Jean-Jacques Vanier © DR

Jean-Jacques Vanier, à part ça la vie est belle

Actuellement à l'affiche du Lucernaire dans "La Contrebasse" de Patrick Süskind mis en scène par Gil Galliot, Jean-Jacques Vanier répond à notre questionnaire avec son style si particulier.

Jean-Jacques Vanier © DR

Le comédien est actuellement à l’affiche du Lucernaire, avec La contrebasse de Süskind. Maniant la rhétorique comme personne, possédant le trait d’esprit pointu, Jean-Jacques Vanier a répondu à notre questionnaire à sa manière. Il y évoque le théâtre, la création artistique, évidemment, et plein de choses qui peuvent paraître absurdes mais qui ne le sont aucunement. Du grand Vanier !

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Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?

Dans le lycée où j’étais interne, un groupe de chanteurs et musiciens québécois est venu chanter un jour dans l’auditorium qui servait jusque-là à passer les examens. À à la fin de leur chanson, même si personne n’avait trop compris, tout le monde applaudissait et quand les applaudissements cessaient, ils en chantaient une autre, et ainsi de suite, chanson après chanson. Parfois, le chanteur disait quelque chose pour expliquer pourquoi il avait écrit le morceau qui allait suivre. À un moment il a annoncé la fin, ils ont arrêté et on est tous sortis de l’auditorium. Je n’ai pas trop compris l’intérêt de tout ça, et quant au charme de l’accent québécois, il a agi beaucoup plus tard sur moi.

La contrebasse - Jean-Jacques Vanier © Karine Letellier
La Contrebasse de Patrick Süskind mis en scène par Gil Galliot © Karine Letellier

Une autre fois, un autre groupe est venu jouer dans la salle de cantine, cette fois là un de nos pions faisait partie du groupe, il jouait de la basse et ça m’a interpellé, de voir ou de réaliser, qu’un pion, fumeur de Craven A, que l’on surnommait Nounours, pouvait aussi monter sur scène et faire de la musique. Le monde du spectacle s’offrait dans cette salle de cantine comme un monde accessible à tous.

En attendant, ce que je préférais, et de loin, c’était aller marcher indéfiniment le long de la rivière du lycée qui s’appelait La Tirette avec une grande question qui se posait tout au long de la rivière : à quel moment décider le demi-tour ? Un jour, une fille du lycée marchait avec moi, à ma hauteur, mais sur l’autre rive. On a marché longtemps l’un à côté de l’autre, séparés par la rivière. De temps en temps je la regardais, de temps en temps elle me regardait et des fois, je la regardais en même temps qu’elle me regardait. J’ai oublié de penser au demi-tour, elle aussi peut-être, et nous avons marché très longtemps. À un moment elle a traversé la rivière avec de l’eau jusqu’à la ceinture de son jean et à mon oreille elle a murmuré : « je t’aime ». Ça a fait comme de la ouate tout autour de mon oreille. Comme un fou, j’ai commencé à écrire des poèmes, et comme les ruisseaux qui font les rivières, un jour les poèmes sont devenus des textes, et les textes des spectacles.

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?

Je me souviens d’un jeu mathématique. Il fallait rejoindre neuf points alignés trois par trois, chaque ligne de trois points juste en dessous l’une de l’autre et le faire en quatre traits et sans soulever le crayon. La solution était à l’extérieur de ce carré de neuf points, il fallait monter avec le crayon plus haut que les points eux-mêmes, en fait s’attacher à des points imaginaires et ce test n’était pas un test mathématique mais une mesure de ta force créative. J’étais très content de l’avoir réussi et de découvrir que je ferais donc, d’après le test, partie du monde de ceux qui ont, sans savoir encore quoi en faire, de la créativité.

Une autre fois, je me rendis chez une dame que l’on m’avait recommandée (la grand-mère d’un ami, en fait), et qui lisait dans les lignes de la main. Cet entretien fut extraordinaire du début à la fin. Je n’ai jamais revu cette dame, mais à la toute fin de cette rencontre, je me suis permis une question subsidiaire qui n’avait rien à voir avec ce qui avait précédé. Je lui ai demandé si, dans les lignes de mes mains, elle voyait qu’il y aurait quelque chose d’artistique dans ma vie. Elle a regardé à nouveau mes deux mains, surtout la gauche je crois, et au bout d’un moment elle a dit : « Oui ! Regardez ici cette étoile, il y a quelque chose d’artistique. » J’étais curieux de savoir dans quel domaine. Elle m’a répondu : « Ce sera à vous de le découvrir. » Découvrir, faire naître ce qui existait déjà. L’entretien s’est arrêté sur cette phrase, mais juste au moment de prendre congé, elle m’a regardé dans les yeux et elle m’a dit : « Ne vous laissez jamais hypnotiser par les hypnotiseurs de spectacle. » J’ai fait tout ce qu’elle m’a dit et guidé par le hasard je suis allé découvrir ce qu’il y avait d’artistique en moi tout en évitant les hypnotiseurs.

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?

Les poésies que j’écrivais pour la fille de la rivière, des poèmes très sérieux, des octosyllabes très romantiques, ont été déterminants. Un jour j’en ai dit un sur scène comme on pourrait dire du Prévert ou du Baudelaire. Au troisième vers, il y a eu dans la salle un fou rire de dix minutes environ qui a inauguré mon premier pas vers le métier de comédien.

Votre plus grand coup de cœur scénique ?

Vanier - Poster Caubert © Collection privé
Devant une affiche d’Ariane ou l’Âge d’Or ©Collection privée

Comme beaucoup de monde : La Danse du Diable de Philippe Caubère au Théâtre Edouard VII à Paris et ensuite Ariane ou l’Âge d’Or. Quelques années plus tard, au festival d’Avignon, nous jouons lui et moi dans le même théâtre, sur le même plateau. Lui joue juste après moi, je partage la loge du théâtre avec lui. Un soir je sors de scène, il se prépare dans la loge, il me prend par les épaules et me congratule, il s’était glissé dans la salle, j’en ai encore de la ouate dans les oreilles. Adoubé par le maître. Un must pour ma pomme.

Quelles sont vos plus belles rencontres ?

Mes plus belles rencontres. Oh là là ! Nous entrons dans la géologie. Qui dit géologie dit couches successives, lasagnes, millefeuilles… Les femmes ont été mes plus belles rencontres. Les mamans de mes enfants, des rencontres essentielles. Mes enfants, des rencontres capitales. Mes enfants ont fait mon éducation. Mes enfants m’ont fait grandir. Mes enfants ont réveillé mon humanité quand elle était ensommeillée. Ils ont réussi à faire de leur père un homme meilleur en me remplissant d’amour et je ne m’attendais pas à ça. Des rencontres avec des hommes, aussi. Il y en a un dont les rires me manquent souvent devant la page blanche, c’est Gérard Brach, scénariste de Jean-Jacques Annaud, de Claude Berri, de Roman Polanski et de beaucoup d’autres. J’allais chez lui le jeudi en sortant de la Maison de la Radio, juste après l’émission Rien à Cirer, en direct sur France Inter. On parlait et on rigolait comme des tordus. Je l’appelais quand je n’arrivais pas à écrire ma chronique, il disait : « C’est qui, ton invité ? — Miou-Miou — Elle est bien cette femme — Oui, mais je sais pas quoi dire ! — T’as qu’à dire que tu t’es évanoui… » On se tape un quart d’heure de fou rire et j’écris, ce jour-là, la plus belles de mes chroniques… avant de m’évanouir.

Jean-Jacques Vanier - Sur le fleuve Yukon © Selfie, Collection privé
Un selfie sur le fleuve Yukon ©Collection privée

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?

Je n’ai jamais pensé que mon métier était nécessaire à mon équilibre. Mon équilibre, je le trouve dans ma relation et dans la justesse de cette relation aux autres. L’amour, l’amitié, la camaraderie, l’attention portée aux autres sont essentiels. L’ouverture d’esprit, la générosité, le goût du savoir sont prioritaires, la bonne bouffe et la pâtisserie aussi. La table, les repas partagés et les rires, c’est capital.

Je n’ai jamais pensé non plus que l’équilibre était nécessaire à ce métier. Ce métier, comme la marche, s’alimente d’une suite de déséquilibres. Il faut marcher, avancer ou tomber, c’est la règle implicite. Prendre une décision, c’est créer un déséquilibre. Au théâtre, chaque seconde est une décision à prendre qui impliquera la réussite, la beauté, la grâce d’une scène, d’un spectacle. C’est très important pour moi de suivre cette logique et la mise en danger qu’implique cette suite de déséquilibres. C’est à ce prix-là qu’on captive une salle. C’est le prix du succès. Avec le travail, avec le temps et avec de la chance, la maîtrise vient à ton aide et c’est bien. Quand je parle du succès, je parle de celui d’une représentation. Le succès avec un grand S, c’est autre chose. Voilà, je n’ai pas tout à fait répondu à la question mais c’est ça que je voulais dire. Exercice d’équilibriste que de s’expliquer.

Qu’est-ce qui vous inspire ?

Si on parle inspiration, je pense écriture bien sûr. Je ne sais pas ce qui m’inspire et je ne veux pas le savoir, un peu comme si l’on venait tout vous dire de ce qu’il y aura après la mort, je préfère avoir la surprise. C’est dans cet état d’esprit que je me pose devant la feuille, et là j’attends. J’écris, je jette. J’écris, je jette, jusqu’au moment où je garde, jusqu’au moment de la surprise.

Longtemps j’ai pensé que l’imagination n’existait pas, qu’il n’y avait pas des gens avec imagination et des gens sans imagination. Un jour je crois que j’ai réalisé que l’imagination c’était juste une manière (ou un art) de triturer ensemble et au hasard les souvenirs, les connaissances, les désirs, les rêves, les cauchemars, les regrets et les espoirs, et que l’inspiration serait de savoir s’agripper à ce hasard.

De quel ordre est votre rapport à la scène ?

Mon rapport à la scène il est guerrier. Être là à cent pour cent et à sang pour sang au service d’un texte. Il est animal. Il est à la fois farouche et confiant.

À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?

Les phanères. Le bout des ongles. Des fois ceux des pieds, des fois ceux des mains. En réalité de l’extrémité des ongles des pieds au bout des ongles des mains et en passant par la racine des cheveux et je ne parle pas des poils qui s’impliquent aussi parfois.Mon conseil : Vitamines B6, B8, B5, et l’argile verte. C’est ce que me recommande toujours ma médium que je consulte à intervalles réguliers.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?

Lino Ventura.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?

Il n’y a pas de projet fou. La folie serait de ne pas avoir de projet. Le plus minuscule des projets est déjà une folie mais j’emballerais bien le Pont-Neuf une seconde fois, pour le plaisir de le revoir tout emmailloté. Jouer ce texte, La Contrebasse ? Oui, faut être un peu fou, mais quel plaisir, quelle jubilation. Ce qui fait la folie de certains projets ce n’est pas l’énergie, les moyens à mettre en œuvre, ni l’argent. C’est le temps. Notre Dame de Paris 107 ans selon l’expression.

Mon travail est fondamental dans ma vie, mais mes rêves les plus fous sont ailleurs. Il y a quelques années, j’en ai fait la liste et j’ai commencé à les réaliser un par un. Le dernier en date, c’était d’emmener mes enfants sur les traces de Jack London et nous sommes allés descendre le fleuve Yukon dans le Grand Nord canadien, à la frontière de l’Alaska. Deux semaines de descente et de bivouacs le long du fleuve depuis White Horse en passant par Big Salmon et jusqu’à Dawson City, la ville des chercheurs d’or. Plus que du rêve, de l’aventure. Et d’ailleurs, je serai mineur l’année prochaine dans une pièce qui s’intitule Du charbon dans les veines de Jean-Philippe Daguerre. Ensuite, ce sera À la recherche de la recherche que je viens d’écrire. Ça, c’est du concret, de l’aventure théâtrale. Et le prochain rêve sur ma liste est plus sage que le Yukon : Le Mont Blanc, pas le stylo, en VTT bien sûr, pas en hélicoptère. Plus concret que concret pour moi, pour cette rentrée, c’est La Contrebasse de Patrick Süskind qui était au départ un rêve et qui est aujourd’hui une réalité sur scène.

Lire ici notre critique de La Contrebasse

Propos recueillis par Marie-Céline Nivière

La Contrebasse de Patrick Süskind
Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris

Jusqu’au 5 novembre 2023
Du mardi au samedi à 19h, dimanche 16h
Durée 1h25

Mise en scène Gil Galliot
Avec Jean-Jacques Vanier
Lumières Nicolas Priouzeau

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