Basés à Londres, les performeurs Bert & Nasi font la rencontre de Tim Etchells il y a quelques années de cela, un jour où celui-ci vient voir leur pièce Palmyra. Entre le jeune duo et le créateur de Forced Entertainment, le collectif sheffieldois culte, les atomes accorchent. Il y a un goût commun pour l’expérimentation dramaturgique, l’humour absurde et l’écriture de plateau. L’Addition réunit ces ingrédients sur une table de restaurant qui, pour ce festival, se balade de lieu en lieu, arpentant les périphéries avignonnaises. Comme un désastre annoncé, la scène qui suit nous est racontée d’entrée de jeu par le duo franco-anglais, où Bert, très français, commence à dire : ça va être compliqué, et Nasi, tel un marchand de tapis à l’accent anglais, de dire : non, pas si compliqué, en fait, c’est très simple, comme pour nous vendre la catastrophe à venir. Et le désastre a bien lieu, l’un s’assied à table et appelle le garçon, l’autre devient le serveur d’un verre de vin trop rempli qui finit par déborder sur la nappe. Ils s’agitent, et dans la confusion, ils échangent les rôles, et la scène recommence.
Tourner en rond autour de la table
La répétition est un pari, qui peut, dans un théâtre par nature mouvant, libérer vertige et beauté selon la façon dont les glissements entropiques ont lieu ou non. Chez Etchells, la performance s’organise en deux temps, celui de la parole et celui de l’action. Il conviendrait, en ce qui concerne la seconde, que la répétition mise en actes par le duo amène à creuser le fond de la scène représentée pour en extraire les soubassements secrets, ou bien qu’elle trouve dans un principe de variation le terreau d’un foisonnement d’idées et de formes. Certes, parfois, un sens caché point, lorsqu’on lit derrière cette histoire de vin le destin tragique d’êtres pris dans ce cycle inéluctable, en dépit des déclarations d’intention, et sans apprendre jamais de leurs erreurs. Certes, l’imaginaire s’étire à partir de cet embryon de situation jusqu’à inventer un audacieux voyage dans le temps. Mais au plateau, la scène tragi-comique a tendance à se réfugier dans les cris et la saturation, et se heurte à des ressorts comiques que l’on comprend trop vite.
Nonobstant, un certain génie unit les deux interprètes, de leurs vrais noms Bertrand Lesca et Nasi Voutsas, distingués par leurs différences mais liés par un talent comique dont les ondes s’accordent en harmonie. Expressifs, justes, ils s’avèrent beaucoup plus passionnants lorsqu’ils imaginent et exposent le script face public que quand ils l’actualisent. Ils finissent par demander qui va payer l’addition, tournant en dérision le prix de la place. Tout ça pour ça ? Justement : il y a, dans la modestie de la proposition, dans le refus des effets et la confiance dans ses interprètes, des ingrédients qui sauront somme toute faire apprécier ce passage au restaurant.
Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Avignon
L’Addition de Tim Etchells
Théâtre Silvia Monfort
106 rue Brançion
75015
Paris
Du 30 janvier au 3 février 2024.
Durée 1h10.
Festival d’Avignon
Spectacle en itinérance
Du 7 au 22 juillet 2023.
Tournée
3 octobre 2023 Théâtre du Bois de l’Aune (Aix-en-Provence) dans le cadre du Festival Actoral
4 octobre 2023 Théâtre de l’Archevêché (Aix-en-Provence) programmé par le Théâtre du Bois de l’Aune dans le cadre du Festival Actoral
7 octobre 2023 Salle des fêtes municipale de Mérindol
5, 6 et 7 décembre 2023 La Vignette Scène conventionnée Université Paul-Valéry (Montpellier)
14 et 15 décembre 2023 Théâtre Alibi (Bastia)
Du 30 janvier au 3 février 2024 Théâtre Silvia Monfort (Paris)
13 mars 2024 Théâtre de Choisy-le-Roi Scène conventionnée d’intérêt national art et création pour la diversité linguistique
20 et 21 mars 2024 Centre culturel André Malraux Scène nationale de Vandoeuvre-lès-Nancy
26 mars 2024 Grrranit Scène nationale de Belfort
Interprété et créé en collaboration avec Bertrand Lesca, Nasi Voutsas
Conception, texte et mise en scène Tim Etchells
Traduction Aurélie Cotillard
Musique Graeme Miller
Scénographie Richard Lowdon
Lumière Alex Fernandes
Assistanat à la mise en scène Edward Fortes, Nicki Hobday
Variatio delectat…enfin, pas toujours : après un quart d’heure qui suscite la curiosité et nous interroge sur la direction que va prendre le spectacle, ces variations sur un même thème tournent vite en rond et on s’ennuie rapidement face à des situations prévisibles. N’a pas le talent des Monty Python qui veut, ni du canadien Leacock ou de l’anglais Wodehouse.. Parmi les rires qu’on a pu -rarement- entendre dans la salle figuraient ceux, au second degré, de spectateurs qui, à l’évidence, préféraient s’esclaffer devant l’indigence du spectacle qu’en pleurer.