Vincent Fontano, auteur, comédien et metteur en scène associé à TÉAT Réunion, présente au Train Bleu sa première mise en scène en français. Loin des Hommes est une suite monologuée émouvante et incarnée.

© Pascal Gely

L’une après l’autre, deux solitudes se frôlent mais ne se touchent pas. On est peut-être dans une ruelle de la Réunion, ou peut-être dans une pure projection — d’ailleurs, il n’y a que des images projetées pour décor, d’abord des murs lézardés et décatis, puis des images vidéo plus expressives dont cette courte pièce aurait pu faire l’économie tant le texte et son interprétation suffisent à faire naître les images. « Loin des Hommes est une pièce d’humeur », écrit Vincent Fontano, donnant lui-même la clé d’une mise en scène qui ne doit faire plus qu’installer une ambiance diffuse et faire entendre le texte à l’intérieur. Mais le terme employé par l’auteur, metteur en scène et comédien réunionnais pourrait aussi s’entendre dans son acception biologique : nous voilà alors de retour à l’intérieur des corps, dans les cavités humides du cerveau ou du ventre, là où naissent les pensées et les pulsions.

Basculement

 «Pas joli, pas joli garçon », entame Vincent Fontano, sur scène mais dans l’ombre, silhouette grave dans un univers nocturne et interlope. Son écriture condensée rejoue en accéléré le passage à l’âge adulte de l’enfant « moche » après la mort du père, de la découverte de la violence jusqu’au premier baiser avec un homme. Pour dire le mélange de délicatesse et de force qui s’exprime dans cette version condensée d’une pièce pour trois personnages, il suffirait presque de raconter une chose, le très beau tour de passe-passe qui a lieu à mi-chemin, lorsque l’homme quitte le plateau pour laisser entrer une femme, à son tour seule dans la nuit, projetant la pièce dans l’âme de celle qui n’était juste avant qu’un détail — celle qui, dans l’arrière-plan, regardait les deux hommes s’embrasser. La bouleversante Véronique Sacri supplante sa voix paradoxale, douce mais tragique, au spleen sourd et poétique de Fontano. Et la juxtaposition de ces deux subjectivités, le jeu d’inversion qui s’articule entre l’une et l’autre, de la découverte de l’amour à un sentiment inguérissable d’abandon, fonctionne aussi comme une mise en actes, par les moyens du théâtre, de l’abandon de soi dans l’écoute de l’autre.

Il n’est pas évident de faire ce théâtre d’ambiances sans se lover dans des plaisirs faciles et décoratifs, et tout aussi rare de parvenir à y faire naître des émotions profondes. Pourtant, c’est bien dans ce bain de violence, de douceur et de tristesse que nous jette cette forme courte. Acteurs atypiques, captivants chacun à leur manière, laissant toute leur place au silence et au vide, Fontano et Sacri constituent ce duo d’étrangers qui ne se rencontrent pas mais qui, en un regard, basculent l’un dans l’autre. Jusqu’à présent, le Réunionnais a toujours écrit en créole. Loin des Hommes est sa première pièce en langue française. Son accueil au Train bleu donne l’occasion de découvrir un travail jusqu’à présent très peu montré en métropole, mais dans lequel on espère pouvoir se plonger de nouveau sans tarder.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Avignon

Loin des hommes de Vincent Fontano
Théâtre du Train bleu – Festival Off Avignon
40 Rue Paul Sain, 84000 Avignon

Du 7 au 26 juillet 2023 à 20h55
Durée 1h

Texte et mise en scène Vincent Fontano
Compositeur Jako Maron
Avec Véronique Sacri et Vincent Fontano