Juillet 1942, c’est la rafle du Vel’ d’Hiv. Octobre, c’est la rentrée des classes… Et dans certains quartiers de Paris, des milliers d’enfants manquent à l’appel. Nous connaissons leurs noms depuis 2001, lorsque, sur les façades des écoles des arrondissements de Paris, des plaques commémoratives ont été posées. C’était nécessaire pour qu’on n’oublie pas, mais ce que ces noms représentent, à l’instar de ceux inscrits sur les monuments aux morts de 14-18, reste difficilement discernable. Rentrée 42, « Bienvenue les enfants » de Xavier Lemaire nous fait mesurer ce qu’a pu être cet immense vide dans les salles de classe et la cour de récréation.
La bascule de 1942
L’été a été tranquille pour certains et moins pour d’autres. Une directrice d’école (l’émouvante Anne Richard) prépare la rentrée. Elle attend la liste des inscriptions. C’est important pour savoir si son établissement fermera ou non. Parce que même si l’inscription est obligatoire, des parents préfèrent que leurs gamins travaillent. C’est primordial, car l’accès à l’éducation ouvre toutes les portes, et il s’agit d’une école de filles…
Arrivent les trois institutrices. Chacune représente ce qu’était la France en 1942, date charnière de l’occupation allemande et de la France de Vichy : il y a la communiste engagée (épatante Émilie Chevrillon), la jeune fille qui vénère le Maréchal et son programme (délicate Fanny Lucet Suzy), la femme qui s’accommode parce qu’il faut survivre (formidable Isabelle Andréani)… Il ne faudrait pas oublier le concierge, celui qui a donné son bras à Verdun (étonnant Dominique Thomas). Les trois femmes se racontent leurs vacances, évoquent le départ d’une de leurs collègues, Madame Meyer, se projettent dans l’année à venir et pensent déjà à l’enseignement qu’elles dispenseront aux jeunes filles… Le ton est léger, insouciant comme chez tous ces Français qui, au milieu de la guerre, s’accomodent pour survivre.
Un silence si bruyant
Puis arrive le second acte, le fameux jour de la rentrée. Stupeur ! Dans la cour, seule une vingtaine de gamines sont présentes. Il manque cent neuf élèves. La directrice pose la question : où sont passés ces enfants ? Nous, nous le savons et en connaissons la terrible destinée. Cette question résonne alors très fort dans notre mémoire. C’était des enfants ! La prise de conscience est assez bien traitée par les deux auteurs. Ces femmes, effrayées par l’horreur qu’elles n’arrivent pas à mesurer, sont dans l’urgence. Alors, pour que l’on ne ferme pas leur école, elles vont structurer un système pédagogique autour des vingt restantes, avec l’espoir que les absentes reviendront. Mais, elles prennent avant tout conscience de ce qu’est la réalité des occupants et d’un gouvernement français attaché à leur botte.
L’entrée en résistance
La troisième partie est une fable, celle d’une vengeance. Elles sont femmes, institutrices et donc considérées par leurs pairs comme peu de choses. Puisqu’on refuse de répondre à leurs questions et à les écouter, elles mettent en place un plan machiavélique contre les autorités. Celle-ci est représentée par M. Person, l’inspecteur d’Académie (stupéfiant Michel Laliberté). Il est à lui tout seul le pinacle de tous ces salauds qui ont fait les beaux jours de la collaboration mais aussi du patriarcat débilitant. Il va passer un sale quart d’heure. En un acte, Xavier Lemaire met en place l’allégorie d’une résistance qui sauvera la liberté.
Xavier Lemaire a coécrit cette pièce avec Pierre-Olivier Scotto, son complice de Là-bas de l’autre côté de l’eau. Après la guerre d’Algérie, ils se font à nouveau témoins de la grande histoire à travers la petite. Efficace, soutenue par une mise en scène et une scénographie très réalistes, tenue par une interprétation à fleur d’émotion, cette pièce nous touche. Elle nous rappelle les valeurs consubstantielles à l’éducation nationale et la nécessité de protéger celle-ci. Et surtout, que l’on ne touche pas aux enfants !
Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Avignon
Rentrée 42, bienvenue les enfants ! de Xavier Lemaire et Pierre-Olivier Scotto.
Comédie Bastille
5 rue Nicolas Appert
Du 5 septembre 2024 au 5 janvier 2025
Durée 1h35
Festival OFF Avignon
Théâtre de la Luna
1 rue Severine
84000 Avignon
Du 29 juin au 21 juillet 2024 à 16h30, relâche les 3, 10, 17 juillet
Festival Off Avignon – Théâtre de La Luna – Quartier de la Luna
1 rue Severine 84000 Avignon
Du 7 au 29 juillet 2023 à 16h50, relâche mercredi
Mise en scène de Xavier Lemaire.
Avec Anne Richard, Isabelle Andréani, Émile Chevrillon, Fanny Lucet, Dominique Thomas, Michel Laliberté.
Scénographie de Caroline Mexme.
Costumes de Christine Vilers.
Lumière de Didier Brun.
Création sonore de Philippe Bozo.