Au cœur des Pyrénées-Orientales, aux alentours de Collioure, la metteuse en scène a imaginé le Petit Festival de la Côte Vermeille, une manifestation populaire et poétique conçue pour parler, à travers différentes formes artistiques, d’écologie et d’environnement. Après la terre et l’eau, Razerka Ben Sadia-Lavant a choisi, comme thématique de cette troisième édition, l’air.
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Comment est né le petit festival de la côte vermeille ?
Razerka Ben Sadia-Lavant : Je suis entrée progressivement dans ce Pays catalan en écoutant des histoires, des récits de ce bout du bout de l’hexagone. Peu à peu, il m’a dévoilé et me dévoile encore sa richesse et sa complexité. La côte rocheuse catalane est un pays intense, saisissant, rien n’y est mou ni mitigé, son relief est accidenté, les couleurs de ses paysages contractées, les bleus de la Méditerranée se cognent sur les parois rocailleuses des Pyrénées. Le vent souffle fort et puis se tait. L’été, le soleil tape, il ne fait pas semblant de briller. Au printemps, les sarments dans les vignes dansent comme de joyeux crucifiés. Ils sont chahutés par la tramontane, traversés par ce soleil brûlant et le sel de la mer toute proche. Les vignes attendent patiemment la fin de l’été et les vendanges pour se soulager des grappes lourdes et juteuses du raisin.
J’aime ce pays qui parle plusieurs langues et s’ouvre par la mer sur le reste du monde, mais qui sait aussi se refermer et rester secret. C’est dans ce pays que j’ai eu envie de partager mon expérience artistique et mes questionnements environnementaux. Réunir la beauté d’un geste artistique et la beauté d’un lieu que la nature nous offre là, c’est une manière simple et vivante de la protéger et de l’aimer. Le festival est dédié aux quatre éléments, l’eau, la terre, l’air et le feu, inspirés par Gaston Bachelard notre parrain imaginaire qui a réuni la science et l’imaginaire en interrogeant à travers quatre ouvrages ces quatre éléments.
Quel est son ADN ?
Razerka Ben Sadia-Lavant : « Le Petit Festival » pour indiquer que ce qui l’anime, c’est la proximité. L’art et les sciences ne doivent pas être considérés comme signe de reconnaissance d’une élite habituée. La programmation artistique est ainsi exigeante tout en étant accessible au plus grand nombre, les conférences sont choisies entre didactisme et vulgarisation, inspirées des méthodes de l’éducation populaire, et la politique tarifaire est adaptée. Il s’agit de rassembler les publics dans une période de grand chamboulement, tant climatique que social, où nous avons besoin de clés de compréhension, mais aussi d’imaginaire, d’émotion, de rire et surtout de convivialité. Pendant le Petit Festival, tout le monde se mélange et se rencontre, artistes, scientifiques, acteurs engagés et public. C’est comme quand on organise une fête chez soi, les amis d’amis sont là et les rencontres se font entre tout le monde.
Comment se fait le choix de la programmation ?
Razerka Ben Sadia-Lavant : Je l’aborde comme une mise en scène de théâtre, c’est une « mise en scène » de rencontres multiples et un dialogue avec le public autour d’un questionnement commun lié à l’urgence climatique et au développement durable.
C’est une histoire que nous allons raconter pendant cinq jours au gré des inspirations que font naître le sujet. Je ne suis pas scientifique ni chercheuse mais très curieuse, à partir de ma non-connaissance, je vais à la rencontre de celles et ceux dont l’activité est en lien avec le thème, je les questionne… j’apprends beaucoup en préparant chaque édition ! Je tire des fils, je contacte une personne qui me donne le contact d’une autre etc. Je sollicite beaucoup de monde et je partage volontiers.
Je rebondis aussi avec l’actualité récente du territoire. Par exemple, cette année, un grand incendie a ravagé Cerbère et alentours en avril, c’est vraiment tôt dans la saison et inhabituel. Cela témoigne des conséquences du réchauffement climatique : la sécheresse de la terre, le vent qui souffle ont provoqué ce mégafeu. Nous avons donc construit la dernière conférence sur ce thème en invitant Sophie Szopa du Giec et Yann Robiou avec le Lieutenant Daniel Galy du SDIS 66 qui a coordonné l’extinction du feu.
L’important c’est de mettre en relation les forces vives de ce territoire des Pyrénées-Orientales avec des personnalités venues d’ailleurs. L’an passé, le jardinier du Biodiversarium a partagé une conférence avec Eric Lenoir, paysagiste et auteur de renom. Croiser toujours, faire circuler la pensée et les connaissances, et converser avec le public. Pour les spectacles, j’invite des artistes amis et amies, dont j’aime l’univers esthétique, et avec lesquels j’ai déjà travaillé, et ils me font rencontrer d’autres artistes. Les spectacles sont en grande partie créés ici, en cinq jours. On se retrouve là, chacune et chacun est à son ouvrage, une dynamique puissante se crée, portée par le désir et le plaisir d’être là et d’offrir au public une expérience artistique. Cette année, cela va de l’ascension de l’église de Port-Vendres à mains-nues par Antoine le Ménestrel à un opéra performatif à l’église de Cerbère, créé in situ avec de jeunes artistes plasticiens et chanteurs des écoles des Beaux-Arts de Paris ou des Conservatoires de Paris et Perpignan (CNSMDP et CRR). J’ai voulu mettre la voix au coeur de cette édition avec Leila Martial, merveilleuse poétesse de la voix et des cultures du Monde.
Quels sont les grands moments de cette édition ?
Razerka Ben Sadia-Lavant : L’air, c’est aussi le vent et le vent m’a inspiré le récit d’Iphigénie que j’ai renommé « Iphigénie, une histoire de vent qui a mal tourné ». C’est l’occasion de faire entendre l’histoire de cette femme sacrifiée pour l’honneur. J’ai réuni des comédiens et comédiennes que j’aiment et qui avaient envie de ce type d’aventure, une création en 5 jours au bout de l’Hexagone, que nous jouerons dans la cour de l’hôtel municipal de Cerbère. Claire Nebout sera Clytemnestre, Noée Abita sera Iphigénie et Nicolas Repac, ce merveilleux musicien complice d’Arthur H, sera notre magicien de l’univers sonore. L’ascension de l’église de Port Vendres à main nues par Antoine le Ménestrel, Quand le souffle devient divin avec une chanteuse lyrique et prometteuse, le 18 août, pour l’ouverture du festival. Je suis aussi contente d’avoir réuni dans la même soirée les 26000 couverts avec Jacques et Mylène et la chanteuse P.RB qui vient faire un concert spécial côte Vermeille ! Et puis il y a des moments comme la réga-ballade en Optimist pour que toutes celles et tous ceux qui le veulent naviguent au gré du vent, ou encore une dégustation de l’incroyable vinaigre de la Guinelle qui vieillit à l’air libre, en passant par un atelier chant ou un atelier de fabrication d’éoliennes en papier.
Vous pouvez développer la thématique ?
Razerka Ben Sadia-Lavant : Après l’eau en 2021, la terre en 2022, cette année est consacrée à l’air. Il y a les évidences comme par exemple parler de pollution atmosphérique et de la santé dans cette édition. Mais l’air, c’est aussi le souffle, c’est la voix et cela ouvre d’autres imaginaires, d’autres réflexions. Je suis très honorée que David Le Breton, éminent anthropologue vienne nous parler de la voix avec Sonya Mellah, une des voix mythiques de la radio FIP. L’air m’a aussi fait penser aux oiseaux, il y aura une conférence sur les oiseaux de la Côte Vermeille.
Que peut on vous souhaiter ?
Razerka Ben Sadia-Lavant : Une belle édition ! Un public nombreux et qui repart heureux et équipé en connaissances ! Et que l’on puisse continuer avec le soutien de nos partenaires qui sont sensibles à ce format modeste et rigoureux. Et que d’autres partenaires nous rejoignent !
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le Petit Festival de la côte Vermeille
Du 18 au 22 août 2023