La guerre n'a pas un visage de femme - Svetlana Alexievitch - Marion Bierry © Stéphane Parphot
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La guerre n’a pas un visage de femme, le spectacle bouleversant de Marion Bierry

Au théâtre du Girasol, dans le Off d'Avignon, Marion Bierry présente "La Guerre n'a pas un visage de femme" d'après Svetlana Alexievitch.

La guerre n'a pas un visage de femme - Svetlana Alexievitch - Marion Bierry © Stéphane Parphot

On ne saura jamais assez ce que l’on doit à toutes ces femmes soviétiques, véritable cheville ouvrière d’une armée mise à mal, pour la liberté. Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature 2015, écrivaine et journaliste biélorusse ukrainienne et dissidente, a récolté l’histoire de ces Antigone modernes qui ont dit non.

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À la fin du Pacte germano-soviétique, les Allemands envahissent les pays de l’Union soviétique et, tel Napoléon, se casseront les dents sur le peuple Russe. Les hommes tombaient, alors les femmes sont levées d’un seul homme pour prendre les armes et défendre la patrie face à l’envahisseur. Selon les chiffres, elles ont été 800 000 à servir dans les forces de l’armée soviétique, sans oublier celles qui rejoignirent les partisans (chez nous les résistants). Beaucoup périrent, mais près de 200 000 d’entre elles seront décorés et quelques-unes (car il ne faut pas exagérer) ont reçu la plus haute distinction, celle de « Héros de l’Union Soviétique ».

Devoir de mémoire
La guerre n'a pas un visage de femme de Marion Bierry © Stéphane Parphot
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Ce spectacle a de nombreuses raisons de piquer l’intérêt. Pour les jeunes générations, il apprendra ces années terribles de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi ce qu’était le stalinisme : ça ne fait jamais de mal de le rappeler. Pour les anciens, même à ceux qui sont nés après la guerre, à l’époque de la Guerre froide et qui ont grandi dans cette rupture entre l’Ouest et l’Est, il remue bien des choses. La chute du mur de Berlin ne date que de 1989 !

On comprend aussi toute la beauté d’âme et l’abnégation de ces femmes qui, dans la terrible tourmente de la guerre, se sont enrôlées. Elles avaient des sœurs d’arme dans l’armée anglaise, dans la résistance dans tous les pays occupés. Si autrefois dans les guerres, elles étaient reléguées à l’infirmerie ou aux cantines, cette fois-ci, elles ont vraiment pris les fusils, conduit des avions, commandé de bataillons.

Amie, entends-tu…

Les hommes les ont regardés d’un air moqueur puis avec tout le respect qui leur revenait. Car, ces mères, ces filles, ces sœurs, pour paraphraser Brecht, ont eu bien du courage. Le pays étaient en danger, il fallait y aller. « On avait un oncle prisonnier au Goulag… Maman a dit : Défendons d’abord la patrie, on verra le reste après ! » Un grand nombre d’entre d’elles n’était que des gamines qui ne connaissaient rien à la vie ! Mais tels des Gavroche, elles voulaient tenir tête à l’ennemi. « En 41, j’avais 17 ans. Je voulais aller faire la guerre. Je me suis sauvée de chez mes parents. J’ai laissé un mot : Je pars au front. C’est tout ».

Elles s’appellent Anna (Cécilia Hornus), Sonia (Sophie de la Rochefoucauld), Vera (Sandrine Molaro), Nina (Emmanuelle Rozès) et Olga (Valérie Vogt). À chacune son histoire, ses raisons, ses anecdotes, ses douleurs, ses espoirs, ses amours, ses morts. En allant puiser dans les nombreux témoignages du livre de Svetlana Alexievitch, Marion Bierry a dessiné cinq magnifiques portraits. Ce qui donne une grande force dramaturgique aux spectacles. Sa mise en scène, tout en mouvement, met en place les espaces narratifs et permet à la parole de circuler aisément. Ces femmes se réunissent tous les 9 mai pour commémorer la capitulation allemande. Elles servent à la propagande du régime qui aime mettre en avant ces héroïnes pour glorifier la force du parti. Entre deux prises de paroles au public, elles échangent entre elles leurs souvenirs. L’enfer n’est pas racontable, voir imaginable. Elles seules peuvent se comprendre. Ce spectacle choral est interprété sans une fausse note par cinq formidables comédiennes qui maîtrisent à la perfection leur art et leurs émotions. Bravo !

Marie-Céline Nivière

La guerre n’a pas un visage de femme, d’après le livre éponyme de Svetlana Alexievitch.
Festival Off AvignonThéâtre du Girasol
24 bis rue Guillaume Puy 84000 Avignon.
Du 7 au 29 juillet 2023 à 12h, relâche les 10, 17, 24 juillet.
Durée 1h30.

Adaptation et mise en scène de Marion Bierry.
Traduit du russe par
Galia Ackerman et Paul Lequesne.
Cécilia Hornus, Sophie de La Rochefoucauld, Valérie Vogt, Sandrine Molaro, Emmanuelle Rozès.
Lumières de Denis Lemaître.
Costumes de Virginie Houdinière.

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