Une nuit au théâtre ©Erik-Damiano
©Erik Damiano

Avez-vous déjà dormi dans un théâtre ?

À Toulouse, à l'occasion des journées du patrimoine, le ThéâtredelaCité ouvrait ses portes au public le temps d'une nuit bercée par les jeunes comédiens de l'AtelierCité.

Une nuit au théâtre ©Erik-Damiano

À Toulouse, à l’occasion des journées du patrimoine, le ThéâtredelaCité ouvrait ses portes au public le temps d’une nuit bercée par les jeunes comédiens de l’AtelierCité.

©Erik Damiano

« Je pensais pas que vous alliez arriver aussi tôt ! » Quand Stéphanie et Suzon, mère et fille, pénètrent dans leur chambre, Julien est encore là, en jogging, ses affaires encore en vrac sur le bureau. Dans le désordre, trois livres : le Journal vidéo et Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, Retour à Reims de Didier Eribon. Le comédien planche sur sa proche mise en scène, une adaptation de l’œuvre du dramaturge français trop tôt disparu. Il reste des canettes d’Ice Tea dans le frigo. « Vous en voulez ? » Le temps de libérer la chambre, il évoque son parcours, les résonances entre la vie de Louis, personnage principal de la dernière pièce de Lagarce, et la sienne, sa propre jeunesse dans la campagne normande, son départ vers la ville pour devenir artiste. Dans ses mots prend forme, peu à peu, sa vision pour une mise en scène du texte, à laquelle les polaroïds des comédiens censés reprendre les rôles donne un peu d’incarnation.

Suzon, treize ans, assise sur le lit, écoute. C’est la première fois qu’elle entend parler de cette pièce écrite en 1990, devenu un classique théâtral. Pas comme sa mère, metteuse en scène et prof de théâtre au sein de la compagnie Les Apartés à Mazères-sur-Salat, dans le pays de Comminges, qui, coïncidence, en avait joué une scène lors d’un concours de jeunesse. Quand le comédien s’échappe, son histoire derrière lui, la lycéenne a envie de voir la pièce. Il faudra lui expliquer que la mise en scène de Julien Savignon n’existe pas vraiment, en tout cas pas encore : la rencontre, fictionnée, fait partie d’une des huit interventions théâtrales données ce soir-là dans autant de chambres doubles par les jeunes comédiens de l’AtelierCité pour les huit duos venus participer à la « nuit au théâtre ».

Un public mélangé
Une nuit au théâtre ©Erik Damiano
Pendant la visite, les participants découvrent la réserve de costumes ©Erik Damiano

Du 12 au 17 septembre, la semaine des journées du patrimoine, le CDN ouvrait ses portes pour faire découvrir le bâtiment et l’institution, entre médiation culturelle et expérience de théâtre immersif. Passée cette introduction in situ pour laquelle chaque comédien est parti d’un texte choisi, le programme est dense : visiter le théâtre et ses coulisses, du dessous de scène à l’atelier de la cheffe costumière, avec Enora Gallais, chargée des relations aux publics, dîner avec les comédiens de l’AtelierCité, choisir ses costumes et s’habiller en loges pour monter quelques minutes sur les planches avec lumières et lever de rideau, se laisser raconter une histoire avant de dormir dans les habitations flambant neuves habituellement réservées aux artistes. Le lendemain, avant de quitter les lieux, un petit-déjeuner est prévu dans la salle à manger des équipes.

Parmi les participants, tirés au sort, il y a des aficionados comme Rosemarie, Christine, Grégory et Julien, piochés parmi la liste des abonnés de l’établissement. Il y a aussi des néophytes comme Sandrine et Cathy, plus habituées au théâtre d’impro ou au boulevard dans des salles comme le 3T ou le Théâtre de la Comédie. Cathy rêvait de monter sur scène, elle se réjouit : « On pourra dire qu’on l’a fait ! » Ou celui d’Estelle et Max, vingt-quatre et vingt-deux ans, qui ont candidaté sur un coup de tête après avoir ramassé le flyer dans un café de Toulouse, même s’ils ne fréquentent pas les théâtres. Visiblement curieux tout au long de la soirée, ils s’en réjouissent au petit matin : « C’était incroyable ! »

Le théâtre et la cité
Elise Friha ©Erik Damiano
Elise Friha surprend un duo de visiteurs à leur arrivée dans la chambre ©Erik Damiano

En 2018, pour leur prise de fonction, Galin Stoev et le codirecteur Stéphane Gil demandent à Opéra Pagaï de transformer le CDN de Toulouse en Cité merveilleuse le temps des journées du patrimoine. Les murs qui séparent le théâtre et la vie tombent, le bâtiment entier est investi, on y vit comme on y travaille, on y cultive et vend des légumes, on y campe. Il y a un bloc opératoire, une boîte de nuit, un gymnase. Le public, les acteurs et les employés se mélangent. Ces derniers en redemandent. À l’automne 2022, le rendez-vous est pris.

La « nuit au théâtre » s’inscrit donc dans la lignée de la Cité merveilleuse, et prolonge la volonté de rendre plus poreux le théâtre et les gens. Cette fois, ce sont Théodore Oliver et Chloé Sarrat de la compagnie toulousaine MégaSuperThéâtre qui ont imaginé le parcours comme « un parcours sensible », main dans la main, donc, avec les comédiens de l’AtelierCité. « La mystification des artistes participe à éloigner le public du théâtre », justifie Théodore Oliver. « Là, se retrouver sur scène, puis à table et dans les chambres avec les comédiens permet de casser ça », complète Chloé Sarrat.

Rendez-vous pris
Une nuit au théâtre ©Erik Damiano
Le soir, Thomas Ribière raconte une histoire à ses invités ©Erik Damiano

Cette volonté, qui a aussi des enjeux dans une compréhension matérielle du travail de la scène, permet à cette opération de ne pas se résumer, comme on pourrait le craindre, à muséification de l’institution de spectacle vivant ; de ne pas seulement donner à voir de près les moulures d’un théâtre copieusement équipé mais aussi un peu des dessous du travail humain qui préside à la création. « On a l’impression que le théâtre est un lieu très vivant mais les spectateurs viennent et partent. À part à la billetterie, c’est rare d’être en rapport direct avec le public », observe le codirecteur. Des moments comme ceux-ci entendent déjà faire appel d’air, quitte à les pérenniser : « Les quatre mille spectateurs m’ont enthousiasmé. Si on trouve les créneaux pour dans le calendrier, on le refera », se réjouit le codirecteur.

À l’arrivée, cette opération de dédramatisation devrait porter quelques fruits. À les entendre, tous se sont copieusement amusés à découvrir les dessous du théâtre et à rencontrer ses comédiens. Mais ce n’est presque pas une surprise, vu le pouvoir de séduction d’une bâtisse où la technique côtoie la magie. D’autres indices permettent de jauger plus concrètement des effets d’une opération somme toute conséquente. Estelle et Max, qui ne connaissaient pas le ThéâtredelaCité, ont par exemple déjà pris leurs réservations pour deux pièces de la saison, Falaise et Même si le monde meurt. Cathy, elle, affirme : « On n’osait pas forcément entrer dans le théâtre. Maintenant, on s’y sentira comme chez nous. » S’il faut rendre les clés des chambres à neuf heures, tous savent désormais que les portes du théâtre, elles, restent ouvertes à l’année.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Toulouse

Une nuit au théâtre
ThéâtredelaCité
1 rue Pierre Baudis, 3100 Toulouse

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