Mis en scène habilement par Delphine de Malherbe, Christophe Alévêque nous fait entendre merveilleusement Moi et François Mitterrand d’Hervé Le Tellier. Créée dans le cadre du festival de la correspondance de Grignan, cette pépite se déguste avec gourmandise au Théâtre Rive Gauche.
© Fabienne Rappeneau
Avec Moi et François Mitterrand, Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2020, nous livre un récit brillant et hilarant. Il y est question d’une correspondance inattendue entre un quidam et le président de la République. Celui-ci, il faut le savoir, est dans l’obligation de répondre à toutes les lettres qui lui sont adressées. Évidemment, ce n’est pas lui qui prend la plume, mais un secrétariat dévoué à cela, qui répond à travers une lettre-type. À part la date, rien ne change. Toujours la même réponse ! C’est là que réside tout le comique de situation de l’ouvrage.
Monsieur le président, je vous écris une lettre, que vous lirez peut-être, si vous avez le temps…
Une lettre, on la lit et la perçoit selon l’état d’esprit dans lequel on se trouve où selon ce que l’on a envie d’entendre. Bien des mois après et sans s’y attendre, Hervé reçoit une réponse à sa carte postale postée à Arcachon en août 1983. C’est donc à lui, personnellement, que le chef d’État s’adresse. « Il me “remerciait de ma lettre”, m’assurait que mes remarques recevraient “toute l’attention qu’elles méritaient” et seraient “prises en considération”, “dans les délais les plus brefs”. Et il m’assurait de ses “sentiments les meilleurs” ».
Avec une régularité qui lui est propre, Hervé entame une longue correspondance avec son ami François, puis après sa disparition, avec tous ses successeurs. Même notre Président actuel, dans un passage rajouté par l’auteur après la publication du livre en 2016 ! La réponse a beau être toujours la même, il n’en a que cure. « D’autres auraient pu confondre sa réponse avec une lettre-type. Pas moi. » Comme il est temps que cela se sache, notre bonhomme a décidé de dévoiler ces échanges. Il est comme ça, Hervé ! Alors, il va balancer ce que personne ne connaît, à savoir sa vie ! Qui se résume à sa séparation avec Madeleine, sa perte d’emploi, son chat, ses vacances à Charleville-Mézières.
Hervé est un mythomane complètement farfelu, totalement obsessionnel. Ayant donné son avis et prodigué des conseils, il est persuadé d’avoir joué un rôle dans la bonne marche de la Ve République ! Hervé Le Tellier dépeint, d’un côté, la terrible solitude d’un homme, et de l’autre, trente ans de vie politique. C’est délicieusement drôle !
Humour et tendresse
Le texte de Le Tellier possède tous les atouts pour être théâtralisé. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois. Olivier Broche, mis en scène par Benjamin Guillard, l’avait présenté au Rond-Point, puis à la Pépinière, en 2016. Dans cette version, Hervé apparaissait comme un naïf candide. S’appuyant sur le décor habile de Juliette Azzopardi et les lumières de Stéphane Baquet, Delphine de Malherbe, avec bienveillance, a creusé plus loin dans l’approche de la folie et de l’enfermement qu’elle entraîne. Il y a de la détresse chez ce personnage. C’est ce qui le rend attachant.
Christophe Alévêque joue avec une belle agilité sur la corde raide des sentiments qui traversent Hervé. On assiste à sa descente dans une paranoïa mythomaniaque. Très à son aise dans le seul-en-scène, comme dans le style littéraire subtil et décalé de l’auteur, l’humoriste sait faire vibrer la salle. Celle-ci reprend très vite, à l’unisson, les mots de la lettre. On rit de tout son cœur, et par les temps qui courent, cela ne fait pas de mal !
Marie-Céline Nivière
Moi et François Mitterrand d’Hervé Le Tellier.
Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris.
Jusqu’au 31 décembre 2023.
Du mardi au samedi à 19h, relâche le 10 nov.
Durée 1h10.
Mise en scène de Delphine de Malherbe.
Avec Christophe Alévêque.
Scénographie de Juliette Azzopardi.
Lumières de Stéphane Baquet.