles abordent, à travers les corps et les mots, la découverte de la sexualité, l’appropriation et la compréhension de sa féminité, de ses désirs, des rapports, amoureux ou non… Ces jeunes femmes, dont quelques-unes portent encore les traces d’une adolescence pas si lointaine, sont dans la découverte et le début d’une propre réflexion, qui peut parfois interpeller les « Mamies », comme moi, élevée au féminisme. En revanche, elles nous ont beaucoup touchés lorsqu’elles évoquent « ces loups, ces cochons, ces ogres » qui sont toujours tapis. Et le cirque dans tout ça ? Il est là dans des numéros d’acrobaties, de trapèze, et surtout dans ce magnifique numéro de tissus aérien exécuté sur une toile qui tel un rideau s’étire et s’arrache. Elles ont un bel avenir devant elles !
Mikado, petit récit d’effondrement à la Salle Mouzon
Gros coup de cœur pour ce spectacle formidable du Collectif sous le manteau, spécialisé dans le mât chinois et mis en scène par Florent Bergal. Tout au long de leurs prestations, ces artistes géniaux nous ont épatés, surpris, émerveillés et égayés. Imaginez trois filles et trois garçons participant à un drôle de jeu de Mikado géant. Sur le terrain, se trouvent éparpillés 41 mâts et « moult liens de haubanage » (un nouveau mot à mon vocabulaire !). Les participants doivent relever les défis que leur envoie une boîte bizarre, sous le regard d’un arbitre intransigeant. Ils construisent et déconstruisent, virevoltent, s’envolent, se déchaînent. Ce travail admirable a été récompensé par une longue ovation, bruyante et joyeuse, de la salle.
Sono Io ? au chapiteau du Parc de la Boubée
Le Cirque Ronaldo contrairement à ce que l’on pourrait croire à cause de son nom et du titre du spectacle ne vient pas d’Italie, mais de Flandre. Fondée à la fin du XIXe siècle, son histoire est riche, au point que la Cie est, depuis 1998, Ambassadeur culturel de cette région belge. C’est dans la cadre du focus Plateau Flamand #4 que CIRCa accueille le spectacle de Danny Ronaldo et de son fils Pepijn. Il y a eu Les Fratellini et il y a Les Ronaldo ! Ces derniers en sont fièrement à la 7e génération d’artistes ! Leur spectacle raconte brillamment, drôlement et poétiquement une histoire de filiation et de passation. À part quelques petites longueurs au début, père et fils nous montrent toutes l’étendue et la diversité de l’art clownesque ainsi qu’une pincée de mauvaise foi ! Rire et émotion sont au rendez-vous !
Brame au Dôme, CIRC
Nous avions découvert ce spectacle de la Cie Libertivore à la BIAC de Marseille, en janvier. C’était la toute première de cette création. Cela restait encore très frais. Il était intéressant de voir comment le spectacle avait évolué au fil des représentations. Fanny Soriano a élagué et du coup aéré son propos. La première partie y a gagné en force, la deuxième, c’est un peu éclaircie. Ces petites bestioles de la forêt peuvent maintenant en toute liberté exprimer leur difficulté d’être et d’aimer ! On adore toujours autant ce petit ver de terre et cet autre invertébré indéfinissable qui rampent sur le sol, tout comme ces insectes volants et grimpants. Si ce spectacle, à la lisière du cirque et de la danse, a pu dérouter certains festivaliers, on ne peut que constater que la poésie et la beauté de la proposition opèrent toujours.
Murmur au chapiteau du CIRC
Destiné aux enfants dès 4 ans, mais également à tout adulte ayant gardé cette fameuse âme qui leur permet d’accéder à l’imaginaire, ce spectacle de la Cie Grensgeval / Aifoon est un petit bijou poétique. Installé en cercle sur des petits bancs, chacun un sac sur le dos se laisse surprendre par un homme qui surgit de nulle part faisant un de ces bruits, qui sera suivi par plein d’autres. Le son est au centre du projet, il vient de partout, il court, parvient à nos oreilles, disparaît et ressurgit. Il est issu de la nature comme de la vie urbaine. Il est incongru, surprenant, et même rigolo. Rien n’est plus beau que l’éclat de rire d’un bambin ! Une sorte de chef d’orchestre volant et virevoltant tente de les apprivoiser. Accrocher à sa corde où passant entre les boîtes à son, le beau Carmel Corneille nous entraîne dans cet univers étonnant qui apaise.
Drop en plein air à la Caserne d’Espagne.
Ce spectacle de la Cie Crazy Air est une commande de l’OARA (Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine), dans le cadre de l’organisation de la Coupe du Monde de Rugby, avec le soutien de la DRAC Occitanie, mais aussi des Olympiades Culturelles labélisées Paris 2024. Tout se passe dans les airs ! Sur une impressionnante structure aérienne, accompagnés d’une bande-son étonnante, les trapézistes vont enchaîner divers numéros. Plus que jamais l’esprit d’équipe doit régner ! Ils sont jeunes, encore un peu fragiles, mais assez doués et soudés pour se tracer une belle route dans le cirque aérien. Plus de 2000 personnes, de tous les âges, étaient au rendez-vous pour les soutenir, les admirer et les encourager. « Allez les petits ! » aurait hurlé Roger Couderc.
À ciel ouvert sous chapiteau à la Caserne d’Espagne
Bienvenue dans l’univers à la Kusturica du Cirque Aïtal ! Leur chapiteau est en réalité une sorte de nomad’s land où quatre personnages atypiques ont posé leur caravane de fortune. Le public est invité à s’installer sur des gradins faussement de fortune ou à l’intérieur de trois caravanes découpées. J’étais dans l’une d’elle, ce n’est pas triste ! Le français Victor Cathala et la finlandaise Kati Pikkarainen manient l’humour avec autant d’aisance que leurs numéros de portées acrobatiques. Les deux musiciens se font clowns. Enfants, poules, tourterelles et canards sont également de la partie. À part la dramaturgie qui mériterait un peu plus de clarté, le petit monde poético-gitanesque de ces fous furieux est remarquable.
Il me manque plus qu’à citer les Portés Instantanés, petits intermèdes interprétés par les élèves de Pop Circus (l’école de cirque amateur d’Auch) et les jeunes du RCA (Rugby Club d’Auch). Ils ont réjoui les longues files d’attente avant chaque spectacle. Après ce week-end chargé, on peut dire que les arts du cirque se portent bien.
Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Auch
CIRCa
36e festival du cirque actuel
32000 Auch
Du 20 au 27 octobre 2023.
La boîte noire, conception et mise en scène Coline Garcia.
Durée 1h.
Mikado, petit récit d’effondrement du Collectif Sous le manteau
Durée 1h.
Sono Io ? du Cirque Ronaldo.
Durée 1h30.
Tournée du 30 mai au 16 juin 2024 au Théâtre du Rond-Point.
Brame de la Cie Libertivore.
Durée 1h15.
Murmur de la Cie Grensgeval / Aifoon.
Durée 50 mn.
Drop de la Cie Crazy R
Durée 45 mn.
A ciel ouvert du Cirque Aïtal
Spectacle conçu et interprété par Victor Cathala et Kati Pikkarainen.
Musiciens et composition musicale d’Helmut Nünning et Hugo Piris.
Collaboration artistique Michel Cerda.
Création lumière de Lucien Valle.
Sonorisation d’Olivier Planchard.
Costumes d’Emmanuelle Grobet
Durée 1h10.
