Radio Vinci Park Reloaded de François Chaignaud et Théo Mercier@ Erwan Fichou

Un week-end de danse à la Biennale de Lyon 

À Lyon, Dimitri Papaioannou, Boris Charmatz, François Chaignaud et Théo Mercier donnent des couleurs à la Biennale de danse.

Radio Vinci Park Reloaded de François Chaignaud et Théo Mercier@ Erwan Fichou

À Lyon, Dimitri Papaioannou, Boris Charmatz, François Chaignaud et Théo Mercier donnent des couleurs à la Biennale de danse et offrent aux festivaliers des shows tous azimuts. 

© Erwan Fichou

Depuis plus d’une semaine, la vingtième Biennale de la danse, imaginée par Dominique Hervieu et Tiago Guedes, propose aux Lyonnais un grand nombre de spectacles dans différents lieux de la ville ainsi que plusieurs rendez-vous par jour. Durant le dernier week-end, pouvions voir la nouvelle version de Radio Vinci Park reloaded de François Chaignaud et Théo Mercier, le nouvel opus de Dimitri PapaioannouInk, et la très attendue première pièce de Boris Charmatz avec le Tanztheater de WuppertalLiberté Cathédrale. Un thème commun ? Comment toujours repousser les limites…

Le fantasme de l’homme à la moto
Radio Vinci Park Reloaded de François Chaignaud et Théo Mercier@ Erwan Fichou
Radio Vinci Park Reloaded de François Chaignaud et Théo Mercier © Erwan Fichou

Dans une cour où trônent des carcasses plutôt que des voitures, deux beaux mécaniciens en marcel crasseux poussent joliment la note baroque devant une ineffable lady en talons de dix qui feuillette négligemment un magazine de motos en mâchouillant tout aussi négligemment son chewing-gum. Le public abandonne ce beau monde pour passer en mode concert de clavecin de l’autre côté d’un rideau métallique. Puis nouveau changement de lieu, cette fois dans une fausse arène autour de laquelle le public se distribue, protégé par des barrières pour voir la pièce proprement dite (ou salement, vu le caractère mortifère du sujet) : la donzelle en haut talons toréera et frôlera la mort pour séduire son motard au visage invisibilisé par un casque intégral. L’homme à la moto, Hello Piaf !, ne bougera pas d’un pouce en attendant que s’arrête la créature platine dévorée de passion. 

Une intense et déjantée danse de mort au cours de laquelle François Chaignaud n’épargne rien à lui-même ni à ses spectateurs : torsions démentes de son corps longiligne, grand écart facial… Sur ses talons démesurés — on se surprend à prier qu’aucune articulation ne pète —, visage extatique de Sainte Cécile dévorée par la Passion ou bien fou de douleur et de désir, déambulations caressantes autour de la machine, la palette est inépuisable. Et pourtant il s’agit bien d’épuiser le jeu mortellement sexuel dans cette pavane pour une infante qui refuse de rendre les armes. 

Sept ans après sa création, Radio Vinci Park a été retravaillée par Chaignaud et Mercier, le trio de départ se réinventant en quintet. Mais le seul « morceau » qui tienne la route, c’est bien cette corrida : le reste n’a pas grand intérêt. Là, Chaignaud créé l’étrangeté en jouant de tous les codes connus, la séduction, la soumission, la dévoration, le chantage, toute cette gamme implorante qui oublie l’autre pour ne plus être que soi. C’est théâtralement réussi, chorégraphiquement bluffant, et le tout laisse les spectateurs ébahis dans un malaise parfait. Commentaire à la sortie d’une très jeune fille venue avec sa classe : « ah je ne veux plus jamais revoir ce spectacle, non, non, c’était trop génial ! ». Rien ne peut mieux résumer ce que Chaignaud provoque.

Duel sous l’eau 
Ink de Dimitris Papaioannou © Julian Mommert
Ink de Dimitris Papaioannou © Julian Mommert

Avec Dimitri Papaioannou, il sera à peu près question de la même chose : un face-à-face entre une créature qui « alienne » son maître dans un décor débordé d’eau propulsée de tuyaux sur des murs de plastique. Ça commence comme un cauchemar, ça finit comme un cauchemar.  Le chorégraphe a imaginé Ink avec son acolyte Suka Horn pendant le confinement alors qu’ils étaient l’un et l’autre voisins à Athènes. Pourquoi Ink, « encre » en anglais, alors que tout est sous l’eau ? Parce qu’il y a un poulpe et que le céphalopode rejette de l’encre pour faire croire à ses ennemis qu’il est là où il n’est pas. Futé. 

Nous voici donc face à une scène immergée où vont jouer à cache-cache pendant une heure l’homme habillé (Papaioannou) et l’alien à poil (Suka Horn), l’un a le dessus, puis l’autre et ainsi de suite. Enfin l’un jette un poulpe sur l’autre, poulpe qui se transformera en slip (hallucination ou pas de l’homme habillé ?) puis en bébé à qui Papaioannou donnera vaguement le sein. Pourquoi ? Pourquoi pas ? Cette pièce d’une heure, qui semble bien plus longue, raconte un horla, une psychose à la Hitchcock, un duel entre le moi et le soi ou rien de tout cela, c’est possible. Rien de chorégraphique ici mais une idée théâtralisée à mort et qui tire son petit fil et ses grandes marées jusqu’à épuisement de tout le monde. Une grande partie du public, ravie, a battu fort des mains.

La grand-messe Wuppertalienne de Charmatz 
Liberté cathédrale de Boris Charmatz - Wuppertal Tanztheater © Blandine Soulage
Liberté cathédrale de Boris Charmatz – Wuppertal Tanztheater © Blandine Soulage

Enfin ! Boris Charmatz et la fameuse troupe de Wuppertal prenaient place dans le plus grand hall des Usines Fagor, lieu alternatif idéal pour les projets hors-normes. Une pièce qui se doit de résonner et fort où le son danse autant que les corps, où les danseurs chantent et parlent et murmurent, où l’espace s’agrandit et se rétrécit sans qu’on s‘en aperçoive, où les mouvements sont battus, enchaînés, vifs, tranchants, où les courses le disputent à l’immobilité. Parfois. Quatre parties, ordonnées par une sonate de l’Opus 111 de Beethoven chantonnée en « la la la », des sons de cloche enivrants, du silence et une intrigante mélopée, comme si une soucoupe volante se faisait entendre au loin. Les spectateurs sont disposés en quatre espaces frontaux, ainsi tout le monde voit. Liberté cathédrale a été créée dans la basilique de Neviges, près de Wuppertal, avec des danseurs du Wuppertal. Certains ont connu Pina, d’autres pas ; certains sont les collaborateurs de Charmatz depuis longtemps. 

À un moment, chaque danseur va trouver des spectateurs et leur parle — petit clin d’œil à la chorégraphe, mais sans jouer la séduction. Il règne là une sorte de plainte, peut-être un fantôme de La plainte de l’impératrice, film que Pina Bausch a réalisé en 1990, une plainte de ces corps que le souffle tient jusqu’au bout, jusqu’à la chute. Par moments c’est magnifiquement fort, ça emporte comme un unisson dans une cathédrale, à d’autres, ça court trop, ça se perd. A la fin, une danseuse en aide une autre à tenir. Puis la laisse. Et l’autre finit, seule, en équilibre qui tangue mais qui tient. Un symbole parfait. 

Brigitte Hernandez – Envoyée spéciale à Lyon

20ème Biennale de la danse à Lyon
jusqu’au 30 septembre.

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