En ce premier week-end du Festival biarrote, dirigé artistiquement par Thierry Malandain, la programmation tire tous azimuts. En proposant la nouvelle création hybride du duo Bruno Bouché-Clément Hervieu-léger, le manifeste dansé d’Olivia Grandville et le show rythmé de Mehdi Kerkouche, le temps d’aimer se conjugue aux multiples composés.
On achève bien les chevaux d’Horace McCoy – adaptation, mise en scène et chorégraphie Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger et Danse San Pedro
© Stephane Bellocq
Le bruit des vagues, l’odeur des embruns, rafraichissent à peine l’atmosphère étouffante des derniers jours. Quelques orages, bienvenus, éclatent dans un concert de tonnerre et d’éclairs. Imperturbables, les festivaliers se laissent porter par les propositions alléchantes et éclectiques de la programmation 2023 du Temps d’aimer la danse. Au cœur de l’après-midi, à l’instant le plus chaud de la journée, les spectateurs se sont rassemblés devant la Salle Lauga de Bayonne, un espace polyvalent dédié au sport et la culture. Dans quelques instants, un marathon dansé va être lancé. Orchestré par Clément Hervieu-Léger, pensionnaire du Français et co-directeur de la Compagnie des Petits-champs, avec son complice de longue date, Daniel San Pedro, et Bruno Bouché, à la tête du CCN-Ballet du Rhin depuis 2017, cet événement d’envergure, hybridation entre théâtre, performance et danse, renvoie à le Hollywood de l’entre-deux guerres, au moment de la Grande dépression, où souvent par désespoir, par un besoin vital d’argent, jeunes et vieux s’inscrivaient à ce type de concours humiliant autant qu’inhumain.
Le noir roman d’Horace McCoy adapté à la scène
Ils sont prêts à tout pour un peu d’attention, un regard, pour être enfin repérés dans un monde sans foi ni loi qui ne sait plus ce qu’est la valeur de la vie humaine. De tous âges, de tous horizons, ils entrent sur la piste comme dans une arène. Les règles sont claires, danser encore et toujours, jusqu’à l’épuisement, la chute et qu’il ne reste plus qu’un couple sur scène. Pour gagner, l’endurance est certes primordiale, mais il faut faire le show, se faire distinguer par les producteurs, friands de ces manifestations dans le but de dénicher la star de demain. Tout est bon, se marier sur le dancefloor, accepter les pires contraintes, les pires épreuves imaginées par Sailor, le directeur du lieu qui n’a qu’en tête qu’un seul objectif, faire salle comble et donner au public du spectaculaire, du sensationnel.
Au plateau, 32 danseurs du CCN Ballet de l’Opéra national du Rhin, 4 musiciens et 9 comédiens donnent vie au roman d’Horace McCoy. Avec ingéniosité, Clément Hervieu-Léger, Daniel San Pedro, pour la partie théâtre, et Bruno Bouché, pour la partie danse, ont fait le choix d’adapter le roman et non le film culte de Sidney Pollack. Ainsi, la trame, à peine esquissée par quelques phrases égrenées ça et là, se vit à travers les performances de cette troupe survoltée qui tourne, virevolte et se laisse emporter par la ronde folle d’une musique endiablée jouée en direct allant d’airs opératiques à des standards de la culture américaine, comme cette magnifique version d’All Over The Rainbow qui vient porter un peu de baume aux compétiteurs après plus de 63 jours de danse non-stop. Fresque humaine, dénonciatrice d’une époque, d’un style de vie, mais aussi d’une société de surconsommation, dont les stigmates résonnent encore aujourd’hui, On achève bien les chevaux fait un état des lieux noirs de la nature humaine. Faisant suite à l’adaptation des Ailes du désir en 2021, cette nouvelle création du Ballet du Rhin, en collaboration avec la Compagnie des Petits-Champs, n’a certes pas encore trouvé totalement l’équilibre entre les différents arts vivants qu’elle convoque, mais fait la part belle au travail de direction d’acteurs et de danseurs. Sous le signe de la fluidité et de la prouesse sportive autant qu’artistique, l’œuvre sera présentée le week-end prochain au Gymnase Japy à Paris, en ouverture des Olympiades culturelles du Carreau du Temple.
La famille à corps
À la Gare du midi, qui abrite le Malandain Ballet Biarritz, la star chorégraphique du moment, Mehdi Kerkouche présente Portrait, pièce créée en janvier dernier à l’occasion du festival Suresnes Cité danse. Loin de son nouveau travail de directeur du CNN de Créteil, l’artiste survolté remonte sur les planches pour remplacer un de ses danseurs blessés et met le feu dans la salle. Croquant la famille dans ce qu’elle a de plus touchant, de plus caustique, de plus dur, il esquisse une fresque humaine survitaminée portée par neuf danseurs singuliers et d’horizon différents.
Au fil d’un récit kaléidoscopique entrecoupé de tableaux qui se figent à la manière des vieux portraits de famille, le chorégraphe suresnois tente d’évoquer les différents aspects d’une famille sur plusieurs générations et s’attache surtout à montrer comment la danse crée le lien par le plaisir qu’elle procure, par la communion des corps qu’elle provoque. Rien de révolutionnaire, certes. Mais avec une belle énergie, une simplicité et un sens du plateau, le jeune homme de 37 ans sait capter l’attention des foules, les fédérer autour de figures performatives et d’enchaînements très rythmés. Il n’y a qu’à voir la salle comble se lever comme un seul homme, une seule femme pour saluer la prouesse pour sans convaincre. Du spectacle tout public pour oublier la morosité du quotidien !
L’homme est une femme comme les autres
Autre salle, autre ambiance. Au Théâtre du Casino Municipal, Olivia Grandville, directrice depuis 2022 du CCN – La Rochelle, déconstruit le genre et fait tomber avec drôlerie et inventivité la masculinité de son piédestal patriarcal. Les conversations vont bon train quand huit danseurs-performeurs entrent en slip dans la salle. Gestes faussement prudes, mouvements maladroits, ils montent sur scène, traversent le plateau. Ils sont des mâles en puissance, des hommes fiers de l’être. Enfin en apparence. Tous de morphologie différente, ils s’amusent à travers leur histoire, leur parcours, leur goût pour la danse à saper les bases de la virilité, à dégommer les stéréotypes.
Crûment, sans complexe, la chorégraphe catalyse les ressentis, les émotions de ses interprètes, se sert de leur disparité pour construire un autre récit de l’homme moderne. Plaçant la masculinité à la place du féminin, non sans humour, elle signe une œuvre burlesque autant que sensible. Ne s’épargnant aucune digression, détournant les paroles de rap bien sexistes ou s’appuyant sur le troublant I’m a boy de Gainsbourg, elle invite à une réflexion sur l’être humain au-delà du genre. Malgré quelques passages à vide, quelques longueurs, Débandade est un spectacle jubilatoire, intelligent et terriblement drôle. Une belle réussite à déguster sans modération !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Biarritz
Le Festival Le Temps d’aimer de la danse
Malandain Ballet Biarritz
du 7 au 17 septembre 2023
On achève bien les chevaux d’Horace McCoy
Création le 6 juillet 2023 au Festival d’été de Châteauvallon
présenté salle Lauga – Bayonne les 9 et 10 septembre 2023
Tournée
Les 16 et 17 septembre 2023 au Gymnase Japy – Paris Xie – Hors les murs du Carreau du Temple
Du 15 au 21 novembre 2023 à La Maison de la danse – Lyon
15 et 16 février 2024 au Théâtre de Caen
Du 7 au 10 mars à La Filature – Mulhouse
Du 2 au 7 avril à l’Opéra national du Rhin – Strasbourg
les 11 et 12 avril 2024 à la Maison de la Culture – Amiens
Adaptation, mise en scène et chorégraphie de Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger, Daniel San Pedro
Assistant mise en scène et dramaturgie – Aurélien Hamard-Padis
Scénographie d’Aurèlie Maestre, Bogna G. Jaroslawski
Costumes de Caroline de Vivaise
Lumières d’Alban Sauvé
Son de Nicolas Lespagnol-Rizzi
Coach vocal – Ana Karina Rossi
Mise en répétitions – Claude Agrafeil, Adrien Boissonnet
Piece pour 32 danseurs, 9 comédiens, 4 musiciens
Portrait de Medhi Kerkouche
Présenté le 10 septembre 2023 à la Gare du Midi – Biarritz
Du 4 octobre au 5 novembre 2023 à La Scala – Paris
Assistante à la chorégraphie – Alexandra Trovato
Musique de Lucie Antunes
Lumières de Judith Leray
Scénographie de Mehdi Kerkouche et Judith Leray
Costumes de Guillaume Boulez assisté de Patrick Cavalié et Céline Frécon
avec Micheline Desguin, Matteo Gheza, Jaouen Gouevic, Lisa Ingrand Loustau, Shirwann Jeammes, Sacha Neel, Amy Swanson, Kilian Vernin, Titouan Wiener Durupt
Débandade d’Olivia Grandville
Chorégraphie d’Olivia Grandville et des interprètes
avec Habib Ben Tanfous, Jordan Deschamps, Martin Gìl, Ludovico Paladini, Matthieu Patarozzi, Matthieu Sinault, Eric Windmi Nebie et Jonathan Kingsley Seilman ou Antoine Bellanger
Création sonore de Jonathan Kingsley Seilman
Création vidéo et regard extérieur de César Vayssié
Création lumière de Titouan Geoffroy et Yves Godin
Scénographie de James Brandily
Costumes de Marion Régnier