À l’occasion de la 40e édition des Francophonies – des écritures à la scène, les Luxembourgeois Ian de Toffoli, à l’écriture, et Renelde Pierlot, à la mise en scène, portent au plateau, avec dextérité, humour et poésie, les interconnexions et interactions qui lient industrie pétrolière, structures économiques luxembourgeoises et luttes climatiques.
© Christophe Péan
Au plateau, d’énormes tuyaux métalliques légèrement rouillés, utilisés pour la création de pipelines, sont posés à même une pelouse verte luxuriante. L’allégorie est claire, le tableau est dressé, l’histoire qui va être contée a tout du combat inégal entre David et Goliath. Que peut la nature face à la pollution et l’industrialisation à outrance ? Que peut l’être humain pris dans l’engrenage du capitalisme et du confort matériel qu’il procure ? Est-il possible de changer de paradigme ?
Pot de verre contre pot de fer
À la manière d’une comédie musicale, Ian de Toffoli et Renelde Pierrot entremêlent passé et présent, saga familiale et radicalisation d’une jeune fille. D’un côté, la famille Koch, des industriels et entrepreneurs américains sans foi ni loi qui ne pensent qu’au profit ; de l’autre, Léa, une jeune luxembourgeoise qui prend conscience de l’urgence climatique. Entre les deux, aucun lien apparent. C’est toute la magie du conte, tisser des liens, faire des ponts entre réalité et fiction. L’histoire débute en 1890, quand le grand-père du dirigeant actuel de Koch industries débarque de son Pays-Bas natal pour vivre son rêve américain, sa conquête entrepreneuriale.
Parti de rien, bien qu’issu d’une bonne famille néerlandaise, il gravit à une rapidité fulgurante les échelons. Simple journaliste, il devient directeur de publication, achète sa propre voie ferrée et incite son fils à faire des études dans la pétrochimie. L’OPA sur l’économie américaine, puis mondiale est lancée. Devenue roi du pétrole en une génération, la famille transforme tout ce qu’elle touche en or, quitte parfois à frôler l’illégalité. Peu importe, l’argent fait des miracles, le lobbying le reste. Face à ces magnats de l’industrie, qui n’ont que faire de l’environnement, devenus maîtres en fake news pour manipuler à leur guise l’opinion public, que peut Léa, jeune fille de la classe moyenne, tout juste sortie de l’enfance, déjà confrontée aux dérèglements climatiques, à l’essoufflement de la planète malmenée par l’homme. Peu de choses : manifester bien sûr, tenter de faire comprendre à ses proche l’urgence à changer de système, à devenir écoresponsable, à en finir avec une mondialisation qui tue à petit feu la nature. Est-ce suffisant ? La non-violence est-elle la solution pour faire entendre sa voix ? Rien n’est moins sûr.
Une troupe virtuose
La plume de Ian de Toffoli est ciselée, enlevée. Elle donne à cette fable contemporaine des airs de tragi-comédie. Bien que le drame soit sous-jacent, que la crise écologique mondiale serve de toile de fond, l’auteur utilise l’humour noir pour désarmer les sceptiques, toucher au plus juste et réveiller les consciences endormies des citoyens qui aimeraient bien faire sans avoir à sacrifier leur confort. Complice de longue date, Renelde Pierlot s’empare de ce texte avec ingéniosité, le mâtine d’une ambiance jazzy, lui donne des airs de fresque cartoonesque et musicale.
Porté par une troupe d’acteurs détonants, virevoltants et passant aisément d’un récit à l’autre en s’affublant tout simplement de vestes fluo, Léa et la théorie des systèmes complexes ouvre en beauté cette édition anniversaire des Francophonies. Malgré la pluie limougeaude, le bel ouvrage est au rendez-vous !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Limoges
Léa et la théorie des systèmes complexes de Ian De Toffoli
Les Francophonies des écritures à la scène
CCM Jean Gagnant
jusqu’au 22 septembre 2023
Durée 2H45 avec entracte
Tournée
Du 10 au 22 octobre aux Théâtres de la Ville du Luxembourg
Mise en scène de Renelde Pierlot assistée de Mikaël Gravier et Jonathan Christoph
Avec Léna Dalem Ikeda, Jil Devresse, Fred Hormain, Nancy Nkusi, Luc Schiltz, Pitt Simon, Chris Thys
Scénographie de Philippine Ordinaire
Création costumes- Caroline Koener
Création lumière – Nathalie Perrier
Création son – Fred Hormain
Illustratrice – Lena Irmgard Merhej