Lorsque Clément Poirée met en scène Autopsie mondiale d’Emmanuelle Bayamack-Tam, on obtient un spectacle haut en couleurs, en musique et en paroles sur la dérive de deux enfants stars broyés par leur entourage, le système et l’opinion publique. Sous la comédie, une critique de notre société en quête de sens.
© Fanchon Bilbille
Après À l’abordage ! et Catch ! (pour certains matchs), Autopsie mondiale est la troisième collaboration entre le metteur en scène et la romancière. Leur nouveau spectacle est un objet théâtral non identifié, que Clément Poirée n’hésite pas à intituler, une « dramagie musicale ». Comme dans les comédies musicales, on y chante et on y danse. On y rit aussi beaucoup ! Et pourtant, c’est un drame, parce que son sujet l’est ! Est-ce nous qui bâtissons notre société ou est-ce elle qui nous façonne ? Comment en est-on arrivé là, à porter des jugements, et même des interdits sur tout. Ce qui ne veut pas dire que ce fameux tout va obligatoirement de pair avec n’importe quoi ! C’est là le problème.
Et comme le dit si bien Michael dans la pièce : « Mais tout le monde est vide, je me tue à vous le dire ! Si vous cherchez un secret, en voilà un. Un secret bien gardé, mais qui ne résisterait pas à une autopsie mondiale. Allez-y, incisez, ouvrez les poitrines, les estomacs, les cœurs ! Vous verrez bien ! »
La chute des anges
En prenant pour héros Michael Jackson et Britney Spears, Emmanuelle Bayamack-Tam met l’accent sur une jeunesse sacrifiée qui, une fois devenue adulte, s’est retrouvée face à ses pires démons. Le premier, après avoir été le petit Bambi adoré du monde entier, s’est révélé être un monstre. La deuxième, petite fiancée de l’Amérique, a terminé alcoolique, déchue de ses droits de mère et privée de son indépendance. Ce texte peut sembler partir dans tous les sens, mais il n’en est rien. À chaque détour d’une scène, d’une tirade, d’un beau trait de plume et d’esprit, l’autrice rebondit avec dextérité, relançant sans cesse les débats que son texte peut réveiller en nous.
C’est une grande fête dionysiaque où l’on célèbre un dieu et une déesse du monde impitoyable du show-business ! À la place du prêtre, nous avons un personnage qui répond au nom d’Opinion Mondiale et dans le rôle de l’adorateur, le fan ! Tout ceci se déroule sous le regard d’un Monsieur Loyal impayable, qui ne cesse de repasser jusqu’à l’usure, des chaussettes blanches ! Les deux divinités ne vont avoir de cesse de s’engueuler, de se chercher et de se trouver ! Ils vont également tenter de justifier leurs actes et leur existence. Mais Opinion Mondiale ne veut rien entendre. Le fan va alors élaborer un plan pour les sauver. L’idée est de les crucifier pour mieux les ressusciter !
Strass, paillettes et rock and roll
La mise en scène de Clément Poirée est totalement déjantée. La scénographie, les lumières, les costumes, les maquillages, les chorégraphies, les déplacements offrent un écrin formidable à ce texte étonnant. Sa direction d’acteurs est toute aussi réjouissante et permet de faire vibrer les mots et les sentiments. La troupe est exceptionnelle.
Le formidable Pierre Lefebvre-Adrien est un Michael Jackson plus vrai que nature. Il n’est pas dans l’imitation mais bien dans une incarnation ! Mathilde Auneveux nous a totalement bluffé dans le personnage de Britney. Quelle comédienne ! En Madame-je-sais-tout-et-je-vais-vous-le-dire (Opinion Mondiale, donc), Louise Coldefy est hilarante. François Chary s’est glissé avec une grande finesse dans le rôle du fan qui s’accroche au vide. Semblant sorti d’une chanson de Bowie, le musicien et chorégraphe Sylvain Dufour est impayable en Monsieur Loyal qui prend son fer à repasser pour un micro. N’oublions pas de citer la musicienne Stéphanie Gibert. Après les derniers applaudissements, le public est convié à venir se déchaîner sur scène et il ne s’en prive pas.
Marie-Céline Nivière
Autopsie mondiale d’Emmanuelle Bayamack-Tam.
Théâtre de la Tempête
La Cartoucherie – Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris
Du 15 septembre au 22 octobre 2023.
Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h.
Durée 2h10.
Mise en scène de Clément Poirée.
Avec Mathilde Auneveux, François Chary, Louise Coldefy, Sylvain Dufour, Stéphanie Gibert, Pierre Lefebvre-Adrien.
Collaboration à la mise en scène de Pauline Labib-Lamour.
Scénographie, accessoires d’Erwan Creff, assisté de Caroline Aouin.
Lumières de Guillaume Tesson assisté de Lison Foulou.
Costumes d’Hanna Sjödin, assistée de Camille Lamy.
Musique, son de Stéphanie Gibert, assistée de Farid Laroussi.
Maquillage de Pauline Bry-Martin.
Vidéo d’Édith Biscaro.
Images de Fanchon Bilbille.
Chorégraphie de Sylvain Dufour.
Régie générale Boris Van Overtveldt.
Travail vocal Marine Langignon-Ritmanic.
Habillage Émilie Lechevalier, Solène Truong.
Construction du décor Théo Jouffray, Victor Veyron.
Texte publié chez P.O.L.