James Brown mettait des bigoudis de Yasmina Reza © Pascal Victor

Yasmina Reza en terre d’absurdie

L’écrivaine, dramaturge et metteuse en scène croque le monde avec poésie décalée et sens du saugrenu. Se baladant dans les allées d’une maison de repos, Yasmina Reza signe, avec James Brown mettait des bigoudis, une comédie noire, une fantaisie où la déraison l’emporte sur le réel.

Un air de jazz envahit la salle et invite à plonger dans un monde parallèle sans queue ni tête en apparence. Regard perdu dans le vague, Une femme (épatante Josiane Stoleru) traverse la scène, s’arrête, semble chercher quelqu’un, repart dans les coulisses et revient, quelques secondes plus tard, accompagnée de son mari (André Marcon, génialement impassible). Perdus sur l’immensité du plateau, Pascaline et Lionel, ce sont leurs prénoms, se demandent bien ce qu’ils font là, dans les couloirs froids de cette institution spécialisée où ils ont placé leur fils Jacob (excellent Micha Lescot). Certes le jardin au tour est beau, ordonné, bien vert, mais le couple, très classe moyenne, se sent totalement dépassé. Mais que diable est-il allé faire dans cette galère ?

Céline Dion dans la tête
James Brown mettait des bigoudis de Yasmina Reza © Pascal Victor
© Pascal Victor

Personnages issus du précédent roman de Yasmina Reza, Heureux les heureux, les Huttner, dont l’histoire était restée en suspens, prennent vie sur scène. Après la découverte de Céline Dion à 5 ans lors d’un trajet en voiture, Jacob est non seulement devenu fan de l’artiste québécoise, mais s’est, petit à petit, identifié à elle. Aujourd’hui, si vous lui posez la question, il est elle sans l’ombre d’un doute. Ça agace prodigieusement ses parents, surtout le père, qui aimerait bien retrouver son enfant, son pitounet. Ça amuse Philippe (détonnant Alexandre Steiger), son nouvel ami, un jeune homme blanc persuadé d’être noir. Ça donne du grain à moudre à sa psychiatre (inénarrable Christèle Tual), qui le conforte dans ses certitudes que tout cela n’est pas bien grave, chacun étant libre d’être qui il veut. Le monde est absurde, c’est ainsi. Il n’y a pas à revenir dessus.

Une ironie menée tambour battant par les acteurs

James Brown mettait des bigoudis de Yasmina Reza © Pascal Victor
© Pascal Victor

Sur le papier, le texte laisse dubitatif, questionne sa possible mise en scène. Mais Yasmina Reza a l’art de s’entourer. Très vite, à la lecture, on perçoit que tout va reposer sur les acteurs, leur capacité à faire des pas de côté, à rendre palpable la folie douce qui irrigue chaque page de cette courte pièce – 100 pages étirées sur 1h45 de spectacle. Clairement sur le plateau, le miracle se produit. Les comédiens et comédiennes, des fidèles de la dramaturge, excellent. Tous sans exception, Micha Lescot en tête, sont extraordinaires, impayables. Ils donnent corps avec loufoquerie à la fantaisie de la dramaturge. Le monde va mal. Les carcans de la société, ses garde-fous vacillent depuis longtemps. Elle les met à terre et esquisse un désordre nouveau, une réalité des possibles.

L’identité de chacun est une chose intime qui ne regarde personne. Qui est-on pour juger l’autre ? Jacob est Céline Dion. La psy un personnage surréaliste. Philippe noir malgré sa peau blanche. Pour les esprits étroits, étriqués pas si simple de comprendre cet état des choses, mais si c’est ainsi qu’ils sont heureux, après tout pourquoi pas accepter comme norme cette aliénation, cette distorsion de la perception. S’appuyant sur la musique jouée en direct par le musicien Joachim Latarjet, Reza crée la surprise avec cette comédie des temps présents. Si l’ensemble encore en rodage en ce soir de première demande à être resserré, le jeu en vaut la chandelle et les rires sont garantis !

Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

James Brown mettait des bigoudis de Yasmina Reza
Théâtre Marigny
Carré Marigny
75008 Paris
Du 28 mars au 7 avril 2024

durée 1h45

texte paru le 30 août 2023 aux éditions Flammarion
La Colline – Théâtre National
4 rue Malte Brun
75020 Paris
du 19 septembre au 15 octobre 2023 au Grand Théâtre

mise en scène de Yasmina Reza assistée d’Oriane Fischer
avec Micha Lescot, André Marcon, Alexandre Steiger, Josiane Stoléru, Christèle Tual et le musicien Joachim Latarjet
musique de Joachim Latarjet en collaboration avec Tom Menigault
scénographie et lumières d’Éric Soyer assisté de Marie Hervé
création vidéo de Renaud Rubiano
costumes de Marie La Rocca
maquillages et coiffures de Cécile Kretschmar
couture – Eléa Lemoine
coaching vocal – Virginie Côte
construction du décor – atelier de La Colline – théâtre national

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