Au Théâtre 14, la 488e sociétaire de la Comédie-Française ouvre le bal de la saison en reprenant Ex-traits de femme, un portrait kaléidoscopique et décalé des personnages féminins qui habitent l’œuvre de Molière. Enfantine, espiègle ou croqueuse d’homme, Anne Kessler est toutes les femmes à la fois, tout simplement irrésistible !
© Jennifer Guillet
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
C’est le théâtre de guignol du jardin du Luxembourg, où m’avait amenée ma marraine. Je me souviens que j’ai été impressionnée par les cris des enfants, leurs réactions spontanées, leur liberté. Tandis que moi, je suis restée muette. De Guignol, je me souviens surtout du bruit des coups de bâton !
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
À un moment de mon adolescence, j’ai eu l’impression qu’on me demandait de quitter mon monde pour aller dans un autre monde. Comme j’aimais l’aventure, entrer dans un autre monde m’ a paru intéressant, mais quand j’ai vu le monde qu’on me proposait, j’ai eu peur. Oui, peur de m’ennuyer jusqu’à la fin de mes jours ! Être toujours la même personne, impossible ! J’ai su immédiatement qu’il me fallait rejoindre le monde des poètes et de leurs histoires pour pouvoir être plusieurs.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne et metteuse en scène ?
Ce que je préférais faire quand j’étais enfant, c’était « jouer », je voulais continuer à jouer. C’est aussi simple que ça.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
C’était un spectacle pour enfants, au théâtre de la plaine : La Belle au bois dormant. Je jouais la fée qui endormait tout le monde pour 100 ans. Je me souviens du moment où je mettais mon costume. Comme on se changeait dans une sorte de vestiaire, je n’avais pas la sensation que j’aurais après ce cérémonial unique avant d’entrer en scène. En revanche, je me souviens de mes pieds sur la scène, de mon cœur libre, de ma joie intérieure, de ma conviction profonde que c’était le lieu que je préférais au monde.
Le jour de la première, ma tante Charlotte est morte. Je l’aimais infiniment, je lui ai dédié la représentation. Le plateau, c’était déjà sacré pour moi avant même d’en avoir fait l’expérience.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Ma rencontre la plus importante, c’est celle que j’ai faite avec Le canard sauvage, son auteur Henrik Ibsen, son metteur metteur en scène Alain Françon, avec Edwig – l’adolescente que je devais incarner – et avec Jean-Yves Dubois, avec qui j’avais une scène très importante.
Ce spectacle confirme mon intuition : le jeu va me passionner longtemps.
Quelles sont vos autres plus belles rencontres ?
Comme spectatrice, mes rencontres sont : Le théâtre du soleil, la Carmen de Peter Brook aux Bouffes du Nord, Le Soulier de satin d’Antoine Vitez , La compagnie des hommes d’Alain Françon au théâtre de la Colline, Médée, à Chaillot de Déborah Warner et Le mariage de Figaro de Jean-Pierre Vincent à Chaillot aussi .… et bien d’autres encore.
Et comme actrice toutes les personnes avec qui j’ai travaillé et qui m’ont aidé à rencontrer l’âme de tous les êtres concernés par le spectacle et d’abord, les personnes qui se sont confrontées à la page blanche.
Mes vrais coups de cœur scéniques sont des chocs humains. Quand tout ne font plus qu’un : les interprètes, les mots , l’espace, les spectateurs, tous dans l’Histoire .
Le temps est suspendu pour toujours, l’impossible est possible !
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Sur scène, je suis en équilibre justement !
Je suis en vie. Je n’attends rien, je suis inconsciente en toute lucidité.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Quand je travaille un rôle, c’est lui qui m’inspire. Il m’obsède et tout ce qui m’entoure pendant le travail , pendant les répétitions semble lui appartenir. Par exemple, si je regarde un film dans cette période et si dans ce film une actrice ou un acteur me touche particulièrement, il sera dans ce rôle.
Mais ça peut être de la danse, un vêtement, un parfum, une rencontre, une image …. c’est vraiment tout ce que je vis à ce moment-là.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
La scène me protège de mes démons. Je suis exposée donc libérée.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Le jeu, réconcilie mon âme, mon esprit et mon corps.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
J’ai envie de travailler avec tous les artistes qui sont le plus possible sincères.
Ce mot de « sincérité » peut paraître enfantin, naïf mais il est essentiel .
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Le projet le plus fou est celui qui me semble n’avoir jamais été réalisé encore. Donc celui-là !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Voyelles de Rimbaud.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Ex-traits de Femmes d’après les pièces de Molière
création mai 2022 au Studio de la Comédie-Française
Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier
75014 Paris
Du 19 au 30 septembre 2024.
Les Mardis, mercredis et vendredis à 20h, le jeudi à 19h, le samedi à 16h.
Durée 1h.
Conception, interprétation et animation graphique d’Anne Kessler
Lumières d’Éric Dumas