Nous avons découvert lors de l’édition 2022 du festival Off d’Avignon, dans Naïs de Marcel Pagnol. Ce spectacle, mis en scène par Thierry Harcourt, revient cette année dans la cité des Papes. L’occasion de mettre un coup de lumière sur une femme transportée par le théâtre.
© Matthieu Camille Colin
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Un masque de tête de cheval qui me tombe sur le nez ! La première fois que je suis montée sur une scène de théâtre, j’étais très jeune, nous jouions pour la kermesse de l’école le couple de chevaux de l’Arche de Noé avec ma meilleure amie d’enfance. Nos masques étaient trop grands, nous ne voyions rien et rentrions dans absolument tout le monde sur scène. Je ne garde aucun souvenir visuel de la représentation… Mais je me souviens d’un très grand fou rire dans la salle ! Une vidéo – toujours existante – en témoigne.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ?
Il y a cinq ans, j’ai découvert Elsa Lepoivre dans La règle du jeu de Jean Renoir à la salle Richelieu de la Comédie-Française. J’ai vu une femme, une femme à la fois fragile et puissante. J’ai eu l’impression qu’elle ne jouait que pour moi. Elle était vibrante. Et c’est cette vibration que je cherche en permanence. Ce mouvement, imperceptible, qui vient percuter l’autre en plein cœur. Je suis sortie de la salle et je me suis dit que je voulais faire ce métier.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Un jour, un ami m’appelle et me demande de remplacer une comédienne, au pied levé dans une pièce qui se jouait dans le cadre du F.A.T Festival à Taulignan. Je n’avais quasiment aucune expérience théâtrale, j’étais diplômée de Sciences Po Paris et cela faisait cinq ans que je travaillais dans le secteur de la banque et du conseil. Je savais que ce métier de consultante ne me convenait pas (j’appelle d’ailleurs ces années dans le monde de la finance, mes années d’errance) mais je ne m’attendais pas à un tel choc, un tel raz-de-marée interne.
J’ai eu le texte la veille, je ne le connaissais donc pas bien et j’étais très stressée car il y avait beaucoup de monde dans la salle. Mais quelque chose de plus grand que moi m’a portée et m’a poussée à jouer. Une sorte de transe. J’étais ailleurs mais en même temps tellement là, au présent. Je me suis dit que je ne pouvais pas faire autre chose de ma vie.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
J’ai eu deux grands coups de cœur récemment : Le passé de Julien Gosselin au théâtre de l’Odéon et Tom na Fazenda au théâtre de la Villette, joué par une troupe brésilienne et mis en scène par Rodrigo Portella. De très belles rencontres artistiques mais aussi humaines. Ce sont deux spectacles qui m’ont bouleversée. Je ne savais pas qu’il était possible de faire ça sur une scène de théâtre.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
J’ai été très chanceuse car j’ai rencontré lors de ma formation professionnelle au Foyer beaucoup de mes camarades de jeu actuels. Avec Arthur Cachia et Kévin Coquard (deux de mes comparses dans Naïs) nous avons très rapidement créé notre compagnie, Les Fautes de Frappe. Arthur avait un rêve, celui de monter Naïs de Marcel Pagnol. Nous avons rencontré Thierry Harcourt lors de notre parcours au Foyer. Arthur lui a proposé de mettre en scène Naïs. Ça ne faisait qu’un an que nous faisions du théâtre… Thierry a su croire en nous et nous a permis de grandir en tant qu’artiste. Je suis très fière de la famille de théâtre que nous avons.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Je ne suis pas sûre d’être la mieux placée pour répondre à cette question ! J’ai commencé le théâtre tard, j’ai donc l’impression qu’il faut que je rattrape le temps perdu et que je travaille encore plus que les autres. Je me consacre énormément au théâtre, j’assiste à des représentations plusieurs fois par semaine. Et j’ai aussi des rêves de cinéma, devant mais aussi derrière la caméra. Alors j’écris et je monte mes propres projets. J’ai souvent le syndrome de l’imposteur, l’impression de manquer de légitimité (certainement dûe au fait de ne pas avoir fait d’école nationale, de venir d’un autre monde et d’avoir commencé à vouloir faire ce métier à quasiment trente ans…) mais j’y crois ! Je n’ai pas tout plaqué pour rien quand même.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
J’ai toujours voulu défendre des personnages de femmes qui portent haut et fort les couleurs du féminisme, sans même en avoir forcément conscience. Il est vrai que beaucoup de femmes de mon entourage m’inspirent au quotidien.
En ce moment, je joue le rôle de Naïs de la pièce éponyme de Marcel Pagnol. C’est une jeune femme coincée par sa condition sociale et qui tombe amoureuse ; c’est un amour interdit. Elle a des rêves d’émancipation, de liberté… Mais c’est aussi une femme battue et qui lutte… et c’est une réalité que subissent encore beaucoup trop de femmes aujourd’hui dans le monde. Je travaille également avec deux autres comédiennes (Alice Lobel et Fanny Fourme) à la création d’une nouvelle pièce de théâtre qui racontenotre rencontre avec des détenues en fin de peine, résidentes à la ferme Emmaüs Baudonne, près de Bayonne. L’expérience que nous vivons avec ces femmes nous a littéralement bouleversées Alice, Fanny et moi. On questionne tout, on explore, on creuse des trous (au sens propre, puisqu’on a vécu à la ferme avec elles et travaillé au maraîchage). Et rien que pour cette raison, je suis contente de faire ce métier.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Pour moi il n’y a jamais eu de quatrième mur et il n’y en aura jamais. Je rêverais de jouer dans une pièce de théâtre immersive, en particulier avec la compagnie Emersiøn, dirigée par Léonard Matton dont j’admire le travail. Avec des amis comédiens, nous proposions régulièrement ces deux dernières années des soirées théâtre dans un restaurant du XVe arrondissement qu’on nous prêtait les mardis soir. Avec eux, nous avons également fait du théâtre directement chez l’habitant. Une fois, nous étions soixante dans un appartement parisien, les fois suivantes nous jouions dans une ferme en banlieue, dans une ruelle du 20e pour la fête des voisins, dans un studio d’enregistrement de musique… Nous n’avions pas envie d’attendre, la crise sanitaire nous avait coupé nos ailes, nous voulions jouer et partout ! J’ai même joué le rôle d’Albine dans Britannicus sur Zoom pendant le Covid…
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Quand je sens que je suis alignée, que je sers le personnage et rien d’autre, c’est comme si je surfais sur une vague qui me transportait vers le public. C’est une sacrée sensation, un abandon total.
Sinon, fait étonnant et moins glamour, j’ai systématiquement le nez qui coule (et pas qu’un peu) quand je suis sur scène. Est-ce que mon désir de faire du théâtre se situerait alors dans mon nez ? À méditer.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Il y en a beaucoup ! J’ai toujours eu envie de travailler avec mes anciens professeurs Axel Blind, Arnaud Denis et Maxime d’Aboville. J’aimerais beaucoup jouer dans une pièce de Joël Pommerat, Jean-François Sivadier, Pauline Bayle, Rodrigo Portella, Christiane Jatahy, Julien Gosselin, Valérie Lesort et Xavier Lemaire. Je suis également une grande fan du Munstrum Théâtre et des Chiens de Navarre. Avec la compagnie Les Modits, nous travaillons sur deux nouvelles créations dont la pièce Milady, écrite par Margaux Wicart et mise en scène par Justine Vultaggio. Je jouerai le rôle de Ketty, la servante anglaise de Milady. J’ai hâte. Il y a beaucoup de femmes réalisatrices que j’admire et dont l’engagement aujourd’hui m’inspire tout particulièrement, telles que Justine Triet, Alice Diop, Céline Sciamma, Lise Akoka et Romane Gueret (pour leur travail sur l’hyperréalisme avec Les Pires qui m’a sciée), Léa Mysius, Anaïs Volpé, ainsi que mon amie Aleksandra Lazarovski.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
J’adore les grandes représentations théâtrales, le travail de troupe et le plein air en été ! Nous avons joué le week-end dernier Naïs au pied de la Bonne Mère à Marseille (dans le cadre du nouveau Festival à la Bonne Mère)… et quelle expérience incroyable ce fut ! J’ai adoré faire l’Aria en Corse et travailler avec Marie Payen et Olivier Letellier sur deux projets avec de grandes distributions en pleine nature (respectivement « Le malade imaginaire » de Molière qu’on a joué plusieurs fois devant une église, au milieu des montagnes, et une lecture dirigée de 7 minutes de Stefano Massini, sous les arbres). J’aimerais retravailler avec eux, qu’on soit cette fois quarante au plateau, dans un festival en plein air sous les étoiles au milieu des montagnes avec la mer pas loin… Et qu’il y ait une guinguette tous les soirs !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
In the Mood for Love de Wong Kar-wai. Peut-on mieux parler d’amour que dans ce film ? Pour moi, non.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Naïs de Marcel Pagnol.
Festival Off Avignon – La condition des soies.
13, rue de la Croix 84000 Avignon.
Du 7 au 29 juillet 2023 à 13h35, relâche les mardis.
Durée 1h15.