À quelques heures de l’ouverture de la 19e édition de Village de cirque, pelouse de Reuilly, Marie Chapoullié, co-directrice de la Coopérative De Rue et De Cirque, qui organise l’événement, évoque les enjeux d’une discipline qui ne cesse de se renouveler, de s’inventer, et l’importance de continuer à mettre en avant des artistes pluridisciplinaires à l’écoute du pouls du monde.
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Comment est née la Coopérative et d’où est venue l’idée de ce temps fort, Village de cirque ?
Marie Chapoullié : Les deux événements sont concomitants. La Coopérative est née en 2005 à l’occasion de la première édition d’un événement qui était l’ébauche de ce qui deviendra au fil du temps le Village de cirque. Pour pouvoir organiser la manifestation, il était nécessaire de créer une structure qui permettrait d’en soutenir les fondements, de faciliter le bon déroulement de ce temps fort. Très vite, l’équipe a eu l’idée de proposer une saison avec une double temporalité, l’une au printemps dans l’espace public, dédiée surtout aux arts de la rue, et une autre à l’automne pour les arts du cirque et notamment les créations sous chapiteau. Par ailleurs, si dans un premier temps le projet était axé sur la diffusion d’œuvres, très vite s’y est adjoint la volonté de développer des actions en direction des publics, des scolaires, et de mettre en place un soutien à la création au long court.
Quelle est l’essence du projet Village de cirque ?
Marie Chapoullié : je dirais qu’elle est multiple, mais sa source est liée au chapiteau. C’est vraiment cette grande tente emblématique des spectacles de cirque qui est la colonne vertébrale de Village de cirque. Ensuite, c’est tout un ensemble d’éléments satellites mais primordiaux, comme le soutien à la création, la volonté de donner l’envie au public de découvrir, de se laisser porter bien au-delà de leur attente première. Ce temps fort est empreint de la diversité, de l’inventivité, de l’ingéniosité, de la générosité que portent les artistes. L’objectif du Village de cirque est bien entendu de mélanger les publics, d’offrir une programmation éclectique, surprenante et riche, un panorama à spectre large de cette discipline, aux initié.e.s comme aux néophytes. Ne pas rester figé.e, être toujours en mouvement, développer une souplesse mentale et émotionnelle fait partie de notre histoire, de notre ADN.
A-t-elle évolué depuis 2005 ?
Marie Chapoullié : Bien évidement. Les différentes composantes du Village de cirque se sont renforcées, affirmées et consolidées avec le temps. L’année prochaine, nous fêterons les vingt ans de Village de Cirque, c’est maintenant un rendez-vous attendu, repéré, qui s’est installé dans le paysage de la rentrée culturelle parisienne et au-delà. Pour les compagnies que nous accueillons, c’est un temps de visibilité fort. Pour les professionnel.le.s, c’est l’occasion de découvrir plusieurs spectacles en un même espace. Et pour le public, nous avons constaté, au-delà d’une fidélité, une grande confiance dans la programmation. En effet, il y a cinq ans la question s’est posée de poursuivre l’aventure, de changer de formule. En peu de temps une rumeur a couru et les retours ont été très clairs. Non, on aime le Village de cirque. Dont acte. Le Village de cirque est donc bien un monde en soi, nous y multiplions les propositions, alternons spectacles payants et gratuits, petites et grandes formes, spectacles sous chapiteau et en extérieur. C’est devenu au fil du temps, un vrai moment de convivialité, où l’on vient pour passer une heure, un après-midi, une journée entière.
Le coup d’envoi de la dix-neuvième édition est dans quelques jours, y a-t-il une thématique particulière ou la programmation se fait-elle aux rencontres ?
Marie Chapoullié : Depuis la création en 2005, il n’y a jamais eu d’édition thématique. Il est important pour nous de toujours rester fidèle à cette idée essentielle de garder une graande souplesse dans la rencontre, une porosité à ce qui se passe. Nous travaillons donc à l’instinct, aux rencontres, aux sollicitations. Ce n’est pas nous qui allons chercher quelque chose de spécifique, nous nous promenons, allons découvrir des compagnies émergentes, voire d’autres que nous suivons depuis longtemps. C’est bien une histoire de rencontres, de coups de cœur qui dessinent les programmations. Et puis il y a aussi l’importance de notre mission de soutien à la création qui reste au cœur de nos préoccupations.
Quels sont les temps forts de cette édition 2023 ?
Marie Chapoullié : nous construisons toujours la programmation autour de grandes formes spécialement crées pour le chapiteau, que ce soit en semi-circulaire ou à 360°mais jamais en frontal. Le soutien à la création sous chapiteau, c’est la structure de base, la fondation du festival. Autour de ces compagnies qui ont fait le choix du chapiteau, un choix très fort, on tisse des propositions, un parcours cohérent qui oscille entre différentes formes. Les circassien.ne.s sont bien entendu perméables au monde qui les entoure et porteurs d’une vision, d’une envie de témoigner de ce qu’ils ressentent, de ce qu’ils vivent. Ils et elles sont traversé.e.s par les grands sujets qui agitent nos sociétés, par la beauté, la violence, ce qui nous touche. Le cirque, comme l’art vivant en général, est un miroir du monde, un miroir du temps. Par ailleurs, nous essayons à travers les différents spectacles que nous accueillons d’ouvrir au maximum les imaginaires. Le but est de mélanger les publics, de mixer les profils, d’intéresser un maximum de gens différents.
Quels sont les artistes attendus pour cette édition ?
Marie Chapoullié : Les deux grandes formes que nous accueillons concentrent tous les regards. Ce week-end, c’est le Cirque Queer qui ouvre le bal avec Le Premier artifice. C’est leur toute première création. C’était donc important pour nous de le soutenir, d’autant qu’ils ont aussi acheté leur propre chapiteau. C’est une étape importante pour une compagnie. Ielles défendent un propos et un esthétique queer, qui sont peu ou mal connus du grand public. Nous ne les connaissions pas mais ce qui est défendu au plateau est essentiel et les trois soirées qui arrivent vont être particulièrement belles. Puis, c’est autour du Cirque Exalté d’investir la piste avec Foutoir céleste. C’est la première fois qu’ils créent à 360° et pour l’occasion, la compagnie a également aussi investi un chapiteau. Le spectacle a quelques mois mais n’est pas encore passé par Paris. Foutoir célèste célèbre la joie, la fête et l’envie de vivre et le besoin d’oser. C’est vraiment très réjouissant. Deux créations, deux paris réussis. En parallèle de ces deux œuvres, nous accueillons deux spectacles qui donnent la part belle à des paroles intimes, Time to tell de Martin Palisse, mis en scène par David Gauchard, et Dicklove de Sandrine Juglair. Nous accueillons également deux compagnies émergentes, La Cie Inéluctable avec Soi(e) et le duo Liam Lelarge et Kim Marro avec La Boule et une jeune circassienne pour plusieurs performances, Viviane Miehe. Le public pourra également voir ou revoir le très sensible Robert n’a pas de paillettes d’Arthur Sidoroff, compagnie La Fauve. Bref, un Village de cirque libre et sensible.
Votre structure et les différents événements que vous organisez ont permis de changer le regard sur le cirque…
Marie Chapoullié : Certainement. C’est un engagement dont nous sommes fièr.e.s. De nombreuses structures en France, comme les pôles cirque, notamment, déploient leur force pour soutenir et faire mieux connaître les arts du cirque. Le cirque contemporain est de plus en plus visible et montre à quel point la discipline à évoluée, a pu se nourrir des autres arts. Il est important que les pouvoirs publics et les réseaux professionnels continuent de soutenir le cirque de création. Nous sommes là pour accompagner et diffuser ces spectacles qui allient danse, théâtre, cirque, musique, etc. Tant mieux, si les mentalités évoluent et si le grand public est de plus en plus nombreux à découvrir le cirque d’aujourd’hui et de demain.
D’où vient le nom de Village de cirque ?
Marie Chapoullié : Dès le début du projet, l’idée était de créer un espace éphémère, un lieu de création et de rencontre, un espace un peu magique, une utopie, où le partage et la convivialité sont au centre du projet. On peut venir au Village se poser, se reposer sur des transats, boire un verre au bar, échanger. Un espace entre ville et nature, entre Paris et le bois de Vincennes, une bulle entre deux mondes. Les gens viennent souvent pour plusieurs heures. C’est un peu hors du temps. On adore !
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Village de cirque par la Coopérative De Rue De Cirque
du 8 au 24 septembre 2023