Dans l’écrin à l’italienne des Célestins, théâtre de Lyon, la performeuse, metteuse en scène et chorégraphe, dont la Cie Non Nova est basée à Nantes, reprend le burin et la masse pour déboulonner, une bonne fois pour toute, le patriarcat de son piédestal. Présentant sa nouvelle création, ART. 13, en première mondiale à l’occasion de la Biennale de Danse, Phia Ménard conjugue, avec habilité, esthétisme et violence.
Le rideau de fer noir est baissé quand on pénètre dans la salle. Rien ne laisse présager de ce qui va suivre. Bien sûr, on connaît le goût de Phia Ménard pour le mélange des genres, des formes et des états. Jamais où on l’attend, elle poursuit sa quête d’absolu à travers un art de la revendication et de la transformation. Artiste inclassable, elle multiplie les grammaires, les écritures et les esthétismes, joue de nos imaginaires et détourne les codes de nos sociétés par trop corsetées pour servir son propos.
Taupinière dans un jardin à la française
Un vrombissement assourdissant, le bruit d’un moteur en marche, celui d’une tronçonneuse détruisant tout sur son passage, envahit la salle. Tonitruant, agressif, il vrille les tympans. Sur le plateau, une statue grise d’un homme à la plastique parfaite, un mannequin de présentoir censé représenter l’idéal masculin, trône majestueux au centre d’un bosquet. Imposant, renvoyant notamment à l’image du Commandeur du Dom Juan de Molière, il écrase la scène de sa force virile, destructrice, qu’une hache symbolise. Baignée d’une lumière sépulcrale, la sculpture souillée de coulures blanches semble impassible. À ces pieds, du tréfonds de la terre, une étrange créature émerge. Vêtue d’un tee-shirt rayé, d’un short de sport, cette poupée à la tête de fouine, de taupe customisée de faux diamants, d’empiècements de métal, de fils de laine, explore son environnement, sa prison sociétale.
Femme enfermée dans une vision schématisée de sa condition, elle cherche à repousser les frontières qu’on lui impose, à dépasser les stéréotypes qu’on lui affuble. Portant masque cachant sa véritable apparence, c’est à coups d’assommoir, de massue, qu’elle se libérera de ses chaînes et qu’elle pourra espérer librement circuler dans le monde (ART. 13 de Déclaration Universelle des Droits de l’Homme). Mais faire tomber une statue, s’asseoir sur ses restes, suffit-il à en finir avec le patriarcat qu’elle représente. Rien n’est moins sûr. Derrière l’arbre se cache une forêt, derrière un homme, une loi, un mode de pensée, le garant d’un système en cache des milliers plus imposants, plus forts…
L’art de la chute
Inversant les esthétismes, jouant des codes, préférant les aspérités aux propos trop lisses, Phia Ménard gratte où ça fait mal. Virulente et subversive juste ce qu’il faut, c’est avec un certain doigté, un art de l’underground, du décalé, qu’elle compose un récit coup de poing. Pas besoin de mots, les images parlent d’elles-mêmes. Formes disruptives, mouvements erratiques ou fluides, elle offre à la femme les armes nécessaires pour mener son combat féministe et paritaire. Travaillant en étroitement collaboration avec son interprète, l’épatante Marion Blondeau, elle trace les lignes d’un art engagé, humain où le beau naît du laid.
Ouvrant avec cet Opus, un nouveau chapitre créatif, Le cycle des jardins et des ruines, Phia Ménard n’a pas fini de nous secouer, de nous obliger à voir au-delà des œillères que notre éducation et la société nous imposent. Parfois insaisissable, souvent fulgurant, son geste d’artiste est un pavé dans la mare de la bien-pensance, bienvenu !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lyon
ART.13 de Phia Ménard
Cie Non Nova
Biennale de la Danse de Lyon
Les Célestins, théâtre de Lyon
4 rue Charles Dullin
69002 Lyon
Tournée 2023
les 28 et 29 septembre à La Comédie de Valence, Centre dramatique national Drôme-Ardèche
les 6 et 7 octobre 2023 à Actoral, Festival international des arts et des écritures contemporaines, en coréalisation avec et à La Criée
le 19 octobre 2023 au Volcan, Scène Nationale du Havre
du 25 et 27 octobre 2023 à CIRCA Auch, Festival du Cirque Actuel
le 25 novembre 2023 aux Quinconces l’Espal, Scène nationale du Mans
Tournée 2024
les 10 et 11 janvier 2023 à Malraux, Scène nationale Chambéry Savoie
du 23 au 28 janvier 2024 à la MC93, maison de la culture de Seine-Saint-Denis
le 6 février 2024 à La Filature, Scène nationale de Mulhouse
du 14 au 16 février 2024 aux Halles de Schaerbeek, Bruxelles (Belgique)
les 20 et 21 février 2024 au TANDEM, Scène nationale, Hippodrome de Douai
Le 28 février à Montpellier Danse, à l’Opéra Comédie
du 7 et 9 mars 2024 au Lieu Unique, centre de culture contemporaine
du 13 au 16 mars 2024 au TNB, Centre Européen Théâtral et Chorégraphique
les 20 et 21 mars 2024 aux 2 Scènes, scène nationale de Besançon
les 28 et 29 mars 2024 à La Comédie de Clermont-Ferrand scène nationale
le 9 avril 2024 à l’Agora, Pôle Nationale Cirque de Boulazac
le 12 avril 2024 à l’Espace Jéliote, Centre national de la Marionnette d’Oloron-Sainte-Marie
les 26 et 27 avril 2024 au De Singel, Centre Artistique International, Anvers
Idée originale, mise en scène, écriture et scénographie de Phia Ménard
Assistante à la mise en scène – Clarisse Delile
Interprétation et chorégraphie de Marion Blondeau
Dramaturgie de Camille Louis
Scénographie de Phia Ménard, Clarisse Delile et Éric Soyer
Création Sonore d’Ivan Roussel
Création costumes de Fabrice Ilia Leroy assisté de Yolène Guais
Création lumières d’Éric Soyer assisté de Gwendal Malard
Réalisation scénographie – Rodolphe Thibaud, Ludovic Losquin, David Leblanc, Nicolas Marchand
Régie plateau – David Leblanc, Nicolas Marchand
Régie générale Olivier Gicquiaud
Régie lumière Aliénor Lebert