Au théâtre de la Chapelle du Verbe incarné, la comédienne, auteure et metteuse en scène reprend La Freak, spectacle créé en octobre dernier à la Reine blanche à Paris. Non sans verve et avec beaucoup d’humour, Sabine Pakora se libère dans cette pièce des préjugés et des clichés qui lui collent à la peau. Rencontre avec une artiste rare et lumineuse.
© Marine Lécroart
Comment l’art vivant est-il entré dans votre vie ?
Sabine Pakora : À travers le cinéma, tout d’abord. Petite, je regardais beaucoup de films à la télé et je m’amusais à reproduire les scènes les plus marquantes. Dernière d’une fratrie, mes frères et mes sœurs plus âgés ne voulaient pas trop jouer avec moi. N’ayant pas de partenaire de jeu, je m’inventais des personnages, recréais des saynètes et faisais mes propres sketchs devant le miroir de la salle de bains. Puis, à chaque fois que c’était possible, quand je partais en colonie de vacances, je faisais en sorte de participer aux ateliers de théâtre. C’est au collège que les choses sont devenues plus sérieuses. Avec le club de théâtre de l’établissement, nous avons préparé toute l’année une pièce, que nous avons joué à Avignon. C’était une expérience incroyable. À partir de là, je me suis inscrite à toutes les activités qui avaient un lien avec l’art vivant. Naturellement au lycée, je me suis ensuite orientée vers un bac théâtre.
Pourquoi comédienne ?
Sabine Pakora : Mon frère m’a dit qu’à mon arrivée en France à l’âge de quatre ans pour rejoindre ma fratrie et poursuivre ma scolarité en pensionnat, je racontais des histoires et des contes de mon pays, je chantais aussi dans ma langue maternelle. Je n’ai aucun souvenir de cela, mais il faut croire que je devais être sensible aux récits et à une certaine forme d’oralité. Ce que je me remémore, c’est qu’à dix ans, ma sœur, dont je suis restée proche, passait son temps à lire. Tandis que moi, je jouais à la poupée et je m’inventais des histoires, j’avais ce besoin de m’exprimer, de bouger. Je pense que c’est aussi, en toute logique, la raison pour laquelle j’ai voulu m’orienter vers le théâtre et le cinéma après le bac, pour écrire des scénarios et jouer des saynètes.
Dans votre spectacle, vous évoquez le regard que la société pose sur vous et en quoi il vous dérange…
Sabine Pakora : J’ai voulu, à travers mes ressentis, porter au plateau mes expériences et questionner le regard blanc dominant bourgeois sur les minorités. Du fait que je suis une femme noire et ronde, on me renvoie toujours à des clichés et des assignations dans lesquelles je ne me reconnais pas. On me catalogue sans dépasser la surface, sans essayer de creuser qui je suis en permanence, l’image que l’on me renvoie me stigmatise. C’est le cas quand j’évoque mon expérience vis-à-vis de Phèdre de Racine, pour lequel on me proposait les rôles de domestiques.
On pourrait inscrire votre pièce dans un courant réunissant notamment Rébecca Chaillon et Eva Doumbia…
Sabine Pakora : On est à une période de l’histoire où la communauté africaine subsaharienne est présente en France depuis quarante ans. Sur deux générations, les choses ont pas mal changé. Il y a vingt ans, c’était le temps de nos parents qui ne voulaient pas se faire remarquer, ne pas faire de vagues. Aujourd’hui, nous avons envie de vivre à part entière dans cette société, de nous y projeter, de nous y construire, de nous y impliquer de faire changer les choses. Nous ne sommes plus des objets, mais des sujets à part entière qui se réapproprient leur propre narration, on ne parle plus à notre place Il est donc nécessaire pour nous de trouver et prendre notre propre place, de nous inventer, de créer de nouveaux paradigmes loin des stigmatisations et des schémas narratifs habituels et stéréotypés…
Pour La Freak, Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Sabine Pakora : Quand j’ai décidé d’écrire ce texte, je venais de monter les marches à Cannes en 2018, à l’occasion de la sortir d’un livre-manifeste initié par Aïssa Maïga, Noire n’est pas mon métier, auquel j’avais participé. Dans mon texte, je parlais de mon parcours et j’évoquais tout ce que j’avais fait, là où j’en étais et ce que j’avais envie de faire. Il y avait dans ce travail d’écriture quelque chose de très cathartique. J’avais le besoin d’expliquer pourquoi je ne voulais plus me contenter des rôles auxquels on m’assignait. Et donc, peut-être, la seule opportunité pour en sortir était finalement d’écrire mes propres textes, mes propres rôles. Avoir fait, en parallèle de mon métier de comédienne, des études de sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales m’a donné des outils théoriques. En effet, j’avais choisi un programme de sensibilisation aux théories féministes et afro féministes. Cela a nourri ma réflexion, portée par les analyses et les ouvrages d’Elsa Dorlin, Angela Davis, Bell Hooks et d’autres qui m’ont permis de me sentir plus légitime, de m’exprimer à partir de ma propre perspective, de donner à voir les coulisses de mon métier et d’évoquer combien le monde du spectacle et le monde du cinéma sont des microcosmes fermés sur eux-mêmes.
Que représente pour vous le fait de jouer à la Chapelle du verbe incarné à Avignon ?
Sabine Pakora : Avignon, c’est quand même la mecque du théâtre. Pour moi, cette visibilité au festival d’Avignon, c’est une manière de donner une légitimité à mon travail. Que mon premier spectacle soit programmé dans le Off et à la Chapelle du verbe incarné, c’est donner de la visibilité à toute une identité française invisibilisée, périphérisée et reléguée à d’autres territoires. Je trouve ça hyper important qu’un lieu comme celui-là soit présent à Avignon pour permettre de reconstruire une image de la France avec toutes les identités. Je me sens vraiment honorée et très contente de pouvoir jouer là-bas.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour l’avenir ?
Sabine Pakora : De continuer à rêver, de continuer à créer des possibles, à écrire. Je suis actuellement dans une magnifique dynamique, donc, tout simplement, de poursuivre dans cet élan.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Freak de Sabine Pakora
Festival Off Avignon – La chapelle du verbe incarné
21 G rue des Lices 84000 Avignon
Du 7 au 26 juillet à 18h, relâche les 13 et 20 juillet.
Durée 1h15.
Théâtre de la Reine Blanche
2 bis, passage Ruelle
75018 Paris
Jusqu’au 5 octobre 2022
mise en scène de Sabine Pakora assistée de Morgane Janoir
collaboration artistique – Léonce Henri Nlend
lumières de Matthieu Marques Duarte
sculptures de Daniel Cendron
costumes de Laurence Benoit
chorégraphie d’Asha Thomas
regard extérieur -Paul Desveaux