Au théâtre de la Tempête, Julien Guyomard signe, avec Les Méritants, une fable fantastique et politique où la confrontation entre zombies et humains questionne les bases de nos démocraties ainsi que la responsabilité de chacun à agir, à changer de paradigme dans un monde ancré dans une idéologie libérale.
© Christel Laur
L’apocalypse a eu lieu. Toute une partie de la population mondiale s’est transformée en morts-vivants. Murés derrière des barricades de fortune, des humains, une centaine, tentent de survivre. Sous l’impulsion d’une poignée d’entre eux, des têtes fortes, ils organisent un semblant de vie, de démocratie basée sur un système égalitaire et auto-suffisant. Très vite, la machine s’enraye faute de bonne volonté. Il est temps de remotiver les troupes pour le bien commun. L’arrivée de zombies plus ou moins civilisés dans le camp va changer la donne.
La méritocratie pour masquer un système de classe
Que faire quand les monstres dont on essaye de se protéger se montrent moins dangereux que prévu et rêvent de participer à vos côtés au monde de demain ? En partant de ce postulat, Julien Guyomard imagine une dystopie délirante qui met à mal nos idées reçues et exergue nos préjugés. Malgré ses yeux blancs révulsés, sa démarche erratique, son teint vert et ses cheveux éparses, le zombie se montre courtois, amical et volontaire. Son seul désir s’intégrer. Qu’à cela ne tienne. Pour qu’une cohabitation équitable s’installe, un système de méritocratie est mis en place. L’ordre établi en est modifié. La chute des uns, qui se croyaient à l’abri dans leur tour d’ivoire, l’ascension d’autres – des transfuges de classe – , dont la conduite est exemplaire, est vertigineuse.
Malgré tous les efforts fournis, à quelques exceptions près, les morts-vivants ont bien du mal à se fondre dans le décor. Gommant les différences derrière des artifices – perruques, bb crème, etc. – , acceptant les tâches les plus pénibles, les plus ingrates, donnant plus à la communauté que les autres, ils restent en bas de l’échelle. Derrière le masque de la démocratie, de la tolérance, tout n’est qu’apparence. L’humain étant vivant est forcément supérieur à l’être dont le cœur ne bat plus. La révolte gronde. L’ordre établi vacille…
De la série Z au théâtre d’auteur
Bien évidemment, toute ressemblance avec des effets existants est fortuite. Et c’est là toute la force de ce spectacle qui oscille en permanence entre théâtre de genre et réflexion philosophique. Avec habilité, Julien Guyomard change de registre sans jamais tomber dans la caricature et croque avec mordant les travers de nos sociétés contemporaines qui sous couvert d’égalité, de fraternité et de bien-pensance progressiste ont tendance à vriller en dictature dite éclairée. Jonglant habillement entre situations cocasses et dialogues ciselés, il démonte avec humour et ingéniosité l’hypocrisie des rapports sociaux qui nous unissent aux autres et qui souvent laissent transparaître une domination sous-jacente.
S’appuyant sur la veine de la fable semi-réaliste, il dirige au cordeau ses comédiens – Xavier Berlioz, Julien Cigana, Sol Espeche, Magaly Godenaire, Damien Houssier, Renaud Triffault et Élodie Vom Hofe -, tous excellents, sémillants et drôles à souhait. Rien n’est plus drôle qu’une satire bien faite et savamment dosée. Julien Guyomard excelle dans ce registre, où l’allégorie fantastique a des airs d’âpre réalité. Ses Méritants font partie des découvertes de cette rentrée. Ne passez pas à côté, laissez-vous croquer à pleines dents, vous en redemanderez !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les méritants de Julien Guyomard
Théâtre de la Tempête
La Cartoucherie
Route du champ de manœuvre
75012 Paris
Jusqu’au 22 octobre 2023
Mise en scène de Julien Guyomard
avec Xavier Berlioz, Julien Cigana, Sol Espeche, Magaly Godenaire, Damien Houssier, Renaud Triffault, Élodie Vom Hofe
collaboration dramaturgique – Damien Houssier & Élodie Vom Hofe
scénographie de Camille Riquier
lumières d’Alexandre Dujardin
son de Thomas Watteau
costumes de Benjamin Moreau
régie lumières deJuliette Oger-Lion