Mal rasé, mal fagoté, le dos voûté, un homme entre sur scène. Il peste, râle dans sa barbe. Traînant un chariot de carton derrière lui, il cherche un endroit pour reposer ses vieux os. C’est à côté d’un tas de terre, d’immondices, qu’il finit par installer son pliant. La voix grave, le ton posé, semblant sortir de quelques pièces de Samuel Beckett, Sami Bouajila se glisse dans la peau d’un père, ouvrier immigré et dans celle de son fils, SDF et déroule dans une langue autant réaliste que poétique, leurs destins croisés.
L’un quitte son pays en guerre, s’établit en France pour pouvoir offrir à son fils, un gamin doué pour le foot, un futur Salif Keïta, une vie meilleure en costard cravate et non en bleu de travail. L’autre suit les traces de son père à l’usine, épouse la jolie Jeanne, se fait licencier et perd pied. La chute est lente mais inéluctable. C’est au pied d’une tour de banlieue, un endroit triste, sinistre, qu’il échoue, abandonné de tous. Rêvant aux champs d’arganiers de son enfance, à la petite bergerie de l’autre côté de la mer où une autre vie aurait pu être possible, il s’enferre dans un cercle vicieux où réalité et fantasme, passé et présent, s’entremêlent jusqu’à devenir inextricables. Difficile par moments de discerner qui est le fils, qui est le père.
Peu importe, la mise en scène épurée de Marie-Christine Orry donne corps au texte qu’Émilie Frèche a écrit il y a plus de dix anspour le comédien. Hâbleur ou réservé, Sami Bouajila habite le plateau, fait sien ces mots tant lumineux que désespérés. Fils d’immigré, tout comme l’un des personnages qu’il endosse, il se laisse percuter par ce récit, qui résonne étrangement en lui comme si lui était familier. Avec Un Prince, présenté jusqu’au 30 septembre 2023, au théâtre de l’œuvre, le comédien, rare sur les planches, revient pour le plus grand plaisir des spectateurs à ses premières amours, lorsqu’il étudiait l’art dramatique à Saint-Étienne…
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Un Prince d’Émilie Frèche
Comédie des Champs-Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris.
Du 24 janvier au 31 mars 2024.
Durée 1h10.
Avec Sami Bouajila
Création du spectacle à Anthéa – Antipolis Théâtre d’Antibes en juillet 2021
Théâtre de l’Œuvre
Jusqu’au 30 septembre 2023
Du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 17h
Mis en scène par Marie-Christine Orry
Avec Sami Bouajila